La Belgique exporte ses prestataires de service
Globalement, le numérique vise à améliorer l’efficacité des organisations. Entendez, faire plus avec moins. Or il y a peu de secteurs où les moyens sont à ce point limités que dans la culture. Du coup, la numérisation est déjà bien entamée, grâce à quelques start-up belges.
Honnêtement, nous avons été surpris de le constater, mais force est de constater que nombre de petites salles de concert, de théâtres et de centres culturels belges sont aujourd’hui pleinement engagés dans la révolution numérique. Tout qui souhaite des places pour Amadeus ou le Théâtre de Namur peut aujourd’hui les acheter en ligne. Mais si vous désirez voir Ben Goldberg & Michael Coleman au Singer, un minuscule club de jazz de Rijkevorsel, vous pouvez aussi acheter vos tickets sur le Net. Via Ogone, manifestement, un système largement utilisé par de nombreuses boutiques en ligne.
Pourtant, le numérique dans le secteur belge de la culture semble surtout être le terrain de jeu d’une poignée de petites sociétés. Des entreprises relativement jeunes, innovantes et surtout belges. En Wallonie, de nombreux centres culturels et petites salles de concert se tournent vers uTick, un logiciel de billetterie dans le cloud de la start-up Mediamorphose. Pour leur part, les grandes salles de concert comme Botanique ou AB Concerts exploitent le logiciel de Ticketmatic, une petite société belge fondée voici 12 ans. ” Nous avons mené des recherches auprès de personnes ayant des affinités avec la culture et la musique pour constater que la billetterie constituait le processus crucial de nombreuses organisations culturelles, explique Erik Lesire, CEO de Ticketmatic. Il s’agit en effet du moment où intervient une interaction avec le public et où une grande partie de l’expérience du client avec la salle se forge. Nous avons constaté qu’il y avait à ce niveau encore largement place pour de l’innovation. ”
Les subsides diminuent, ce qui a obligé les acteurs à optimiser le fonctionnement.
En effet, jusqu’il y a quelques années encore, les systèmes de billetterie étaient encore construits de manière relativement classique en prenant comme base le fonctionnement de la caisse. Or Ticketmatic y a apporté une dimension ‘le client est roi’, intervient Lesire. ” Notre priorité était une bonne expérience en ligne et la collecte de données, afin de permettre aux clients d’améliorer leur processus de vente de tickets et de renforcer leurs liens avec le public. ” Désormais, Ticketmatic traite quelque 10 millions de tickets par an, soit un peu plus de 1 million ? de vente de tickets.
La culture dans le cloud
C’est une approche identique qu’a adapté Yesplan, une autre jeune pousse belge qui fait un tabac dans le monde culturel depuis sa création en 2011. ” Officiellement, nous sommes une scale-up “, précise Wouter Vermeylen, CEO de Yesplan. Sa société commercialise un ERP dans le cloud ciblant le back-office de maisons de la culture et de petites salles de concert, ce qui en fait un leader du marché en Flandre et aux Pays-Bas. ” J’ai moi-même travaillé au Vooruit [la maison de la culture de Gand, NDLR] où nous avons recherché une solution sur le marché “, confie Vermeylen. Sachant qu’il a fondé son propre éditeur de logiciels, on aura vite compris que sa quête n’a pas été sans mal. ” Les systèmes existants posaient certains problèmes, notamment ceux de Microsoft et de SAP, remarque-t-il. Ces solutions étaient souvent très coûteuses, pas tellement en termes de licences, mais bien de personnalisation du produit. Dans le monde de la culture, ce n’est pas évident dans la mesure où l’argent ne coule pas souvent à flots. ”
Par ailleurs, la start-up a été confrontée à un secteur à la recherche de nouveauté. ” Nombreux étaient les produits sur le marché qui avaient été conçus dans les années 80 ou 90, remarque Vermeylen. Dès lors, les liens vers les médias sociaux par exemple n’existaient pas. Nous voulions expressément un progiciel qui soit flexible et puisse évoluer avec le secteur. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi le SaaS qui permet d’être constamment à jour. ”
International
Les deux entreprises ont d’emblée choisi de se tourner aussi vers l’international. Vermeylen : ” Il s’agit d’un petit monde et nous restons très spécialisés avec notre produit. Dès lors, il est logique de s’étendre géographiquement si nous voulons continuer à grandir. ” Yesplan part notamment à la conquête de la Grande-Bretagne, du Luxembourg, de la Suisse et de l’Autriche. De son côté, Ticketmatic dispose désormais de sièges en Belgique et à Rotterdam, tout en songeant à d’autres pays. ” Nous avons des demandes de France, d’Allemagne et de Grande-Bretagne “, précise Lesire.
Bref, il s’agit d’un secteur où notre pays pourrait jouer un rôle de locomotive ” Lorsque nous avons démarré en 2011, l’ensemble du secteur travaillait encore en Excel, remarque Vermeylen. On assiste donc à une véritable professionnalisation. ” Le fait que la Belgique embraye plus rapidement que certains pays voisins s’explique selon Vermeylen par l’effet de la crise. ” Surtout aux Pays-Bas, constate-t-il, car les subsides diminuent, ce qui a obligé les acteurs à optimiser leur fonctionnement. On constate désormais que le marché au Royaume-Uni a atteint un niveau comparable à celui de la Flandre et des Pays-Bas en 2011. Nous pensions y rencontrer de véritables concurrents, mais tel n’est pas le cas. Tout comme nous avons exporté notre culture, notamment avec Anne Teresa De Keersmaeker, nous pouvons imposer notre logiciel culturel. ”
Le logiciel ne représente que 50 % de la réponse, les autres 50 % sont du savoir-faire.
Cross-over
Si le secteur belge de la culture a déjà largement entamé sa numérisation, le travail n’est pas encore terminé. Vermeylen : ” Les centres culturels des villes et communes doivent faire plus avec moins, d’où l’émergence du cross-over. Autrefois, un citoyen possédait une carte pour le centre culturel et une autre pour la bibliothèque, voire peut-être même un document spécifique pour envoyer son enfant au camp. Désormais, la tendance est au guichet unique, avec une organisation pour assurer la coordination. Un nombre croissant de villes et communes réfléchissent en prenant le citoyen comme point de départ. ”
Dès lors, le secteur se trouve confronté à de multiples changements, d’autant qu’il n’est pas traditionnellement riche en informaticiens. ” Pour nos clients, les choses ne vont pas en se simplifiant, analyse Lesire. Ces évolutions leur sont imposées sans savoir par où commencer. Dès lors, nous devons non seulement les soutenir au plan technique, mais réfléchir avec eux à la meilleure manière de fonctionner. ”
Sur le plan technique, les deux sociétés s’appuient sur le cloud, ce qui évite à leurs clients de devoir supporter beaucoup de matériel. Lesire : ” Tout est hébergé chez nous, nous assurons la sécurité et notamment la conformité au RGPD. Mais le contrôle final reste exercé par le centre culturel. ”
Par ailleurs, le conseil reste d’une importance primordiale. ” La question que l’on nous pose est de savoir comment utiliser la quantité d’informations dont le centre dispose sur ses clients depuis de nombreuses années. Celui-ci souhaite en effet mieux exploiter ces données tout en respectant les règles “, remarque Lesire. ” Le logiciel ne représente que 50 % de la réponse, les autres 50 % sont du savoir-faire “, considère Vermeylen.
L’avenir est mobile, également dans la culture. Songez aux codes QR sur les tickets, ou aux applis qui stockent le ticket d’entrée au théâtre. De telles évolutions se rencontrent aujourd’hui aussi dans les compagnies aériennes. ” Le public est demandeur, affirme Erik Lesire de Ticketmatic. Il veut en finir avec le papier. “
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