Le casque RV pour la concentration
Huit ans après son grand retour, la réalité virtuelle voit ses possibilités littéralement exploser dans le cadre des réunions d’entreprise avec un casque de RV. Si une adoption à grande échelle n’est pas pour demain, les ambitions demeurent grandes.
Un homme déguisé en cowboy, avec une chemise à carreaux en flanelle et un Stetson en paille vient s’asseoir à côté de moi et lève la main. Je change quelque peu de place, n’ayant pas la moindre idée de qui cela peut être, jusqu’à ce qu’il se présente via ‘chat’: un collègue néerlandais. Un quart d’heure plus tard, quelqu’un d’autre agite la main derrière moi sans que je puisse également le reconnaître. Et qu’est-ce que je constate, après des éclaircissements sous forme de texte: qu’il s’agit de mon rédacteur en chef. Eh non, nous ne nous sommes pas retrouvés tous les trois au carnaval (même si on n’en est pas loin). Nous ne nous trouvons pas davantage au même endroit physique: Kristof est chez lui à Alost, mon confrère néerlandais est à Opsterland en Frise, tandis que je les accueille depuis mon petit bureau de Diest.
Chacun devant son ordinateur, nous portons le tout nouveau casque de réalité virtuelle HP Reverb G2, ce qui permet à nos représentations numériques respectives de nous rencontrer dans AltSpace VR, une plateforme en ligne mise au point par le géant technologique Microsoft pour permettre l’organisation d’événements en réalité virtuelle. HP l’a utilisée récemment comme cadre pour une présentation de son nouveau casque de RV qui devrait être disponible cet automne dans le commerce. “Toute entreprise, quelle que soit son histoire, peut tirer parti de la RV, estime Cécile Tezenas Du Montcel, ‘EMEA xR lead’ chez HP durant la présentation. C’est ainsi que si vous voulez organiser des formations, la RV vous permet selon des études d’atteindre un taux de rétention de la matière jusqu’à 90%, soit nettement plus que d’autres méthodes d’apprentissage. C’est pourquoi nous nous lançons également dans la réalité virtuelle: il y a un retour sur investissement tangible pour les entreprises qui l’utilisent.”
Infantile
L’expérience AltSpaceVR a un goût de déjà-vu avec Second Life ou Entropia Universe, deux univers numériques qui, voici une quinzaine d’années, semblaient vouloir révolutionner le monde, mais qui ont rapidement décliné. En d’autres termes, faut-il voir ici un monde 3D animé par des personnages numériques qui sont la représentation physique (entendez l’avatar) des participants. Si, tout comme par le passé, il était désormais possible de se rencontrer et d’échanger des messages ‘chat’, le fait que la plupart des utilisateurs de RV ou d’AltSpaceVR disposent d’un contrôleur de mouvements sur leur installation RV (même s’il est possible de se connecter simplement via un écran plat d’ordinateur) signifie notamment que le langage corporel s’inscrit plus facilement dans la communication.
“De telles réunions RV, notamment au niveau de l’approche visuelle, sont encore un peu dans une phase de tâtonnements, estime Wim Wouters, expert en RV et cofondateur de l’agence anversoise de RV Poppins & Wayne. “En ce qui concerne AltSpaceVR, vous avez raison de dire que c’est assez infantile, sachant que l’on trouve des espaces de réunion en RV qui adoptent un tout autre contexte visuel. En outre, la prise de contact avec l’interface est relativement liée à l’âge: les natifs numériques s’y habitueront un peu plus rapidement.”
Prolifération limitée
Comme pour la grande majorité des outils numériques, l’adoption professionnelle de la RV marque une cassure entre les générations: les personnes de 40 ans et plus auront tendance à estimer que c’est n’importe quoi, alors que les milléniaux et les premiers représentants de la génération Z qui arrivent sur le marché se sentiront davantage à l’aise dans ces environnements totalement virtuels, étant la première génération à avoir grandi avec les jeux vidéo tridimensionnels. Ce constat a été largement confirmé vu l’enthousiasme débordant manifesté par les jeunes présents à l’événement HP: alors que cette présentation étonnait et perturbait votre serviteur, les plus jeunes manifestaient beaucoup d’enthousiasme à participer.
“Vous êtes ‘physiquement’ présent, ce qui vous rend plus engagé – après avoir appréhendé ce tout nouveau type d’environnement”, précise Ian Hughes, ‘senior research analyst’ au cabinet 451 Research qui ajoute se spécialiser dans la réalité virtuelle depuis le début des années 1990. “C’est là que se situe l’intérêt: captiver davantage votre auditoire sans devoir les houspiller.”
AltSpaceVR n’est pas, et de loin, le seul espace en ligne pour l’organisation de réunions professionnelles en RV. C’est ainsi que ces deux dernières années, on a assisté à une prolifération de plateformes, avec notamment MeetinVR, VirBELA, Immersed VR, engagevr.io et Alcove VR. A présent que ces plateformes sont disponibles, reste à atteindre la masse critique d’entreprises et d’utilisateurs de cette technologie. Or la courbe n’évolue plus depuis 2 ans dans la bonne direction. En 2020, à peine 4,9 millions de casques RV ont été vendus dans le monde, entreprises et particuliers confondus, comme l’indique l’étude du cabinet américain Superdata Research. Or en 2019, les ventes atteignaient encore 5,8 millions, pratiquement autant qu’en 2018.
“On se trouve évidemment confrontés au phénomène de la poule et de l’oeuf, remarque Wouters. L’intérêt grandit à mesure que la technologie s’améliore et que le contenu disponible s’enrichit. Ce contenu a d’ailleurs été disponible nettement plus vite que l’actuelle génération de matériel RV. C’est ainsi qu’en 1999, il existait déjà un rendu RV basique du centre de ma ville natale Mol en VRML, un ‘markup language’ à l’époque déjà spécifiquement conçu pour être reconnu par un casque RV.”
A chacun son univers
Les pionniers de la RV estiment que les espaces de RV conviendront surtout aux rencontres axées sur l’impact, comme les réunions et les formations. “A mon avis, ce système fonctionne nettement mieux pour des petites réunions que des conférences, estime encore Wouters. Ne serait-ce que parce qu’il retient mieux l’attention: il est impossible de suivre d’un oeil et de faire autre chose en même temps, comme dans le cas d’une réunion Zoom. De même, une conférence en RV a l’avantage de pouvoir aller nettement plus loin en termes de périmètre qu’un événement hors ligne. En outre, c’est totalement virtuel et on n’a donc pas les mêmes coûts en matériel. Et vous n’êtes plus lié au niveau du temps. Vous créez en somme votre propre univers d’entreprise en ligne. Une ‘vitrine’ virtuelle permanente qui combine réunion et conférence.”
La meilleure indication jusqu’ici de l’évolution que devraient suivre les expériences de RV professionnelles est, selon Wouters, non pas une application professionnelle, mais bien le jeu vidéo ‘Star Trek: Bridge Crew’, un jeu de RV lancé en 2017 par l’éditeur français de jeux Ubisoft et qui est quelque peu tombé dans l’oubli, même chez les joueurs de RV les plus férus. Votre serviteur se souvient de plusieurs sessions de jeu auxquelles il a participé et de la manière dont la conception du jeu obligeait les participants à se coordonner. Le système fonctionnait avec 4 joueurs qui se voyaient chacun attribuer une mission sur le pont de l’Enterprise: un pilote (chargé de déterminer le cours), un officier tactique (responsable des armes à bord), un ingénieur (pour le réglage des moteurs et de la téléportation) et le capitaine (pour gérer la coordination interne). Celle-ci était cruciale puisqu’un participant n’était rien sans l’autre: un tir de torpille nécessitait notamment que le pilote se positionne et que l’officier tactique donne l’ordre de tirer. “Une expérience de RV peut être conçue de telle manière que les participants aient besoin les uns des autres pour atteindre un objectif, précise Wouters. Cela montre qu’il est possible de mener des actions très opérationnelles dans un monde virtuel.”
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici