” Aucun processus ou projet business ne peut se faire sans la technologie “

Actif depuis plus de 30 ans chez AG Insurance, Philippe Van Belle mise sur les enjeux à long terme de l’architecture et la standardisation, tout en insistant sur la maîtrise en interne tant des développements et intégrations que de l’infrastructure. Et ce, en mettant l’humain au centre.

Vous connaissez parfaitement AG Insurance pour y avoir fait l’essentiel de votre carrière. Comment l’IT a-t-elle évolué ces dernières années?

PHILIPPE VAN BELLE: Depuis le début de ma carrière, l’IT a radicalement changé. Entre l’explosion de la complexité, l’augmentation de la vitesse du changement, l’émergence de l’intégration ou la communication avec le monde hors AG Insurance, les défis sont de taille et les paradigmes ont évolué. Notre organisation est atypique en ce sens que nous avons développé nos propres systèmes d’assurance qui ont été entièrement réécrits ces 25 dernières années, via différents projets représentant de l’ordre de 300.000 hommes/jour de développement. A nos yeux en effet, nos systèmes coeur assurance sont notre atout majeur. Les progiciels y occupent une place très marginale. Certes, nous avons régulièrement testé le marché, mais avons préféré le développement maison pour des questions de différentiation, de maîtrise de la complexité et de coût essentiellement. C’est ainsi que nous avons un taux de maintenance de 17%, ce qui est particulièrement bas, sachant que les applications représentent plus de 100 millions de lignes de code, dont 70 millions en Cobol.

L’IT est un levier de l’innovation, mais aussi un risque proportionnel à l’importance de ce levier.

Depuis les années 1990, nous construisons nos ‘back-ends’ sous forme de services. Il n’y a pas de monolithes dans notre système d’information. Les ‘front-ends’ gèrent le processus et l’expérience utilisateur. Ces ‘front-ends’ ont fortement évolué à travers les années pour supporter de nouveaux workflows et de nouvelles technologies.

Par ailleurs, nous gérons en interne notre infrastructure. Avec une obsession: la continuité, la sécurité et la standardisation. Nous évitons des choix ‘best-of-breed’ qui, dans beaucoup de cas, deviennent après quelques années un patchwork de ‘legacies’. De même, nous sommes prudents à l’égard d’une approche “religieuse” de l’agilité. A mes yeux, ce sont les solutions que nous créons qui doivent être agiles, et ce bien plus que les projets. Les projets se terminent, les solutions restent.

Nous exploitons quelque 1.500 serveurs virtualisés dans deux datacenters fonctionnant en actif/passif. Tous les 6 mois, nous basculons d’un datacenter vers l’autre. Avec un taux de disponibilité exceptionnel de plus 99,75%, sans discontinuer, ces 11 dernières années. La disponibilité n’a pas été impactée par la pandémie: nous sommes passés de 20% de télétravail à 99%, et ce en conservant notre SLA. Par ailleurs, nous étendons progressivement notre infrastructure interne au cloud, en mode IaaS (infrastructure-as-a-Service) et nous investissons pour notre workflow et pour notre nouvelle plate-forme de données en mode PaaS (Platform-as-a-Service).

Quels ont été les grands chantiers des dernières années?

VAN BELLE: Depuis quelques années déjà, AG Insurance est une organisation sans papier en interne, même si nous échangeons encore des documents papier avec nos clients. Désormais, nous utilisons l’intelligence artificielle pour indexer quelques 10 millions de documents et mails par an. Après scanning et apprentissage machine, les documents sont indexés et transmis automatiquement à la bonne personne pour traitement. Nous avons mis en place pour ce faire une fondation numérique unique ainsi qu’une base de données client centrale. Les grands chantiers régulatoires occupent une partie importante de notre agenda, tels que Solvency II (règles de solvabilité IFRS), RGPD (protection de la vie privée), AML (réglementations en matière de blanchiment). Quant à eux, les robots n’exécutent qu’une fraction infime de nos tâches basiques (200.000 tâches par an), en effet, nous avons peu de travail de ré-encodage par nos utilisateurs vu le haut niveau d’intégration de nos applications.

Notre transformation phare est le ‘Replatforming mainframe’. Nous quittons le mainframe en replateformant nos développements (70.000.000 de lignes de code) Cobol, ce qui nous garantira un ‘total cost of ownership’ ou TCO de 20% de celui du mainframe. Cette plate-forme nous offre une plus grande ouverture vers la technologie API. Par la suite, notre volonté est de redévelopper nos applications progressivement, composant par composant, en les exposant sous forme de services.

Autre transformation stratégique, le projet ‘New Data Platform’. Nous mettons en place une nouvelle plateforme de données pour supporter notre stratégie de données. Nous migrons actuellement tous nos ‘datawarehouses’ vers le cloud, pour des raisons d’élasticité et d’ouverture à d’autres technologies d’analytique tels R et Python.

Après ces deux grands programmes, nous disposerons d’un ‘backbone’ de données qui rapprochera fondamentalement le monde analytique et opérationnel ; élément clé d’une ‘data driven strategy’.

En plus de ces deux projets de transformation stratégique, nous développons un portefeuille de projets important en construisant de nouvelles fonctionnalités produits pour toutes nos activités d’assurance et en intégrant de nouvelles technologies, tels que nouveau ‘workflow’ pour la gestion des sinistres non-vie, des ‘chatbots’, etc.

Vous avez conclu récemment un partenariat avec TCS. En quoi consiste-t-il?

VAN BELLE: Nos équipes IT représentent quelque 1.000 informaticiens, tandis que nous réalisons environ 100.000 hommes/jour de projets par an. Depuis plusieurs années, nous avons différents partenariats majeurs. TCS a été choisi comme notre partenaire principal pour nos futurs projets de développement et nos centres de compétences technologiques. Cela dit, nous attendons de nos partenaires technologiques qu’ils nous aident au-delà du ‘delivery’. En effet, l’innovation, la transformation technologique et la recherche permanente d’une plus grande efficacité occupent une place importante dans notre préparation du futur.

Je tiens par ailleurs à insister sur l’importance de recruter en permanence de jeunes universitaires que nous voulons former et associer à des profils plus expérimentés. Nos internes sont très loyaux. Ces 5 dernières années, nous avons recruté 120 diplômés universitaires, dont 20% à peine nous ont entre-temps quittés. Comme employeur, et particulièrement dans l’IT, nous insistons sur l’attitude essentielle en ligne avec nos valeurs “Care, Share, Dare, Deliver”.

Quelle est l’importance du rôle de CIO/CITO au sein d’AG Insurance?

VAN BELLE: Je suis membre du comité de direction depuis 2009. Celui-ci est de plus en plus intéressé par les sujets IT, digital ou data. Le périmètre de mes activités s’est agrandi ces dernières années. Ma fonction actuelle est Chief Information & Technology Officer, une fonction qui couvre trois domaines: l’informatique proprement dite ; la digitalisation, à savoir les fondations clients et numériques ; et la gestion des données, un aspect toujours plus essentiel puisqu’il s’agit de créer un cercle vertueux entre le numérique et les données.

A mes yeux, l’IT est un levier de l’innovation, mais aussi un risque proportionnel à l’importance de ce levier. L’IT est présente dans tous les domaines chez AG Insurance, aucun processus ou projet business ne peut se faire sans un support de plus en plus grand de la technologie. Nous opérons, délivrons les projets métier et préparons le futur.

Plusieurs grands principes guident par ailleurs mes choix stratégiques. Tout d’abord, la pertinence d’une stratégie IT est essentiellement l’alignement avec les besoins business. Ensuite, il faut éviter de devenir religieux et dogmatique, quel que soit le sujet: agilité, données, API, etc. En effet, la gestion de la complexité est vraiment “plurielle”: architecture, standardisation, compétences, données, agilité, sécurité, etc.

Par ailleurs, l’essence de l’enjeu IT est le long terme. Notre futur est lourdement déterminé par les décisions du passé. L’architecture doit être la discipline clé pour assurer le contrôle d’une complexité grandissante.

Enfin, cette complexité plurielle doit être appréhendée par des humains entre lesquels l’interdépendance est croissante. Personne ne peut maîtriser l’ensemble de cette complexité ; la solidarité, et l’empathie sont les clés de voûte des ‘soft skills’: pas de futur pour les égoïstes!

Je suis actif dans l’IT depuis 30 ans avec 13 années comme CIO. J’ai eu l’occasion plusieurs fois au cours de ces 30 ans de voir à quel point on récolte souvent dans le futur l’accumulation des problèmes liés aux décisions du passé. Je me questionne donc de l’impact d’un turnover moyen des CIO de plus ou moins 3 ans. Je pense qu’ils ne peuvent qu’ajouter à la complexité déjà existante qui pèsera sur le futur, et surestiment probablement leur impact sur le court terme. L’IT est un enjeu à long terme, et un métier en pleine évolution.

CV Philippe Van Belle

Sept. 1987 — sept. 1997: différentes positions de management dans l’IT, AG Insurance

Mai 2007 — mai 2009: I&O Client Portfolio general manager, Fortis

Mai 2009 — mars 2010: ‘Chief information Officer’ et ‘Business Operating Officer’, AG Insurance

Mai 2010 — sept. 2019: Group IT Coordination, Ageas

Depuis avril 2021: Chief Information & Technology Officer’, AG Insurance

A propos d’AG Insurance

Fondée en 1824 en tant que compagnie d’assurances-vie (5 employés à l’époque), AG emploie désormais près de 4.400 collaborateurs et compte 5.000 partenaires de distribution pour soutenir plus de 3 millions de clients privés et professionnels dans la réalisation de leurs projets. AG Insurance propose des assurances-vie, pension, hospitalisation, assistance, etc.

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