Huawei plutôt l’intelligence intégrée que le prix

L'IA est loin d'être déjà à maturité. C'est ainsi que le système de reconnaissance faciale a classé notre journaliste comme étant une femme chinoise avec un type de coiffure inconnu.

L’entreprise que l’on connaît en Belgique surtout pour ses smartphones et sa technologie réseau entend être une locomotive dans le domaine de l’intelligence artificielle. En proposant une stratégie originale et une offre de produits tous azimuts.

A l’occasion de Huawei Connect, la conférence IA de l’entreprise organisée à Shanghai, Huawei a dévoilé une gamme étendue de solutions IA, avec comme mot d’ordre ‘full stack, all scenarios IA portfolio’ et des annonces allant des puces aux appareils en passant par les kits pour développeurs et un cadre d’outils applicatifs.

A la base de cette pile, on retrouve les puces Ascend (voir encadré) et qui se déclinent en Ascent Nano, Tiny, Lite, Mini et Max. Concrètement, il s’agit de petites solutions comme des capteurs, des applications IA ou une puce pour smartphone conçue spécifiquement pour traiter en 24/7 des commandes vocales. Dans le segment du milieu, l’entreprise a présenté notamment des stations ‘edge’ comme l’Atlas 500 capable de traiter jusqu’à 16 flux vidéo avant de les envoyer dans le cloud. Un niveau plus haut, on retrouve l’Atlas 800 que Huawei décrit comme un centre de données mobile et conçu comme le véhicule autonome du collaborateur itinérant. Des systèmes qui sont d’ailleurs également présentés par Bosch et Nvidia qui collaborent pour ce faire avec Mercedes. Pour sa part, Huawei est en partenariat avec Audi (en Chine). Enfin, le segment supérieur est occupé par des solutions pour centres de données comme le HPC (high performance computing).

Lorsque des clients choisissent Huawei, ils le font en fonction des valeurs et des services que nous offrons, pas parce que nos prix sont les plus bas. ” Bruno Zhang, CTO de l’entité Cloud

Cela dit, Huawei n’entend se limiter à proposer du matériel, mais jouer un rôle majeur dans tous les aspects situés entre la puce et l’application finale. Au-dessus de la couche puce, se situe le CANN (Compute Architecture for Neuro Net), une ‘chip operators library’ et une boîte à outils pour développeurs qui permet d’utiliser de telles puces pour l’intelligence artificielle. Par ailleurs, on trouve la couche ‘framework’, sous la forme du Huawei MindSpore, un ‘unified training inference framework’ pouvant être utilisé à la fois dans les appareils, dans l’edge et dans le cloud. Plus haut, vient la couche d”application enablement’ qui comprend notamment le HiAI Engine et le HiAI Service ainsi que des API, mais surtout ModelArts, une ‘Platform-as-a-Service’ dédiée à l’apprentissage machine.

Ce faisant, Huawei entend permettre de développer au sein d’une seule et même architecture à la fois des appareils, l’edge et le cloud. ” Chaque scénario doit être réalisable, qu’il s’agisse d’appareils qui consomment 1 milliwat ou 200 watts dans le cloud. Nous voulons ainsi offrir une puissance de calcul particulièrement évolutive et un maximum de possibilités de configuration. Et nous entendons développer un écosystème ho- listique qui couvre les appareils, le réseau et le cloud, le tout chapeauté par un écosystème. Et nous espérons que nos partenaires nous suivrons “, explique Dang Wenshuan, chief network architect de Huawei.

L’idée sous-jacente est qu’en supportant tous ces scénarios, Huawei parviendra à accélérer le développement général de l’IA, ce qui dopera à son tour le déploiement d’applications de type IA dans les entreprises.

Concurrencer Google

Les experts extérieurs suivent ce même raisonnement. Ainsi, nous avons présenté les annonces de Huawei à Rachel Alexander d’Omina, une jeune entreprise belge spécialisée en IA et apprentissage machine. ” Nos ingénieurs sont assez sceptiques et se demandent dans quelle mesure il ne s’agit pas surtout d’optimisations. Ils croient certes en l’idée d’un jeu de puces spécifique pour l’IA, même s’ils n’y voient pas une énorme révolution par rapport à ce qui existe aujourd’hui sur le marché. ” Quoi qu’elle ne partage pas pleinement ce point de vue. ” Personnellement, je vois leur annonce comme un signal que Huawei entend devenir une alternative valable par rapport à Google dans ce domaine. Une puce comme l’Ascent 910 devrait dépasser les puces de Google et Nvidia en termes de performances, ce qui est en soi déjà remarquable. Pour sa part, l’Ascent 300 est intéressante dans la mesure où le marché des puces IA basse consommation n’est pas très grand. ”

Autrefois, j’avais l’impression que Huawei ne considérait pas l’IA comme une priorité, ce qui est clairement le cas maintenant. ” – Rachel Alexander, CEO d’Omina Technologies

Rachel Alexander considère ces nouveautés surtout comme un message adressé au marché. ” Aujourd’hui, il n’y a pas de vrai concurrent au niveau de ce que fait Google. Mais avec leur ‘stack’ complet, qui fonctionne en outre avec Tensorflow, le marché pourrait être chamboulé. Autrefois, j’avais l’impression que Huawei ne considérait pas l’IA comme une priorité, ce qui est clairement le cas maintenant. Le jeu de puces est l’aspect le plus innovant, mais compte tenu de la pile proposée, Huawei apparaît comme ouvert et collabore avec Tensorflow, ce qui laisse penser qu’ils veulent être la plate-forme de développement du futur. ”

Cloud 2.0

Cette focalisation sur l’IA doit aussi permettre à l’entreprise de se distinguer de la concurrence sur le marché du cloud. Ainsi, Huawei a lancé son offre IaaS début 2017. En Chine et dans quelques pays limitrophes, l’entreprise travaille sous sa propre marque, mais dans d’autres régions, elle collabore avec des partenaires, dont KPN, Orange (la mai- son mère d’Orange Belgique) ou T-Mobile. Elle s’appuie pour ce faire sur les datacenters de ces partenaires, même si l’objectif est que ceux-ci utilisent également du matériel et des logiciels de Huawei.

Interrogée sur ses ambitions concrètes, Huawei n’entend pas se fixer des objectifs. L’entreprise aime certes à être comparée à AWS, Google, IBM, Oracle ou Alibaba, mais n’en fait pas une fixation. ” Notre volonté n’est pas d’être dans le top 3 ou le top 5, confie Bruno Zhang, CTO de l’entité Cloud, à Data News. Notre premier objectif est d’être orienté client et d’offrir ainsi un maximum de services. ”

Comment l’entreprise entend-elle progresser face à une concurrence déjà très forte ? Avec l’IA. ” Nous arrivons tardivement, mais entrevoyons de nouvelles opportunités avec l’émergence du cloud 2.0, précise Zhang. Les entreprises commencent seulement à migrer leurs applications critiques dans le cloud. Même dans des régions comme les Etats-Unis, où l’adoption du cloud a été précoce, le marché ne ralentit pas ou ne stagne pas. Il y a donc encore à l’échelle mondiale beaucoup de place pour nous imposer. Notre expérience dans les services nous donne à cet égard un avantage. En outre, de nouvelles tendances émergent aujourd’hui dans le cloud, comme l’IA. Cela va changer les méthodes de travail et les processus dans les entreprises. ” De même, l’expérience de Huawei dans les réseaux et les solutions évoquées ci-dessus, depuis les puces jusqu’aux outils de développement, devraient également faire la différence.

Confiance

Huawei entend convaincre les grandes entreprises par son avance technologique et son éventail de solutions. Mais pas forcément en étant le fournisseur le moins cher. ” Lorsque des clients choisissent Huawei, ils le font en fonction des valeurs et des services que nous offrons, pas parce que nos prix sont les plus bas. Notre offre s’articule autour d’un noyau technologique meilleur que celui de nos concurrents “, explique encore Zhang à Data News.

Reste que Huawei doit aussi convaincre, ce qui n’a rien d’évident après les accusations d’espionnage dont elle est l’objet très régulièrement aux Etats-Unis. Un élément que tient à réfuter John Suffolk, responsable de la cybersécurité et de la vie privée chez Huawei. ” Cette question m’est posée dans différents pays et c’est normal : qui est Huawei ? que se passe-t-il en Chine ? La réalité est que nous sommes fiers de notre entreprise et d’être chinois. Mais nous ne nous inquiétons pas des personnes qui disent qu’elles ne nous font pas confiance parce que nous sommes chinois. Je leur dis: rendez-nous visite et venez vérifier : nous sommes ouverts à tous et voulons être le fournisseur technologique le plus transparent au monde. Nous sommes disponibles et prêts à tout montrer. ”

Nous arrivons tardivement, mais entrevoyons de nouvelles opportunités avec l’émergence du cloud 2.0. ” Bruno Zhang, CTO de l’entité Cloud

Les partenariats conclus doivent également renforcer la confiance. C’est ainsi que Huawei collabore en Allemagne avec Deutsche Telekom, l’opérateur allemand étant responsable du datacenter et des opérations. ” Nous pouvons ainsi mieux répondre à la législation locale comme le RGPD et pouvons offrir ensemble nos services aux entreprises privées et au secteur public “, précise Zheng Yelai, président de l’entité Cloud. Une approche que Huawei n’est pas la seule à adopter. Pour preuve, Microsoft a conclu voici 2 ans un partenariat assez similaire avec l’opérateur allemand dans la foulée du scandale Prism qui a montré que les services de sécurité américain de la NSA obligeaient les entreprises technologiques américaines à collaborer avec leurs équipes. Formulé autrement : on pense que les entreprises chinoises font de l’espionnage, mais on est certain que les entreprises américaines le font.

Nouvelles puces

L’offre IA de Huawei s’articule essentiellement autour de 2 puces, les premières de la gamme Ascend. L’Ascend 310 est construite sur un procédé 12 nanomètres et sera intégrée aux plus petits appareils comme pour l’IoT, les passerelles et les smartphones. Dans les smartphones précisément, la puce viendra davantage en support que comme processeur principal. Pour sa part, l’Ascend 910, qui sera disponible au 2e trimestre 2019, est une puce en procédé 7 nanomètres avec une puissance de calcul de 256 téraflops. Celle-ci se retrouvera plutôt dans les systèmes plus puissants. C’est ainsi que Huawei planche sur un datacenter mobile pour la voiture autonome, une initiative où Audi est partenaire en Chine. Mais l’Ascend 910 servira surtout dans les applications pour centre de données. Les deux puces peuvent être associées pour former une grappe jusqu’à 1.024 puces. Cela dit, Huawei ne les commercialisera pas séparément, mais les incorporera dans le matériel Huawei ou les services cloud.

Pas aux États-Unis, mais bien en Afrique

Si la chose ne surprendra pas grand monde, il faut savoir que l’offre cloud de Huawei n’est pas disponible aux Etats-Unis. L’entreprise dispose d’un bureau à Cupertino, mais est accusée depuis des années par les politiques américains d’espionnage pour compte des autorités chinoises. Ces dernières années, les relations entre la Chine et les USA se sont détériorées, ce qui a notamment entraîné une guerre commerciale qui empêche Huawei de proposer ses services cloud dans le pays de l’Oncle Sam. En revanche, l’entreprise commercialise son offre en Russie, laquelle est actuellement boudée par les entreprises américaines, et entend s’étendre prochainement en Afrique du Sud, probablement par le biais d’un partenaire. Il s’agit là d’une région où, parmi les 3 principaux acteurs du marché, seul Microsoft Azure est disponible. Et le seul pays du continent africain, d’ailleurs.

Les puces Ascend sont intégrées dans la gamme Atlas d'ordinateurs spécifiquement IA, comme cet Atlas 500 AI Edge Station.
Les puces Ascend sont intégrées dans la gamme Atlas d’ordinateurs spécifiquement IA, comme cet Atlas 500 AI Edge Station.
Huawei plutôt l'intelligence intégrée que le prix
© Getty Images/iStockphoto

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