Le partage de données comme moteur de la transformation numérique
La transformation numérique d’un port ne se limite pas au déploiement d’applis. En soi, la numérisation n’est pas neuve. Mais au niveau portuaire, le défi de la transformation numérique est lié au partage d’informations et à la connexion d’applications, entre transporteurs, logisticiens et armateurs, mais aussi sous-traitants, assureurs, douaniers, pilotes de navires, etc.
Un port constitue par définition un noeud entre différents flux logistiques – navigation, transport routier et ferroviaire. La numérisation de ces flux logistiques ne cesse de s’accélérer. Mais pour parler de véritable transformation numérique, il faut aller plus loin. En effet, numériser un processus analogique est une chose, mais le transformer en est une autre. Il ne peut être question de transformation numérique que si la numérisation d’un processus entraîne un changement en profondeur, par exemple au niveau de la productivité ou des coûts. Le port – et par extension l’ensemble du secteur de la logistique – représente l’environnement idéal en termes de recherche de productivité à moindres coûts. En l’occurrence, la technologie numérique peut y apporter une réponse.
La collecte et le partage de données constituent les clés de la réussite d’un projet numérique dans le contexte portuaire. Tel est d’ailleurs aussi le point de départ de NxtPort, la plateforme numérique du port d’Anvers dans laquelle l’entreprise portuaire prend également une part active. ” Nous considérons NxtPort comme une plateforme de données innovante dans l’optique de l’amélioration logistique, maritime et industrielle du port ainsi que pour générer des gains d’efficacité, déclarait Jacques Vandermeiren, CEO de Port of Antwerp, lors du lancement de NxtPort en 2017. Les ‘big data’ représentent le moteur de l’économie du futur. ”
Modérateur de données
Avec 2 ans de recul, NxtPort peut se flatter de plusieurs initiatives réussies. Le point de départ est resté inchangé : la plateforme consolide les données que se partagent les différents acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Par ailleurs, cette solution fournit des données indispensables au développement de nouvelles applications. L’un des premiers adhérents à NxtPort est Port+, une entreprise qui fournit des services intégrés notamment en matière de suivi des navires de mer pour les compagnies maritimes, agents de navigation, partenaires nautiques et sous-traitants. Les activités de Port+ s’appuient sur des informations centralisées sur l’arrivée et le départ des navires de mer. Dans les premiers temps – l’entreprise existe depuis 1905 – , Port+ collectait ses données via des postes de surveillance gérés par des personnes qui transmettaient leurs informations par télégraphe. Aujourd’hui, ce travail est totalement numérique.
” Nous proposons des informations concrètes sur le trajet d’un navire dans le port, explique Benoît Lebrun de Port+. Cela permet d’améliorer l’efficacité de l’ensemble de la communauté portuaire. Les agents maritimes sont informés de l’arrivée de ‘leur’ navire, ce qui permet de mieux planifier les opérations dans les terminaux. Les sous-traitants en carburant, pièces détachées et denrées alimentaires savent très précisément quand ils doivent se présenter à quai. ” Les infos de Port+ alimentent donc le planning de l’ensemble des acteurs concernés. L’entreprise aime d’ailleurs à se considérer comme une sorte de modérateur de données pour les entreprises actives dans le port.
Sur la voie de la rupture
NxtPort ambitionne surtout d’accélérer l’innovation dans le port. Cela étant, sa plateforme ne devrait pas se limiter au port d’Anvers uniquement. En effet, le port considère NxtPort comme un élément d’un vaste réseau de plateformes connectées. L’un de ses atouts est précisément le fait qu’Anvers est, après Houston, le plus grand complexe chimique au monde. Reste qu’en matière de numérisation, le secteur de la chimie reste globalement à la traîne. A ce niveau également, l’optimisation constitue le levier principal puisqu’il s’agit de rendre le trajet d’un produit le plus efficace possible et que la technologie numérique peut assurer un suivi optimal. Mais il va de soi qu’il est impensable que chaque entreprise ou chaque maillon de la chaîne développe sa propre plateforme. Une solution commune permettant aux entreprises de collaborer – comme le modèle de NxtPort le suggère – se révèle certainement bien plus intéressant.
Pourtant, cette nouvelle technologie pourrait tout aussi bien représenter une menace pour certains services logistiques classiques, comme le montre l’exemple d’Abbott. Cette entreprise ne fabrique plus ses applications médicales – comme des prothèses de valve cardiaque – de manière centralisée aux Etats-Unis, mais réalise des impressions 3D de ces prothèses sur-mesure pour le patient, ce qui limite le transport à l’intervention d’un service de courrier local. Et lorsqu’Abbott installera son imprimante 3D directement dans l’hôpital, les coûts de transport disparaîtront même totalement. Certes, pas question de ne plus avoir besoin de port demain, mais l’exemple donne à réfléchir. Serait-on sur la voie de la rupture?
Processus rationalisé
Si l’on examine d’autres exemples d’innovation numérique dans des entreprises portuaires, on constate une dichotomie. Alors que les initiatives visent par priorité l’amélioration de l’efficacité et de la productivité, le potentiel le plus important se situe en général dans le partage de données : réception, traitement, enrichissement et transmission au maillon suivant de la chaîne. Un bel exemple à cet égard est celui d’ICO. Cette entreprise dispose de terminaux à Zeebruges et Anvers qui lui ont permis d’occuper une position privilégiée comme partenaire de l’industrie automobile. Chaque année, les terminaux d’ICO en Flandre accueillent quelque 2 millions de voitures, qu’il s’agisse d’importations pour le marché européen ou d’exportations au départ d’usines européennes.
L’administration du contrôle des dégâts aux véhicules se faisait autrefois en Excel. Il s’agissait là d’un travail chronophage et qui freinait le transfert d’informations vers les autres acteurs concernés comme les gestionnaires de dommages des assureurs et les ouvriers chargés des réparations. Désormais, ICO est parvenue à numériser ce processus tout en le rationalisant. Pour ce faire, l’éditeur de logiciels iAdvise de Kontich – une entité de l’écosystème Cronos – a développé une application sur-mesure basée sur Oracle APEX. Les employés d’ICO établissent un rapport de contrôle pour chaque voiture se trouvant sur le terminal. Si un dégât est constaté, celui-ci est rapporté dans l’appli. Les experts externes utilisent la même appli pour leur contre-expertise. De même, les gestionnaires de dégâts et les monteurs ont recours à cette appli. Toutes les parties concernées partagent donc les mêmes données, ce qui rend l’ensemble du processus beaucoup plus efficace, depuis le contrôle jusqu’à la remise en circulation du véhicule en passant par l’approbation de la réparation et la réparation proprement dite. Le risque d’erreurs est moindre et ICO est en mesure de respecter plus facilement les délais contractuels du processus.
Info trafic en temps réel
Pour sa part également, le port de Zeebruges joue la carte du numérique. Plus tôt dans l’année, il a lancé l’application Flux Trucking développée par le port lui-même en collaboration avec Be-Mobile, une entreprise belge spécialisée dans l’analyse en temps réel d’infos trafic qui sont ensuite transmises à des systèmes de navigation et des applications mobiles notamment. Via Flux Trucking, les chauffeurs de camions reçoivent notamment des mises à jour en temps réel sur l’état du trafic dans le port, sur l’accès aux terminaux et sur l’état des ponts et écluses. L’appli associe différents flux de données, ce qui permet aux chauffeurs de prévoir une heure d’arrivée qui tient compte non seulement du trafic, mais aussi des temps d’attente dans les terminaux. Si un camion n’arrive pas à l’heure prévue au port, les gestionnaires des terminaux peuvent en tenir compte. Ainsi, il est possible de guider le camion vers un parking avant de le rappeler par la suite lorsqu’un nouveau créneau est disponible. L’appli contribue ainsi à l’optimisation de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.
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