La nouvelle normalité

" Le télétravail à pratiquement 100% tel qu'on l'a connu en pleine crise du coronavirus ne subsistera sans doute pas. " - Johan Van Wyngere, CIIO de DP World.

Derrière toutes les visioconférences désormais populaires se cache souvent une organisation qui cherche à accélérer sa transition technologique. Reste à savoir si ce changement deviendra la norme.

La pandémie du Covid-19 a-t-elle contraint les entreprises à réaliser en deux mois une transformation numérique qui aurait dû s’étaler sur deux ans, comme l’affirmait le patron de Microsoft, Satya Nadella, dans un ‘conference call’ récent avec des analystes boursiers ? Avec, bien évidemment, l’adoption de la visioconférence comme priorité. ” Si j’étais le CEO de Microsoft, j’adopterais bien sûr exactement la même position, sourit Johan Van Wyngere, CIIO (‘chief information and innovation officer’) de l’entité anversoise de la société de stockage de conteneurs DP World. Reste que tout dépend du point de départ choisi. Je peux m’imaginer qu’une entreprise qui, avant la pandémie, n’avait aucune politique en matière de télétravail, a certainement dû refaire son retard au cours des dernières semaines. Mais pour une organisation qui, comme la nôtre et bien d’autres, était déjà bien avancée dans ce domaine, la question est surtout d’accélérer le rythme d’adoption et d’éventuellement étendre le périmètre du projet. C’est ainsi que notre personnel du service de la planification qui ne télétravaillait pas encore a été intégré dans le projet. ”

Coup d’accélérateur

Clairement, la crise du Covid-19 a boosté la visioconférence et la collaboration par vidéo. Avec les mêmes outils que ceux utilisés déjà pour entretenir le contact avec les collègues et les clients, à savoir des valeurs sûres telles que WebEx, Zoom et Microsoft Teams, ou encore de nouveaux-venus relatifs comme BlueJeans, une version reliftée d’outils assez anciens comme Jitsi ou Google Hangouts. Toutes ces solutions ont évidemment vu leur utilisation exploser. Ainsi, Zoom Technologies a enregistré fin avril déjà pas moins de quelque 300 millions d’utilisateurs par jour, tandis que Microsoft Teams a noté une augmentation du nombre d’utilisateurs journaliers, passant d’environ 30 millions au cours de la dernière semaine de février à 42 millions durant la première semaine de mars. Quant à WebEx de Cisco Systems, l’un des pionniers dans ce domaine (outre Skype for Business, ex-Microsoft Lync), il a vu le nombre de minutes de réunions en ligne de plus de 2 participants – non-compris donc les réunions ‘sur le pouce’ – atteindre plus de 20 milliards, contre ‘à peine’ 14 milliards en mars. A l’époque déjà, un tournant important avait été négocié puisqu’entre mars (le mois de l’explosion de la visioconférence dans le monde) et février (le dernier mois ‘normal’), le nombre de minutes WebEx avait déjà doublé.

” Entre mars et avril, nous avons assisté, rien qu’en Belgique, à une augmentation de plus de 160% du nombre de réunions, et ce chiffre est en hausse constante, remarque Michel Assink, ‘head of collaboration sales’ pour l’Europe du Nord de Cisco Systems, propriétaire de WebEx. Cela dit, cette croissance n’a pas été similaire partout. En fait, nous avons connu trois vagues. La première concernait les entreprises qui disposaient déjà de la technologie et ont très rapidement accéléré son adoption. Il s’agit là d’un processus très naturel puisque les utilisateurs maîtrisent déjà la technologie. Par ailleurs, parmi les entreprises dont certains départements utilisaient déjà des outils de visioconférence, et notamment le seul département ventes & marketing, l’extension vers d’autres utilisateurs s’est faite assez vite. Mais pour nombre d’organisations, la technologie était nouvelle. La plus forte pénétration s’est faite notamment dans le secteur public, même si les PME et les écoles y ont également adhéré. Pour bon nombre de ces organisations, la technologie n’était pas totalement inconnue, mais l’utilisation journalière durant ces deux derniers mois a été quelque chose de complètement nouveau. Le processus d’apprentissage a été extrêmement rapide. De même d’ailleurs que l’acceptation et l’adoption : de nombreuses entreprises n’étaient pas spécialement récalcitrantes face à cette technologie, mais plutôt par la possibilité de permettre le télétravail. De nombreux managers ont rapidement changé leur vision des choses. ”

Pression maximale

Pour l’un des fournisseurs, la situation s’est révélée délicate. Marco Bal, ‘principal systems engineer’ pour le Benelux chez le fournisseur d’infrastructures de données Pure Storage, ne veut (et sans doute ne peut) dévoiler son nom, mais ” la demande était très forte. Il n’est dès lors pas difficile d’imaginer ce qui aurait pu se passer. Le besoin de capacité était urgent et nous avons pu livrer assez rapidement. Nous y avons répondu en fournissant évidemment de la capacité physique. Or pour de telles applications, il est très important dans le même temps de disposer d’une plateforme de données sous-jacente qui soit rapide, simple et ultra-fiable. Non seulement pour le déploiement, mais aussi pour la gestion. ”

Il va de soi qu’une telle explosion du trafic vidéo met également une pression maximale sur l’infrastructure Internet – au sein et en dehors du réseau d’entreprise. ” L’impact premier consécutif à cette brusque explosion concernait évidemment le réseau domestique des employés, note Assink. Mais l’augmentation du ‘tunneling’ de données, via un VPN par exemple, a bien sûr aussi impacté les réseaux d’entreprise. Or cette connexion entre le bureau et le domicile doit être optimisé. En tant que fournisseur cloud, nous avons naturellement aussi dû accroître nos capacités pour continuer à offrir de la bande passante partout dans le monde. L’impact sur la capacité des réseaux a été très visible. On constate une tendance à l’optimisation du réseau, tendance qui se manifestait d’ailleurs déjà avant la pandémie. Nous constatons de plus en plus que certaines charges de travail sont d’abord traitées sur le réseau interne de l’entreprise, au sein d’un ‘wide area network’, avant d’être acheminées au besoin dans l’environnement public. Ce faisant, on parvient à équilibrer la demande de capacité et la qualité. ”

Transformation

A présent que la pandémie tend à ralentir, la question se pose de savoir comment les entreprises vont réagir. Parmi les employés, le déclic s’est en tout cas fait : une récente étude d’IBM montre en effet que 54% des 25.000 répondants souhaitent voir le télétravail s’imposer comme le premier mode de travail. Reste à convaincre les employeurs. ” Le télétravail à pratiquement 100% tel qu’on l’a connu en pleine crise du coronavirus ne subsistera sans doute pas et j’ai l’impression qu’il ne correspond pas vraiment à une demande des employés, ajoute Van Wyngene. Mais je pense que nous avons désormais appréhendé collectivement l’opportunité des outils de visioconférence. L’engagement de nos employés n’a pas faibli durant cette période. Les outils en question leur donnent davantage de possibilités de rester en contact entre eux ainsi que de collaborer de manière efficace. Le rôle des outils de réunion numériques en tant que facilitateur de ce télétravail intelligent ne pourra plus être éclipsé. Je ne possède pas de boule de cristal, mais on en arrivera sans doute à un meilleur équilibre entre réunions à distance et en face-à-face. ”

Par ailleurs, selon Assink, l’évolution obligatoire vers le télétravail a surtout montré que les possibilités étaient bien plus vastes qu’imaginé au départ. ” A mesure que l’on retournera à la vie normale, le nombre de minutes d’utilisation ira sans doute en diminuant. Mais l’adoption de la visioconférence deviendra probablement une constante. L’élément crucial n’est pas l’utilisation massive de la technologie, mais l’optimisation des périodes de travail. La technologie a démontré sa faisabilité. Dès lors, pourquoi ne pas abandonner ses déplacements et organiser ses rendez-vous en partie par visioconférence afin d’éviter ainsi les files ? D’ailleurs, le travail en équipe a également changé : se retrouver autour d’une table prendra une tout autre signification à l’avenir. ”

Les outils

Quelles sont aujourd’hui les solutions de visioconférence et de collaboration vidéo ? Analysons les 6 outils populaires.

Zoom

? Positif: le nombre d’utilisateurs simultanés pouvant participer à une conversation vidéo, 49 plus l’utilisateur lui-même, est relativement impressionnant. En outre, il est possible d’organiser des réunions par vidéo avec jusqu’à 100 personnes simultanément (et, dans le plan Entreprise le plus coûteux, même 1.000), même si l’affichage ne peut évidemment se faire dans une seule fenêtre.

? Négatif: Des doutes existent, et c’est un euphémisme, concernant la sécurité et la protection de la vie privée garanties.

Microsoft Teams

? Positif: La synchronisation avec Office 365/Outlook, un atout lors de l’enregistrement d’une réunion et le partage de l’écran. Des fonctions avancées, comme l’IA qui permet la reconnaissance de l’écriture manuscrite. Le nombre total de participants à une seule réunion virtuelle a récemment été sensiblement augmenté pour passer de 100 à 250.

? Négatif: Le nombre de participants visibles simultanément sur un écran est passé de 4 à 9, mais cela reste peu par rapport aux 49 de Zoom.

WebEx

? Positif: Cisco possède sa propre infrastructure, ce qui garantit la qualité de la connexion vidéo et audio. L’entreprise s’appuie aussi sur un standard ouvert, ce qui permet d’intégrer facilement WebEx aux points finaux vidéo existants dans l’entreprise. Fonctionnalités multiples, sécurité solide.

? Négatif: Le prix de base d’un abonnement est parmi les plus élevés du marché. Toutes ses fonctionnalités ne facilitent pas la clarté.

BlueJeans

? Positif: Interface claire avec possibilité de vues multiples. Fonction d’atténuation par utilisateur. La technologie audio est supportée par Dolby Voice avec atténuation du fond sonore.

? Négatif: Pas de version gratuite. Peu ou pas de fonctions de collaboration (à l’exception d’un tableau blanc virtuel et des notes).

Google Meet

? Positif: Interface minimaliste reposante. Intégration avec la G Suite, le logiciel de bureautique en ligne de Google. Prix attractif, surtout compte tenu de possibilités relativement avancées.

? Négatif: L’intégration G Suite serait nettement plus intéressante si les applications de productivité de Google étaient plus populaires : le service compte entre 5 et 10 millions d’utilisateurs, alors qu’Office365 en recense 200 millions déjà.

Jitsi Meet

? Positif: Du fait de son origine ‘open source’, Jitsi est stable et en tout cas transparent en termes de sécurité et de vie privée. Les organisations peuvent utiliser Jitsi sur leur propre serveur de ‘chat’ vidéo.

? Négatif: La qualité de l’image et la stabilité ne sont pas toujours optimales. L’éditeur est toujours occupé à intégrer un cryptage de bout en bout.

“?Il est très important de disposer d’une plateforme de données sous-jacente qui soit rapide, simple et ultra-fiable.?” – Marco Bal, Pure Storage.
” L’adoption de la visioconférence qui s’est imposée à un rythme accéléré deviendra probablement une constante. ” – Michel Assink, Cisco Systems.

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