Le numérique modifie les rapports de force dans la finance
Les prestataires de services financiers se trouvent en pleine transition numérique. Les banques classiques tentent de se réinventer, alors que les fintechs et autres néobanques se positionnent à la fois comme partenaires et concurrents.
Rik Coeckelbergs est le fondateur de Banking Scene, une plateforme destinée aux banquiers et aux acteurs fintech. Il organise presque chaque semaine des tables rondes sur la numérisation du secteur financier. “La crise du coronavirus a fortement élargi le périmètre d’action de la banque numérique, estime-t-il. Le client constate que l’expérience numérique lui permet de gagner du temps et d’éviter des déplacements inutiles.”
Cela dit, Rik Coeckelbergs constate encore un décalage entre l’aspect humain de la banque et les applications numériques disponibles. “L’activité bancaire vise à stimuler la santé financière des personnes et des organisations. Dans ce contexte, les banques perdent pourtant de vue le lien émotionnel qu’elles tissent avec leurs clients.” Rik Coeckelbergs fait référence à cet égard à la Discovery Bank sud-africaine. Cette banque attribue un état de bien-être financier à chacun de ses clients, auquel elle associe des taux d’intérêt et de prêt. Le client qui parvient à améliorer sa gestion financière se voit attribuer un statut plus élevé et peut dès lors bénéficier de conditions plus avantageuses et de primes supplémentaires.
Le génie est sorti de la bouteille. Les entreprises savent quelle voie emprunter dans le domaine du numérique.
Fintech et big tech
Les fintechs jouent un rôle sans cesse croissant au sein de l’écosystème financier. “Mais elles forment un groupe hétérogène, analyse Rik Coeckelbergs. Il s’agit d’une part de startup qui approchent directement le consommateur avec leurs services financiers et, d’autre part, de jeunes pousses qui assistent les banques dans leurs projets de numérisation. Elles font toutes en sorte que les grandes banques restent en éveil.”
Par ailleurs, Coeckelbergs considère que les big tech jouent un rôle sans cesse croissant dans le monde financier. “Des entreprises comme Apple et Google ambitionnent de se positionner également comme des banques, mais tentent d’approcher le marché dans le cadre de partenariats stratégiques. Leur intérêt se porte surtout sur les données que de tels partenariats pourraient générer. Aux Etats-Unis, où les revenus sur les cartes de paiement sont plus élevés et où la réglementation est actuellement un peu plus souple, Apple a par exemple lancé sur le marché la carte de crédit semi-numérique Apple Card, tandis que Google s’est alliée à Citibank et à d’autres acteurs.”
Synergie belge
Faut-il envisager l’accord entre Proximus et Belfius sous le même angle? “La dimension des données est présente puisqu’elle permet de mieux cartographier encore le ‘customer journey’, analyse Coeckelbergs. Mais il s’agit aussi d’économies d’échelle et d’accès à de nouveaux clients. Leur concurrent KBC lance aussi des services numériques pour séduire de nouveaux consommateurs. Ce qui frappe, c’est que la plupart des clients acceptent les hausses des coûts bancaires induits par de telles innovations.”
Pour leur part, les néobanques totalement numériques peinent à gagner des parts de marché. “Leur défi majeur est d’offrir au client un ensemble de services financiers suffisamment large, considère Rik Coeckelbergs. Ces néobanques se spécialisent souvent dans une seule ou quelques services bancaires, ce qui oblige le client à s’adresser à une autre banque pour un prêt immobilier par exemple. Les néobanques doivent mettre en corrélation ce problème de dimensionnement à une structure de rentabilité. Du coup, je considère que la percée définitive se fera encore attendre.” En outre, certaines de ces néobanques sont nées comme alternatives à des banques classiques, tout en en faisant désormais parfois partie. C’est ainsi que BNP Paribas a racheté voici quelques années la néobanque Nickel pour en poursuivre les activités sous sa propre marque.
Standardisation internationale
“Dans le monde du paiement B2B, une standardisation internationale est en cours, constate Patrick Dalle, ‘product marketing manager’ chez Isabel Group, une fintech spécialisée dans les applications pour les entreprises. Tant la domiciliation que le standard CODA pour les extraits de compte sont des initiatives purement belges qui ne fonctionnent pas à l’étranger. Au cours des dernières années, la norme ISO 20022 a permis aux banques et aux entreprises d’échanger des données financières de manière standardisée, chacun parlant alors la même langue.”
La réglementation PSD2 oblige les banques à ouvrir à des tiers agréés leurs informations et données via des API. PSD2 ouvre également la voie à des vues d’ensemble en temps réel par l’intégration des informations bancaires dans un ERP ou un logiciel comptable, une fonctionnalité qui intéresse de nombreux entrepreneurs selon Patrick Dalle. “Celui qui exécute un paiement d’une valeur de plusieurs millions d’euros au départ de son application d’entreprise veut s’assurer qu’au moment du paiement, le solde de son compte est suffisamment approvisionné. De même, le concessionnaire automobile pourra, dès réception d’un paiement, contacter le client pour la remise des clés.”
Identité numérique professionnelle
Une autre tendance identifiée par Patrick Dalle est celle de l’identité numérique professionnelle. “L’authentification personnelle via ITSME est entre-temps déjà bien implantée. Mais dans le monde B2B, il peut être pratique de confirmer non seulement son identité comme personne physique, mais aussi sa fonction et ses mandats au sein de l’entreprise. C’est ainsi qu’une identité professionnelle permet de savoir avec précision si tel collaborateur est habilité ou non à commander une voiture de leasing ou à accéder à certaines informations. Cette identité professionnelle permet d’éliminer tout un tas de processus manuels.”
Accès à la Bourse à distance
Si UnifiedPost est une entreprise qui assiste ses clients dans leur numérisation, la crise du coronavirus a confronté cet acteur fintech en coulisses à un scénario que personne n’aurait imaginé voici un an encore. “Nous sommes entrés en Bourse en pleine crise de la Covid-19, explique son CEO, Hans Leybaert. L’ensemble du processus s’est fait totalement à distance, par vidéo. Durant toute cette période, je n’ai rencontré aucun investisseur en face à face.” Il en a été de même pour les 6 acquisitions faites par UnifiedPost durant l’année écoulée. Ces opérations ont été entièrement traitées par vidéo. “Tout le monde a appris à connaître l’efficacité de la vidéo, poursuit Leybaert. Cela étant, nous savons désormais mieux que personne l’importance d’une réunion en présentiel.”
Mais l’expérience du télétravail et des réunions numériques a-t-elle incité les PME belges – le public cible d’UnifiedPost – à aborder la numérisation de ses processus financiers? “Des progrès ont certes été enregistrés, estime Hans Leybaert. Mais le concept de facturation numérique recouvre encore souvent une combinaison de PDF et de courriels, ce qui n’est en fait rien de plus que l’équivalent numérique d’un pigeon voyageur qui achemine une facture papier (rire). En ce qui concerne la véritable communication pilotée par la donnée – l’intégration automatique des données, par exemple d’une facture, dans un système d’entreprise, nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements.”
La numérisation facilite le contrôle
Cela étant, Hans Leybaert envisage l’avenir avec sérénité. “La prise de conscience est bien présente. Le génie est sorti de la bouteille. Les entreprises savent quelle voie emprunter dans le domaine du numérique. Reste à présent à mettre le tout en pratique.” Cette tendance se dessine sur un marché relativement fragmenté et une consolidation parmi les nombreux acteurs semble inéluctable. Dans le même temps, les pouvoirs publics peuvent jouer un rôle de locomotive. “L’Italie a fait un grand pas en avant en rendant la facturation électronique obligatoire partout. Et la France lui emboîtera le pas prochainement. Reste que ce ne sont pas tant les avantages de la numérisation qui constituent le moteur de cette évolution, mais bien le fait que les autorités vont pouvoir surveiller plus facilement les flux de données, et ainsi faciliter les contrôles TVA.”
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