La Condition robotique
Des androïdes qui fonctionnent exactement comme des hommes et qui peuplent nos rues : selon les scénaristes du jeu vidéo ‘Detroit : Become Human’, la réalité dépassera la fiction d’ici 20 ans déjà. Le jeu se déroule essentiellement dans la ville de Detroit en 2038 où des androïdes intelligents sont devenus un produit de consommation courante. Mais subitement, ces robots deviennent trop intelligents.
Imaginez un instant que dans un proche avenir, vous puissiez acheter un robot humanoïde dans les rayons de votre magasin d’électroménager, le ramener à la maison et l’utiliser directement pour les tâches ménagères. Finis les embêtements, les complications et les conflits dans la vie familiale : ce robot est simplement programmé pour certaines tâches et rien d’autre. Tel est le point de départ de ‘Detroit : Become Human’, un jeu vidéo disponible depuis peu sur la console PlayStation 4.
Dans ce jeu, vous vous mettez dans la peau de Kara et Markus, deux androïdes destinés, dans le monde imaginé par les scénaristes, à accomplir des tâches ménagères et d’assistance aux moins-valides et qui, au début du jeu, semblent être confinés à différentes tâches qui paraissent complètement absurdes – du moins dans un jeu vidéo. Et notamment acheter de la peinture pour un peintre moins-valide qui est la propriété de Markus. Ou nettoyer le logement d’un bon à rien chômeur Todd Williams et de sa fille maltraitée Alice.
Bref, ces robots font simplement le travail pour lequel ils sont programmés, sachant qu’au début du jeu, le joueur n’a d’autre choix que de suivre les missions imposées. Mais subitement, les choses changent : le programme de Kara et Markus disjoncte pendant un moment de crise (chez Markus, l’intervention du fils de son maître et chez Klara une dispute malheureusement courante dans la maison de Williams).
Drame interactif
En d’autres termes, vous vous retrouvez, dans ‘Detroit : Become Human’, dans la peau d’un robot qui devient en somme un ‘humain’. L’intérêt pour la ‘Condition humaine’ se retrouvait déjà comme fil rouge dans d’autres jeux vidéo de Quantic Dream, le studio de jeux parisien qui est à l’origine de jeux comme ‘Fahrenheit’ (2005), ‘Heavy Rain’ (2010) et ‘Beyond : Two Souls’ (2013). Il s’agissait à chaque fois de jeux destinés à tester le caractère humain tant de leurs personnages que de celui du joueur aux commandes. Des jeux que les auteurs qualifient eux-mêmes de drames interactifs : les choix de dialogues parfois durs guident le récit. Dans ‘Detroit : Become Human’, une dimension supplémentaire est ajoutée dans la mesure où les auteurs aident à découvrir l’humanité de 3 robots humains.
” Le plus effrayant dans les androïdes de ‘Detroit : Become Human’ est qu’ils commencent à penser à votre place, à prendre leurs propres décisions, explique Adam Williamsn, lead writer chez Quantic Dream. Ils deviennent des personnes. Ce qui crée du coup un conflit : lorsqu’une machine prend ses propres décisions, vous en perdez le contrôle. D’où cette question de société qui traverse l’ensemble du récit de notre jeu : où cela va-t-il nous mener ? Nous imaginons une société où l’homme commence à accepter que des androïdes deviennent des médecins et des infirmières. Mais c’est évidemment à un moment où ils sont encore totalement soumis aux hommes qui leur donnent des instructions. Qu’arrive-t-il lorsque cet élément disparaît. ”
Monde en mouvement
Dans la 2e partie du jeu, le drame est poussé plus loin encore : Kara s’enfuit avec Alice, Markus commence une sorte de robo-révolution, et Connor, le 3e humanoïde qui fait office d’agent de police, est confronté au cours d’une enquête à son dilemme homme-machine. Le monde dans lequel se déroule le jeu n’est pas de la science-fiction, tient à insister Williams : il s’agit d’un monde futur spéculatif où différentes technologies qui existent aujourd’hui sont développées vers un stade plus avancé. Dans cette optique, le choix de Detroit, la ville américaine qui fut en son temps le berceau de l’industrie automobile, n’a rien d’un hasard, précise Williams. ” Le scénario du jeu part du principe que des humanoïdes joueront un rôle aussi fondamentalement radical dans notre société que l’automobile à l’époque. Detroit peut faire valoir un historique de ville qui a changé définitivement la manière dont le monde s’est organisé. ”
Machine
Les prévisions funestes selon lesquelles l’IA et la robotique prendront un jour le pas sur l’homme se font désormais toujours plus nombreuses et plus fortes à mesure que la technologie se développe à un rythme effréné. Avec ‘Detroit : Become Human’, Quantic Dream analyse cette problématique sous l’angle des machines. En tant qu’homme, vous entrez en somme dans la ‘peau’ d’un robot. ” Les jeux vidéo exploitent évidemment l’interactivité, précise Williams. Ce faisant, ils offre une occasion unique de permettre aux joueurs de répondre à des questions pour lesquelles il n’y a pour l’instant aucune réponse toute faite. Quand une machine devient-elle plus qu’une machine ? Notre tâche comme scénaristes consiste à imaginer le contexte dans lequel ces éléments peuvent être exploités. Le jeu n’est jamais aussi intéressant que lorsqu’il vous permet de commander également un personne humaine : vous êtes une personne qui interagit avec la technologie. Celle-ci peut-elle éveiller en vous certains sentiments ou non ? La question de l’interaction entre l’homme et la technologie devient une méta-question. L’homme devrait, tout comme les personnages de ‘Detroit : Become Human’, se sentir à l’avenir toujours mieux à même de faire preuve d’empathie face à un être intelligent artificiel. Le jeu explore, en compagnie du joueur, dans quelle mesure cela est déjà possible aujourd’hui.”
Entre-temps, dans la vie réelle…
Pour toute cette exploration de la ‘condition humaine’ dans laquelle ils se sont lancés dans leurs jeux précédents, les fondateurs de Quantic Dream sont manifestement à blâmer sur le plan humain selon une récente enquête menée par le quotidien français Le Monde, le magazine Canard PC et le site d’actualité Mediapart. Les auteurs de l’enquête ont interrogé une quinzaine de collaborateurs actuels et passés de l’éditeur de jeux vidéo parisien et leur témoignage n’était pas tendre à l’égard de la direction. Ceux-ci confient que des semaines de travail de 60 h ne sont pas exceptionnelles pour les 180 programmeurs, les artistes numériques et les concepteurs employés par le studio. Et lorsque ceux-ci demandent à pouvoir quitter à 19 h, un courriel collectif du cofondateur Guillaume de Fondaumière précisait que ” pour ceux qui préfèrent un boulot de fonctionnaire, 4.000 postes de gardiens de prison sont ouverts. ”
La culture d’entreprise de Quantic Dream est qualifiée de ‘toxique’ par l’enquête des 3 médias, sans parler du comportement abusif des fondateurs De Fondaumière et David Cage, les pères spirituels des jeux du studio. C’est ainsi que les témoins font état de propos homophobes, sexistes et racistes. Ainsi que, de la part de De Fondaumière, d’attitude déplacée envers les collaboratrices féminines.
Les fondateurs, également interrogés, ont réagi. ” Très surprenant “, ” choquant ” et ” indignés ” par les propos. Enfin, les témoignages étayés par des documents, dont des courriels publics des fondateurs eux-mêmes, ont été ” sortis de leur contexte “.
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