“90% de notre budget est de l’Opex”
Migration vers le cloud public, transformation numérique et customer experience sont au coeur de la stratégie IT de l’entreprise alimentaire Vandemoortele.
Comment est structurée l’informatique au sein de Vandemoortele?
benoït dewaele: Le groupe a adopté une structure assez similaire à celles des grandes entreprises de notre secteur, qu’elles soient multinationales ou belges. Nous avons donc une architecture à la fois évolutive et basée sur les concepts de cloud et de SaaS notamment, plutôt que le client/serveur. Lors de mon arrivée voici 4 ans, il n’y a pas eu de rupture dans les choix d’architecture. Nous avions déjà adopté le BYOD (bring-your-own-device), ce qui nous a particulièrement facilité la transition lors de la crise du Covid et du passage au télétravail, avec des PC sous Microsoft Office 365. J’ajoute que le défi de la pandémie a plutôt été opérationnel que technique, sachant que le modèle de la demande a changé puisque les hôtels, restaurants et cafés étaient fermés et que les gens commandaient nos produits par e-commerce.
Comme beaucoup de sociétés du secteur, nous fonctionnons donc avec SAP qui présente toujours un défi
Par ailleurs, nos applications sont déployées via Virtual Desktop Infrastructure. Nos serveurs ont été progressivement migrés vers les services cloud Microsoft Azure, de même que notre instance SAP ainsi que les systèmes satellites, à savoir la suite de systèmes autour du coeur SAP manager, la dernière étape étant prévue pour fin 2023. Nous disposons dès lors de centres de données évolutifs ultra-modernes sur lesquels tourne le stack de sécurité Microsoft. Il est clair à mes yeux que la sécurité est plus facile à gérer dans ces conditions qu’avec une infrastructure en interne.
Quels sont les projets récents en IT?
dewaele: A mon arrivée, ma mission a plutôt consisté à poursuivre la transformation numérique des processus. Toutes les applications sont gérées par domaine de processus (commerce, procurement, achats, etc.) avec un business process owner associé à un spécialiste IT. Nous sommes dès lors sur un dorsal unique pour l’ensemble des applications et des pays. Cette année et l’an prochain, la priorité sera la transformation numérique du marketing, après quoi nous aborderons le customer service puis l’innovation R&D. Le tout pour améliorer encore l’interaction numérique avec le client et donc la customer experience.
Nous poursuivons par ailleurs la transformation numérique de l’operational excellence où nous sommes par nature déjà très avancés puisque nous produisons pour les marques des supermarchés en private label, ce qui nous oblige à être fortement automatisés.
Enfin, le troisième pilier portera sur les services groupe et les fonctions enabling, comme juridique, finances, IT, HR, etc.
Quelles leçons importantes tirez-vous des grands projets actuels?
dewaele: On constate notamment que dans la transformation numérique du marketing par exemple, ce n’est pas tant la technologie qui nous ralentit que son adoption par les utilisateurs ainsi que le contenu. En effet, plus on communique de manière virtuelle avec les clients, plus le contenu doit être pertinent.
Dans le cas précis du marketing numérique, il faut créer du digital reach auprès des clients qui ne vous connaissent pas encore, par ex. via les médias sociaux, puis filtrer les contacts numériques pour n’approcher en physique que les contacts vraiment intéressants et lancer ensuite la campagne marketing. Chaque pays a ainsi un digital marketeer, un content marketeer et un channel marketeer.
La sécurité est évidemment aussi un défi permanent. Nous nous reposons sur deux écosystèmes, Microsoft pour les applications et les datacenters, et Fortinet pour les réseaux. Cela nous permet d’avoir des systèmes automatisés de détection et réponse, après quoi nous avons investi dans un SOC (security operation center) pour relier ces deux écosystèmes.
Comme beaucoup de sociétés du secteur, nous fonctionnons donc avec SAP qui présente toujours un défi. Dans certains domaines, SAP propose des offres SaaS avec une maturité variable, ce qui ne correspond pas toujours à l’agenda du client. Je songe notamment au CRM où ils avaient d’abord une solution sur-site, puis maintenant dans le cloud et même dans le cloud avec une nouvelle version qui nous oblige à migrer.
En infrastructure, la situation dans le domaine du cloud est différente: on choisit d’abord son cloud, comme Azure, Google ou Amazon, puis on sélectionne son prestataire de services, ce qui offre plus de flexibilité. Dans le domaine des réseaux également, on avait autrefois un seul provider télécoms, mais aujourd’hui les services réseau sont software-defined et indépendants de la connectivité, ce qui offre à nouveau plus de flexibilité. Au niveau de l’infrastructure, on est donc dans du pay-per-use, alors qu’en applications, même avec le SaaS, on signe des contrats avec un fournisseur, ce qui sous-entend un certain lock-in et des coûts fixes. En fait, un budget IT moderne devrait être davantage Opex et moins lié à des amortissements Capex, ce qui est le cas pour 90% de notre budget.
Les coûts d’infrastructure sont en baisse, ce qui permet d’investir les économies réalisées dans des projets applicatifs. Il faut savoir que le cloud permet de choisir le best-of-breed et que les plateformes interagissent de mieux en mieux entre elles, ce qui offre une grande flexibilité et permet de répartir les risques et les coûts.
Quels sont les projets pour 2023?
dewaele:Quatre grands projets sont à l’agenda. D’abord, nous devons fusionner deux sociétés de transport, le tout associé à une refonte des processus et des systèmes, avec passage notamment du client/serveur au Web-based et ajout de nouvelles fonctionnalités. Ensuite, nous allons renouveler l’ensemble de notre système de pricing/quotation/commodity/risk qui avait été développé en interne. Par ailleurs, la customer experience sera encore améliorée au niveau du marketing, du customer service et des ventes. Enfin, nous allons finaliser notre plateforme de PLM ou product lifecycle management qui passera également du C/S au Web-based et ajout de nouvelles fonctionnalités.
Je précise encore que le sustainability reporting sera également à l’ordre du jour dans le cadre de nos obligations légales et de la stratégie du groupe. On regarde comment les plateformes évoluent en support du rapportage EPR/ ESG/EU Taxonomy.
Qu’en est-il de vos équipes IT?
dewaele: Pour ce qui est des infrastructures, nous sommes liés à des service providers globaux, tandis que sur le plan des applications, nous avons évolué vers un rapport 50/50 entre les consultants internes et externes pour des questions de flexibilité, que ce soit pour pouvoir attirer de nouvelles compétences en interne, mais aussi pour pouvoir s’adapter à la hausse et à la baisse dans les capacités. Je suis convaincu qu’il faut un équilibre entre internes et externes dans les applications.
Chaque année, nous établissons un master plan en été et nous travaillons toujours sur la base de RFP (request for proposal) afin de comparer pour chaque projet trois candidats potentiels. C’est un processus qui prend du temps, mais qui nous permet d’apprendre à connaître le marché, les fournisseurs, etc. Au niveau de l’infrastructure et des applicatifs, nos équipes internes sont limitées et axées sur la gestion de projets pour prendre en charge le process extension, l’intégration, la numérisation, etc.
Eprouvez-vous des difficultés à recruter des informaticiens?
dewaele: Le marché belge est clairement saturé. Le Covid a montré qu’il était possible de travailler à distance, et donc de faire appel à du nearshore ou de l’offshore. Nous avons plus de ressources nearshore que par le passé. Par nearshore, j’entends environ le même fuseau horaire, la même culture et en fait aussi du personnel ayant une très bonne formation comme en Pologne ou en Roumanie. J’ajoute que l’offshore est plutôt pour l’infrastructure. Même si à mesure que l’infrastructure devient toujours plus intelligente, la priorité est plutôt d’automatiser que d’externaliser en offshore, notamment pour les datacenters, les réseaux, la sécurité où tout devient du logiciel, ce qui limite les interventions humaines.
J’ajoute qu’un autre défi consiste à conserver les informaticiens, surtout compte tenu des tensions sur le marché. Pour ce faire, nous misons sur les formations, les nouvelles technologies ainsi que sur le bien-être au travail, notamment dans le cadre d’activités sociales.
Quelles sont vos relations avec la direction générale?
dewaele: Je rapporte au chief financial officer, mais je suis impliqué dans les projets liés à la transformation numérique et à la sécurité notamment. Ce qui est logique dans la mesure où chez Vandemoortele, l’IT est plutôt un enabler et une fonction de support pour le métier.
Vous avez des contacts avec d’autres CIO?
dewaele: Nous avons en Belgique un réseau d’une dizaine de CIO avec lesquels nous partageons nos expériences. Et au niveau plus international, il s’agit des associations plus classiques comme CIOnet, Gartner/Evanta, etc. et donc plus formelles. C’est important pour valider ses choix par rapport à ceux de collègues.
Qu’en est-il des nouvelles technologies comme l’IA ou la chaîne de blocs?
dewaele: Chez Vandemoortele, l’intelligence artificielle et l’apprentissage machine sont surtout déployés dans la production, par ex. l’inspection visuelle, la maintenance prédictive, l’analyse de tendances, etc. Dans ce type de projets, nous faisons appel à des partenaires spécialisés plutôt que de chercher à exploiter en interne les données qui proviennent de nos systèmes. En ce qui concerne la blockchain, nous voyons apparaître des initiatives comme Food Trust, un projet entre IBM et Walmart. En tant que sous-traitant de ces grands clients, comme Walmart ou Carrefour, nous sommes en quelque sorte forcés d’injecter certaines de nos données de production dans leur système. Encore faut-il rester prudent car la blockchain n’est pas encore totalement fiable dans la mesure où la connexion le monde physique n’est pas toujours infaillible.
Benoît Dewaele
Mars 2005 – déc. 2005: Consultant puis Manager, Accenture
Déc. 2005 – juil. 2013: Supply Chain Engineer, CRM Head and special projects, Program Manager, IT Manager puis IT Directo, Capsugel
Juil. 2013 – déc. 2018: IM Manager Europe, Barry Callebaut
Depuis janv. 2019: Group IT Director, Vandemoortele
Vandemoortele en bref
Vandemoortele est une entreprise agro-alimentaire familiale belge d’envergure internationale fondée en 1899. En 2021, Vandemoortele a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 1,3 milliard ? avec 4.800 collaborateurs. Le siège social du groupe Vandemoortele est situé à Gand, en Belgique. Le groupe possède des bureaux commerciaux dans 12 pays européens, ainsi qu’aux États-Unis. Il opère sur plus de 28 sites de production dans toute l’Europe, afin d’assurer la proximité de tous ses marchés clés, et exporte depuis l’Europe vers 95 pays dans le monde.
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