Les appareils mobiles ont-ils leur place en classe ?
La toute grande majorité des étudiants du secondaire ont un smartphone. Les jeunes sont d’ailleurs souvent les premiers à utiliser les nouvelles technologies. Mais qu’en est-il des écoles que ces jeunes fréquentent ? Où en est le numérique dans l’enseignement secondaire ?
La technologie à l’école suscite les passions. L’enquête Pew menée auprès d’adolescents américains indique que 54 % d’entre eux sont en ligne presque en permanence et que ceux-ci ont conscience d’exagérer sans doute. Ainsi, 53 % essaient de passer moins de temps sur leur smartphone. Un pas en avant positif, estime-t-on en France, mais pas suffisant. Ainsi, le gouvernement a décidé début août d’interdire le smartphone dans les classes des écoles de l’Hexagone. Et dans notre pays également, les écoles doivent décider de la place à donner aux appareils et outils numériques.
Inéluctable
Que les choses soient claires : la Belgique ne va certainement pas emboîter le pas à la France. Si quelques écoles ont déjà pris des mesures sur l’utilisation du smartphone en classe, une règle générale n’est pas à l’ordre du jour dans notre pays. Que du contraire, de nombreux établissements prennent une direction opposée. Et considèrent les tablettes et laptops scolaires comme un élément important des cours en tant qu’outils numériques. De même le numérique se révèle inéluctable dans le fonctionnement de nombreuses écoles.
En termes de matériel, les établissements vont bien au-delà des salles d’informatique classiques comprenant quelques écrans RT démodés. Si les chiffres officiels (pour la Flandre) sont attendus fin octobre, Greet Vanderbiesen, coordinatrice ICT et informatique de la coupole de l’Enseignement catholique flamand, estime que la numérisation de l’enseignement moyen suit son cours. ” En fait, la situation est assez bonne, estime-t-elle. Au plan administratif, tout est en ordre. Si l’on examine l’aspect enseignement, la situation diffère d’une école à l’autre. Nous ne pouvons pas dire qu’il y a trop peu d’appareils, mais ceux-ci se démodent. Il n’est pas possible de tout faire avec n’importe quel appareil. Nous sommes en passe de proposer partout une installation Wi-Fi professionnelle afin d’offrir une couverture complète. ”
Nous sommes davantage un spécialiste de l’enseignement qu’un éditeur de logiciels.
La numérisation des écoles couvre plusieurs dimensions. D’une part, le matériel : réseaux Wi-Fi, ordinateurs, tablettes et éventuellement une politique ‘bring your own device’. Par ailleurs, il y a les logiciels. De très nombreuses écoles utilisent un agenda numérique afin que les enseignants puissent communiquer de manière numérique. De même, des lettres d’information et services de messagerie spécifiques sont souvent utilisés pour permettre aux enseignants de dialoguer avec les élèves et leurs parents. Le ‘mot dans l’agenda’ classique n’est plus d’actualité, ne serait-ce que parce que les élèves n’ont plus d’agenda papier. ” La toute grande majorité de nos écoles utilisent une plate-forme d’apprentissage numérique et des tableaux numériques, précise Nathalie Jennes du GO, l’enseignement de la communauté flamande. La plate-forme d’enseignement numérique Smartschool est largement répandue dans le GO. Notre service d’encadrement pédagogique encadre les écoles afin d’explorer les nombreuses possibilités pédagogiques qu’offre cet outil. ”
Logiciels scolaires
Une telle plate-forme scolaire combine de nombreuses fonctions. En Belgique, Smartschool est leader du marché des logiciels de gestion d’écoles. Cette PME belge existe depuis une quinzaine d’années et travaille en Flandre avec 9 écoles secondaires sur 10, insiste son fondateur Jan Schuer. Ce logiciel cloud s’apparente parfaitement à un Sharepoint pour écoles : le matériel d’apprentissage et les programmes de cours peuvent être consultés dans le logiciel, tandis que les professeurs peuvent y planifier leurs leçons et partager du matériel scolaire qu’ils ont préparé. Le logiciel intègre aussi les bulletins, les dossiers des élèves et l’enregistrement des présences. En d’autres termes, le logiciel doit être intégralement adapté aux spécificités de l’établissement scolaire et doit être étroitement intégré au fonctionnement même de l’école. ” Nous sommes davantage un spécialiste de l’enseignement qu’un éditeur de logiciels “, estime Jan Schuer, gérant.
Le logiciel est conçu de manière modulaire, les écoles choisissant les modules qu’elles veulent utiliser. Des domaines complexes comme les affectations intégrales nécessitent parfois d’autres modules qu’un cours de mathématiques. ” Chaque école établit ses priorités, estime Schuer. L’une privilégie l’agenda, l’autre permet aux élèves de consulter leurs points à la maison. Les possibilités sont fonction de l’école. Nous nous chargeons du logiciel, tandis que l’école assure l’implémentation en fonction de leur propre vision. ”
Au-delà de plates-formes d’apprentissage comme Smartschool et le concurrent américain Blackboard, d’autres programmes de collaboration commencent également à s’imposer, analyse Greet Vanderbiesen. ” C’est le cas de Google Suite ou d’Office 365. Ces logiciels permettent aux élèves de collaborer. En fait, l’ambition de solutions comme Google Classroom ou de OneNote Class pour Office est de permettre au professeur de concevoir sa leçon et de la mettre en ligne, après quoi les élèves peuvent l’utiliser. ” Il s’agit là d’une évolution qui, selon Vanderbiesen, est en partie liée aux parents. ” L’école ressent aussi souvent le besoin d’évoluer dans ce sens car elle incite à donner cours autrement. Un tel logiciel ouvre des perspectives intéressantes pour donner du feedback, mais aussi pour assurer un suivi individuel. ”
Laptops et tablettes scolaires
Mais ces logiciels et applis doivent tourner sur un matériel précis. Pratiquement tous les élèves du secondaire possèdent un smartphone. En fait, il s’agit de 92 % des élèves du 1er niveau de l’enseignement moyen en Flandre et jusqu’à 97 % dans le 3e niveau, selon l’enquête Apestaartjaren (voir encadré). Dans une école BYOD, l’agenda numérique peut donc être installé simplement sous forme d’appli sur le smartphone des élèves. En outre, les tâches sont de plus en plus numériques et peuvent être envoyées par courriel. Mais cela implique que les élèves moins favorisés, sans PC à la maison donc, doivent terminer leurs devoirs dans la salle d’informatique à l’école.
D’autres écoles remplacent cette politique BYOD par une version académique du ‘PC de travail’ où chaque élève possède un laptop ou une tablette qu’il utilise durant les cours. Dans ces écoles un-sur-un, les élèves achètent un appareil par le biais de l’école grâce à une technique de location-achat. Après un certain nombre d’années, l’appareil est rendu ou peut être acheté pour un usage propre. L’inconvénient est évidemment le coût : un laptop reste toujours plus cher qu’un cahier et un stylo. Mais l’avantage est l’uniformité, au-delà de la sécurité.
” Cela fait un certain temps que nous autorisons les élèves à emporter leur propre smartphone ou tablette pour faire une présentation par exemple, mais à la longue, la cacophonie a été telle que nous avons recherché une solution cohérente “, explique Ann Van Haren, responsable de la communication au Sint-Ursula-Instituut d’Onze-Lieve-Vrouw Waver. L’école des soeurs pourtant rigide et connue dans la région pour être l’une des dernières à adopter l’uniforme a toutefois pris la décision étonnante de doter tous les élèves de la 1re à la 4e année du secondaire d’un iPad dans le cadre d’une sorte de plan de location. ” Les iPad utilisés ici sont gérés par l’école, insiste Ciska Schrooten, education business manager pour Switch, fournisseur Apple. Toutes les applis utilisées sont gérées par l’école. Celle-ci peut décider si tel élève est autorisé à installer ou non d’autres applis. ” Switch a déjà implémenté ce système dans quelques écoles, sachant que les appareils sont dotés d’un système de contrôle offrant des droits supplémentaires aux enseignants. C’est ainsi qu’un professeur de mathématiques peut décider de désactiver des applis externes durant son cours ou de n’autoriser l’appli de calculatrice que durant un temps déterminé. ” Grâce au logiciel de gestion d’appareil, il est possible d’associer des élèves à un appareil spécifique, ajoute Daniël Slijper de Switch. Au lieu de donner à chaque élève une ID Apple, l’école peut ‘pousser’ en central toutes les applis nécessaires. Elle sait via le numéro de série quel est le type d’appareil que possède l’élève pour les regrouper ensuite en classes et horaires. Ce faisant les iPad utilisés dans telle classe se comportent différemment de ceux utilisés dans une autre classe. ”
Il ne peut être question d’utiliser la tablette pour consulter un PDF du cahier d’école.
Enrichissement
Quelle est la finalité de tels projets ? Ce type d’outils est destiné par priorité à améliorer l’expérience d’apprentissage des élèves, estime Ann Van Haren. ” L’objectif est d’utiliser ces outils de manière créative. Il ne peut être question de remiser le papier au fond d’un tiroir et d’utiliser la tablette pour consulter un PDF du cahier d’école. Idéalement, nous voulons même en arriver à des leçons multimédias qui couvrent des matières différentes. Si l’élève apprend par exemple le fonctionnement du coeur en biologie, il doit pouvoir visualiser des vidéos et des présentations qui pourront être partagées. Mais l’objectif est qu’il puisse à terme l’utiliser dans le cadre du cours d’éducation physique par exemple pour y faire des exercices pratiques sur le sujet. ”
Par ailleurs, ajoute Daniël Slijper, il est important d’apprendre aux élèves à utiliser ces appareils. ” Nous croyons beaucoup à la force de l’utilisateur et à sa responsabilité, explique-t-elle. Plutôt que de verrouiller un tel appareil, nous estimons que l’utilisateur doit apprendre à le gérer. Certes, il est possible de fermer au maximum ce type d’outil, mais tel ne devrait être le cas qu’à des fins de sécurité, dans le cadre des examens par exemple. En l’occurrence, il peut être nécessaire de n’autoriser qu’une seule appli par exemple. ”
Vers la personnalisation
Par ailleurs, ces outils doivent s’inscrire dans une tendance plus large. ” Nous constatons que les nouvelles formes d’apprentissage augmentent le besoin d’un support numérique de qualité, considère Nathalie Jennes du GO. Qu’il s’agisse des cycles d’apprentissage flexibles et individuels, des évaluations ciblées ou des auto-évaluations, du travail axé sur les plans de formation, du co-teaching ou du travail par projet, etc. Sans la technologie adéquate, de tels objectifs sont irréalistes dans la pratique. ”
Cette évolution n’a pas échappé à Jan Schuer de Smartschool. ” La tendance dans l’enseignement est à une certaine personnalisation en fonction de l’élève. Chaque élève est différent et l’enseignement doit suivre cette tendance. Cela exige des logiciels différents. Alors qu’une classe entière apprenait autrefois le même sujet à un même rythme, on en arrivera peut-être bientôt à 20 sujets différents, sachant que les élèvent ont d’autres activités durant le cours. Cette évolution est en devenir et est déjà très tangible dans l’enseignement spécial, mais s’impose aussi désormais toujours plus dans le secondaire général. ”
Equilibre école-vie privée
Personnalisation, enrichissement, créativité. La numérisation présente certes de multiples avantages, mais a-t-elle des inconvénients ? Ainsi, les enseignants se plaignent d’une pression supplémentaire sur le travail engendrée par ces systèmes. Une tâche ne doit plus être simplement dictée en classe, mais aussi introduite dans le système, qu’il s’agisse par exemple des points, mais aussi des présences.
La numérisation serait-elle synonyme de stress ? ” La question est : qui la choisit ? , s’interroge Greet Vanderbiesen de Katholiek Onderwijs Vlaanderen. S’il est imposé par l’école et que l’enseignant n’est pas impliqué, le numérique peut être perçu comme une charge. Ainsi, les systèmes de gestion impliquent toujours plus d’encodage, mais il s’agit là d’une tendance sociétale globale. Les systèmes de suivi des élèves, les présences, tout ce qui concerne les élèves doit être enregistré. Il s’agit aussi d’une demande, de savoir tout ce qui se passe. ”
Par ailleurs, on voit aussi apparaître des questions qui se posent depuis longtemps dans l’environnement économique. Les enseignants doivent-ils être connectés en permanence ? Quid si un élève à une question à 10 h du soir sur son devoir du lendemain parce qu’il est précisément en train de travailler ? Un enseignant est-il tenu de lire ses mails durant le week-end ? A cet égard, la réponse est heureusement assez simple : définir des conventions. Dans telle école, les livres et les ordinateurs sont fermés à 17 h, dans d’autres les élèves et enseignants peuvent continuer à communiquer par voie numérique jusqu’à 20 h et espérer donc une réponse.
” Il faut évidemment fixer des limites, précise Ann Van Haren. Pas question d’envoyer encore un courriel à minuit pour un cours qui a lieu le lendemain. Il faut donc prévoir des accords, même si l’on sait que dans la pratique, les choses peuvent parfois être différentes. ”
Coordinateur ICT
N’oublions pas à cet égard le rôle de la personne chargée du support de tous ces systèmes, sachant qu’avec la numérisation, la fonction du coordinateur ICT ne cesse de gagner en importance puisqu’il s’agit de gérer l’ensemble de l’IT de l’école, que ce soit le matériel et les logiciels, mais aussi le budget et la stratégie. ” Vous avez 2 types de coordinateurs ICT, considère Vanderbiesen. Le technique et le pédagogique. Souvent, il s’agit d’une seule et même personne. Le coordinateur ICT technique doit assurer le bon fonctionnement de l’infrastructure ICT de l’école, tant du matériel que du réseau, tandis que le coordinateur ICT pédagogique doit soutenir les enseignants dans leur utilisation de l’ICT à des fins d’enseignement. Dans l’enseignement secondaire, chaque école possède au moins un coordinateur ICT. Il n’est pas possible de comparer cette situation à celle d’une entreprise, sachant qu’il n’y a plus d’école ayant moins de 100 ordinateurs. ”
Le coordinateur ICT est cependant confronté aux mêmes problèmes que le reste du secteur. ” Il est très difficile de trouver des informaticiens expérimentés, souligne Sander Naudts, coordinateur ICT au Sint-Ursula-Instituut. Nous en faisons l’expérience lorsque nous avons un emploi vacant. Il est très difficile, voire impossible, d’attirer des profils ayant suffisamment d’expérience et de compétences. C’est déjà le cas dans le privé, alors a fortiori dans l’enseignement. ” En outre, la technologie est en constante évolution. ” Les possibilités ne cessent de se multiplier, mais aussi de se complexifier, ajoute Naudts. Autrefois, il était relativement simple de se tenir au courant des évolutions et de disposer en interne de l’expertise nécessaire. ” Les grands fournisseurs, dont Switch et Smartschool, s’efforcent certes d’offrir un accompagnement de qualité. ” Nous considérons l’école comme une entreprise avec son propre département ICT “, confirme Daniël Slijper. Ce que confirme Naudts : ” Dans l’IT, le seul moyen de rester au top est de se former en permanence, de suivre les évolutions en ligne et de continuer à approfondir toute nouvelle technologie. ” Apprendre encore et toujours : le coordinateur ICT est à l’endroit rêvé…
La jeunesse est-elle numérique ?
Le jeune reçoit en moyenne son smartphone à l’âge de 12 ans environ, comme le montre le rapport d’enquête Apestaartjaren 2018 réalisé par Mediaraven, Mediawijs et l’administration flamande. Parmi les enfants de moins de 12 ans, 67 % utilisent déjà une tablette et 49 % un smartphone. Lorsqu’ils entrent dans le secondaire, les jeunes reçoivent directement leur propre smartphone. Parmi les jeunes du 1er niveau, 92 % ont leur propre smartphone, un pourcentage qui grimpe à 97 % chez les jeunes des 2e et 3e niveaux.
Il s’agit là de l’appareil le plus courant chez les jeunes. En effet, 56 % possèdent leur propre laptop, et 42 % leur tablette. Au niveau des applis scolaires, il est évident que celles-ci doivent tourner par priorité sur un smartphone si l’on veut toucher un maximum d’élèves.
95 %
des jeunes entre 12 et 18 ans ont leur propre smartphone.
Frontière linguistique, frontière du numérique ?
Le fait que l’évolution du numérique soit surtout analysée sous l’angle de la Flandre n’a rien de surprenant. Si les tablettes et laptops sont certes présents dans l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la transformation numérique et le déploiement de matériels et logiciels y sont nettement plus lentes dans la partie sud du pays. La question est récurrente et les différentes organisations plaident pour davantage d’investissements à ce niveau. ” Le transfert de connaissances numériques n’est pas une priorité en Fédération Wallonie-Bruxelles “, regrettait André Delacharlerie de l’Agence du Numérique en avril dernier lors de la présentation du Baromètre 2018 sur l’utilisation de l’informatique dans l’enseignement.
Reste que l’amélioration est sensible. Le gouvernement wallon entend financer chaque année 500 projets d’école numérique et propose un support pour les tablettes dans les classes ainsi que pour des réseaux locaux et le Wi-Fi. Résultat ? Avec 11,2 terminaux numériques (desktops, laptops ou tablettes) en moyenne par 100 élèves en Wallonie, l’équipement des écoles a progressé par rapport à 2013 (+ 2,7) et 2009 (+ 4,6). Dans les écoles de Bruxelles de la FWB, ce taux est de 8,7, alors que la Communauté germanophone dispose de 22,8 terminaux pour 100 élèves.
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