Dossier: l’informatique va-t-elle connaître une vague de burn-out?

Els Bellens

La pression au travail est importante et nos mécanismes de traitement ne se sont pas vraiment améliorés ces dernières années. Mais assiste-t-on à une véritable vague de burn-out et qu’en est-il dans le secteur IT?

Ces dernières années, notre niveau de stress ne s’est pas tassé, avec parfois des conséquences importantes. Ainsi, le nombre de collaborateurs ayant des risques graves de burn-out a augmenté de 61,4% en quelques années. Entre-temps, environ un tiers des collaborateurs courent le risque de devoir faire un pas de côté. Tels sont les résultats d’une étude dans laquelle le prestataire de services Securex et la KULeuven ont comparé la situation de 2018-2019 à celle de la période après-Covid. Pas étonnant d’abord que l’attention portée à ce phénomène ainsi qu’au bien-être psychosocial des employés soit désormais plus grande. Selon la KULeuven et Securex, une grande partie des plaintes porte sur des situations qui ont empiré ces dernières années, qu’il s’agisse par exemple de la charge de travail émotionnelle, de la charge privée, de l’incertitude liée à l’emploi ou de l’intensité du travail.

Vous pensez être un superman, mais à ce moment-là, le corps réagit car il ne parvient pas à éliminer le cortisol.

Pression au travail

“Il s’agit d’un phénomène de notre époque, explique Jurgen De Jonghe, responsable Data & Insights auprès du prestataire de services RH SD Worx. Le thème du burn-out gagne en importance non seulement dans le secteur IT, mais aussi en général sur le marché du travail. Cela dit, la qualification de burn-out est une notion médicale qu’il convient de laisser aux médecins.” Mais ce que des secrétariats sociaux comme SD Worx constatent, c’est une augmentation des absences d’un mois et plus. “Il est difficile de dire dans quelle mesure il s’agit là d’une conséquence de causes psychologiques ou d’une absence liée par exemple au coronavirus. Mais c’est un fait que le nombre d’absences augmente. La pression n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui”, précise encore De Jonghe.

“Il ne faut certainement pas minimiser le problème, ajoute Julie Daenen, experte psychosociale auprès du conseiller en prévention Mensura. Ces derniers temps, le stress devient un véritable problème. Durant la pandémie, nous avons commencé à télétravailler massivement et nous n’avons pas pu nous appuyer sur des systèmes qui nous étaient familiers. C’est ainsi que l’on ne voit plus personne autour de la machine à café. En outre, la charge mentale est plus forte: les employeurs connaissent moins bien notre journée de travail et en réaction, nous nous sommes imposé une pression plus grande.” Travailler plus, travailler plus longtemps, mais pas forcément être plus efficaces, note Daenen. Prester des journées plus longues ne signifie pas être plus productif, que du contraire.”

Epuisement

Mais que faut-il vraiment entendre par burn-out? La grande majorité des spécialistes que nous avons contactés pour ce dossier insiste sur le fait que le stress en soi n’est pas une mauvaise chose. “Cela peut nous rendre plus vigilant, nous permettre de nous concentrer et d’être plus productif. Mais nous devons par ailleurs être suffisamment résilients pour réagir sainement à ces situations”, note Julie Daenen.

Le stress est donc un peu comme l’eau: bonne jusqu’à un certain point de rupture. Lors d’un stress, le corps produit de l’adrénaline qui rend plus vigilant et du cortisol qui permet de rester plus longtemps dans un état élevé d’alerte. “Le problème se pose lorsque le corps libère constamment du cortisol qui reste trop longtemps à l’intérieur, explique Ann Goeman, responsable de la communication de BioRICS, une spin-off de la KULeuven qui a conçu un moniteur d’énergie. Après chaque shot d’adrénaline, le corps doit retrouver une période de calme afin que le cortisol puisse être évacué.” Si tel n’est pas le cas et que vous soyez sous stress un certain temps, des problèmes peuvent surgir. “Même si vous ne le ressentez pas directement, ajoute Goeman. Vous pensez être un superman, mais à ce moment-là, le corps réagit car il ne parvient pas à éliminer le cortisol.” C’est ce qui explique par exemple que l’on puisse tomber malade les premiers jours des vacances: en étant trop longtemps soumis au stress, le système immunitaire se dérègle.

Le burn-out peut donc se produire si l’on ne sort pas à temps d’une situation de stress chronique. Selon la KULeuven, les symptômes en sont un épuisement physique et mental, une perte de contrôle cognitif et émotionnel ainsi qu’une distance mentale par rapport au travail. En d’autres termes, vous perdez l’envie de travailler vous êtes constamment fatigué, vous commencez à subir des troubles de concentration et vous pouvez réagir de manière émotionnellement exagérée à certaines situations.

Il s’agit là de problèmes majeurs, sachant que selon Securex, jusqu’à 28,5% des travailleurs courraient un risque de burn-out fin 2021. Et même 13,4% des travailleurs seraient effectivement sur la corde raide, une augmentation sensible par rapport aux 8,3% d’avant la crise du Covid. Pour les entreprises, cela se traduit surtout par des congés de maladie. L’absentéisme à moyen terme, où un travailleur est absent durant un mois à un an, se situait fin 2021 pour l’ensemble du marché belge du travail à plus de 5% au-dessus du niveau de 2019. Et début 2022, il atteignait même 9,5% de plus qu’au cours du trimestre correspondant de 2020. Le burn-out est en l’occurrence l’un des multiples causes, et donc pas la seule. Entre-temps, nous savons tous que le Covid ainsi que d’autres maladies peuvent vous clouer au lit de quelques jours à quelques semaines.

Toutefois, il convient de s’arrêter sur les chiffres publiés par SD Worx. Ceux-ci font apparaître que dans ce domaine, le secteur IT se comporte mieux que d’autres secteurs. Dans le secteur ICT en effet, le congé de maladie entre un mois et un an était en 2021 avec 1,17%, moins de la moitié des 2,65% de l’ensemble des autres employés belges. Hasard ou non: les employés du secteur ICT classent leur secteur dans le top 3 des employeurs qui attachent le plus d’attention à la santé et au bien-être. Et ces chiffres confirment les résultats d’une enquête européenne de SD Worx.

Résilience

Comment dès lors réagir? “Spécifiquement dans le secteur IT, nous constatons que certains facteurs sont déterminants pour la résilience mentale, estime encore Julie Daenen. Ce sont l’ambiance, la supervision et la charge émotionnelle. C’est étonnant, surtout que le secteur IT est, selon le cliché, celui qui travaille avec des données. Or si l’on analyse ce qui détermine pourquoi le secteur réagit bien au stress, c’est précisément la relation avec les autres personnes. Cette relation a un impact majeur sur la manière dont on gère la pression de manière positive ou négative.” Toujours pour Daenen, il est important que les organisations prennent conscience de cette situation. “Les moments de connexion ne sont pas un bonus. La relation avec ses collègues peut jouer un rôle de tampon contre l’excès de stress. Il faut donc que les entreprises misent aussi sur l’esprit d’équipe et permettent aux collaborateurs d’apprendre à se connaître. Cela peut favoriser la santé mentale et avoir indirectement un effet sur les chiffres et la productivité.”

Travail à domicile

L’un des grands changements intervenus ces dernières années a été la progression du travail à domicile. Une solution possible serait-elle d’en revenir à la situation d’avant? “Le message n’est pas que l’on retournera au bureau 5 jours sur 5, considère Daenen. Mais il est important de prendre conscience de la situation. Il faut surtout que cela fasse sens. Si vous retournez au bureau pour vous enfermer toute la journée dans une pièce pour appeler l’étranger, ce n’est guère judicieux. Il en va autrement si toute votre équipe revient durant une journée au bureau pour y assister à des réunions et prendre le déjeuner ensemble.”

Cela dépend aussi en partie du collaborateur lui-même, ajoute Jurgen De Jonghe de SD Worx. “Un grand nombre de personnes se sont accommodées du télétravail et ne veulent pas revenir en arrière. C’est une question de flexibilité, de gain de temps pour les navetteurs, etc. Il s’agit là d’effets positifs.” Mais il existe aussi des côtés négatifs. “Il y a moins de contacts et certains collaborateurs le ressentiront davantage. Surtout pour une personne nouvellement engagée par exemple. Celle-ci va apprendre nettement moins vite le fonctionnement de l’organisation et pour certains, il s’agira là d’une raison de partir. C’est un impact que nous avons pu mesurer.”

Faire plus avec moins

La pression au travail devient trop forte pour certains qui font alors un pas de côté, mais dans le même temps, ces personnes ne sont souvent pas remplacées, certainement dans le secteur IT, ce qui oblige les collègues à un surcroît de travail. N’est-ce pas là un cercle vicieux? “On peut en effet parfois parler d’effet domino, analyse De Jonghe. La guerre des talents qui se traduit par une pénurie de certains profils, accentue le phénomène. Si le collaborateur est malade et absent, son travail est réparti sur un nombre moins important de personnes. L’employeur doit réagir à cette situation de manière appropriée. S’il faut maintenir le même niveau de service avec moins de personnes, le risque d’absence va encore augmenter.”

L’une des solutions possibles pour diminuer le stress négatif consiste à améliorer la mobilité interne, fait-il remarquer. “Vous pouvez essayer de réduire les absences en proposant aux collaborateurs d’autres fonctions dans l’organisation. Ils laissent alors une chaise vide, mais la compétence reste en interne dans l’entreprise. Cela peut aussi aider à donner un souffle nouveau au travail et permettre de limiter la charge de travail et le bagage accumulé. Et surtout, la personne reste dans l’entreprise.”

Dans ce contexte, il est important de garder la situation bien en main et d’intervenir à temps. Désormais, les entreprises ont à leur disposition une série de services et d’applis qui peuvent les aider. Songez notamment à l’appli de la scale-up belge Huappie qui envoie régulièrement des questions brèves et faciles pour mesurer le niveau de fatigue des collaborateurs. Les résultats peuvent ensuite servir de base à une discussion. Ou encore BioRICS, une appli de sensibilisation qui mesure l’énergie (voir encadré). Des secrétariats sociaux comme SD Worx proposent également des collaborations avec une plateforme en ligne telle que Bloom-up, une organisation de psychologues indépendants. “Trop de travailleurs ont des difficultés à franchir le pas de l’aide psychologique, conclut De Jonghe. Une telle entrevue peut avoir un effet préventif et permettre d’identifier certaines situations et éventuellement permettre de tirer la sonnette d’alarme avant qu’il ne soit trop tard.”

28,5%

des travailleurs belges courent un risque de burn-out Source: Securex.

41%

des cas de burn-out s’expliquent par une charge de travail émotionnelle, une trop grande intensité de travail, une charge privée, l’incertitude face à l’emploi ou des conflits de rôle

Source: Securex.

50%

Le congé de maladie entre un mois et un an se situait en 2021 dans le secteur IT à 1,17%, moins de la moitié des 2,65% de l’ensemble des autres employés belges.

Les données dans la lutte contre le stress

Dans les soins de santé mentale, les thérapeutes s’appuient aujourd’hui sur ce que les patients leur disent. Bon nombre d’enquêtes, dont le Burnout Assessment Tool de la KULeuven, sont des formes d’auto-rapportage, à savoir l’envoi d’un questionnaire à remplir. Mais il existe d’autres données. C’est ainsi que pas mal d’entre nous courent avec un traqueur. Des vêtements intelligents comme Fitbit mesurent votre pouls, votre activité, votre sommeil, votre pression sanguine, etc., et sont équipés de fonctions qui vous indiquent qu’il faut respirer profondément lorsque votre rythme cardiaque s’accélère trop.Plus près de chez nous, BioRICS, une spin-off de la KULeuven, a développé un logiciel qui mesure la charge mentale. Cela étant, il ne faut pas parler de traqueur de stress. “C’est un moniteur d’énergie, insiste Ann Goeman. Nous cartographions à la fois l’énergie physique et l’énergie mentale. Lorsque l’on fait du sport, on ressent une fatigue physique, mais dans le cas d’un effort mental, c’est plus difficile à mesurer. C’est pourquoi il faut une mesure objective pour comprendre la situation.” L’algorithme de BioRICS exploite notamment le rythme cardiaque, les mouvements et la température mesurés par un vêtement intelligent comme Fitbit pour en déduire la quantité d’énergie que vous avez consommée, également sur le plan mental. Et aussi combien vous devez récupérer. “Les contraintes de temps consomment par exemple beaucoup d’énergie mentale, mais il ne s’agit pas uniquement d’éléments négatifs, insiste Goeman. Certaines choses positives prennent également de l’énergie. Songez à une soirée au café entre amis. Elle vous rend heureux, mais il vous faut également de l’énergie pour récupérer. Le lendemain matin, vous êtes souvent lessivé.” BioRICS a débuté voici plusieurs années comme un algorithme pour sportifs de haut niveau, par exemple l’équipe de football de l’AC Milan. Entre-temps, plusieurs grandes entreprises, dont Volvo Cars à Gand, utilisent son appli Mindstretch pour sensibiliser leurs collaborateurs. L’idée est que les utilisateurs apprennent de leurs propres gestes et puissent adapter certaines petites choses au début, comme prévoir des pauses ou boire un verre de vin en moins le soir. Une bonne évolution? “C’est une bonne chose que nous faisions des recherches sur les données car cela évite le côté ‘vaporeux’ du bien-être mental qui y est encore souvent associé, note Julie Daenen de Mensura. Mais pour détecter les signaux de stress, il est toujours nécessaire d’avoir un moment de réflexion sur soi. C’est ce que l’on remarque souvent avec le burn-out. Les gens qui courent ce risque ont tendance à aller trop vite, même lorsqu’ils ont une migraine par exemple. Si vous vivez à un tel rythme alors même que votre montre intelligente vous indique que vous ne dormirez pas bien, vous ne parvenez pas à ralentir. Il faut pouvoir être à l’écoute et il s’agit en général d’un révélateur.”

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