Interview – Un jeune Belge se distingue dans la Silicon Valley

© Bart Goossens
Frederik Tibau est rédacteur chez Data News.

Créer le plus grand réseau d’informations au monde. Telle est l’ambition de Xavier Damman. Ce jeune entrepreneur entend jouer dans la cour des grands, et avec succès semble-t-il. Al Jazeera, The New York Times, voire la Maison Blanche notamment utilisent déjà Storify, l’outil en ligne avec lequel il est possible de fondre les messages Facebook et Twitter dans une forme narrative claire. “La chance ne vous tombe pas dessus comme cela, il faut la forcer.”

Créer le plus grand réseau d’informations au monde. Telle est l’ambition de Xavier Damman. Ce jeune entrepreneur entend jouer dans la cour des grands, et avec succès semble-t-il. Al Jazeera, The New York Times, voire la Maison Blanche notamment utilisent déjà Storify, l’outil en ligne avec lequel il est possible de fondre les messages Facebook et Twitter dans une forme narrative claire. “La chance ne vous tombe pas dessus comme cela, il faut la forcer.”

Xavier Dammen (27 ans) habite aujourd’hui depuis quasiment 3 ans déjà à San Francisco. Il n’a encore à aucun moment regretté d’avoir quitté sa ville de Nivelles. “Si vous voulez représenter quelque chose dans l’industrie internet, il faut déménager dans la Silicon Valley”, déclare ce jeune homme qui en a pris conscience très vite. Et son amie et lui ont donc pris l’avion en direction de la côte ouest, afin de continuer à développer une petite idée qui n’avait pas trouvé d’écho en Europe.

Cette idée consistait en une plate-forme internet permettant de fondre les messages Twitter en une forme susceptible d’être réutilisée sur d’autres sites web. Ce service s’appelait à l’origine ‘Publitweet’ et fut reprise par Skynet et Le Soir lors des dernières élections. “Le Soir voulait publier les réactions Twitter des élus sur son site, explique Damman. Et voilà comment la sauce a commencé à prendre.”

Les premiers mois aux Etats-Unis ont été difficiles, car Damman n’avait pas de réseau à disposition. “Je ne connaissais qu’une personne, un entrepreneur français qui avait rejoint San Francisco quelques années plus tôt. Il avait été aidé quand il était arrivé, et il voulait à son tour aider les nouveaux venus. Dans la Silicon Valley, c’est le principe du ‘forward payback’ qui s’applique. Les entrepreneurs qui font de bonnes affaires, ne rechignent pas à aider les jeunes à se lancer. Ils estiment en effet que ces ‘jonkies’ leur renverront bien un jour l’ascenseur.”

Il a fallu 6 mois pour que ce sympathique Wallon réussisse à convaincre le journal San Francisco Chronicle local d’utiliser son produit. “Lorsqu’au journal, l’on prit enfin conscience qu’on pouvait faire quelque chose avec Twitter, l’on s’est souvenu que je les avais harcelé (rire).”

C’est peu après que Damman apprit à connaître son actuel associé Burt Herman, un ex-journaliste de The Associated Press. “En le prenant à bord, j’ai davantage pu assumer le rôle de CTO et m’occuper de poursuivre le développement de la plate-forme, ajoute-t-il. C’était nécessaire, car très vite, d’autres organisations d’informations ont affiché leur intérêt, qui, à leur tour, m’ont demandé de prévoir d’autres services et sources que Twitter. C’est ainsi qu’est né Storify. A partir de là, tout s’est emballé: le LA Times utilise notre plate-forme, tout comme The Seattle Times. Storify a vraiment explosé.”

Récemment, vous avez gagné avec Storify le Knight Batten Award, un prix international récompensant l’innovation dans le domaine du journalisme.

XAVIER DAMMAN: “C’est la cerise sur le gâteau: notre manière de raconter les histoires est clairement appréciée. Finalement, nous proposons une nouvelle sorte de machine à écrire dans le paradigme des média sociaux.”

“Al Jazeera a utilisé notre outil pour raconter ce qui se passait dans les rues du Caire durant le printemps arabe, et des reporters à Londres ont relaté le terrible massacre en Norvège avec notre application. Tout ce qui arrive aujourd’hui sur notre planète, on l’apprend d’abord sur les médias sociaux. Pour les journalistes et les bloggeurs, il est donc important de pouvoir utiliser ces médias pour raconter leur histoire. Storify les aide à ce niveau.”

Le journalisme vous intéresse-t-il vous-même?

XAVIER DAMMAN: “Le secteur des médias m’a toujours fasciné. Lorsque j’étais adolescent, j’ai même créé avec Tribal un magazine pour les jeunes. Ils avaient ainsi l’opportunité de voir leurs histoires publiées. Tous les deux mois, nous publiions un magazine imprimé que nous distribuions gratuitement en Wallonie. Avec Storify, il en va de même dans un certain sens. Des messages intéressants sont postés en permanence sur Twitter et sur Facebook, mais le hic, c’est que ce contenu n’atteint pas souvent le grand public ou à tout le moins pas de la manière qu’il faudrait. Les journalistes deviennent dans ce contexte des ingénieurs de l’information, qui regroupent et transfèrent aux personnes intéressées les petits messages des gens qui postent leurs expériences sur les médias sociaux.”

Il y a 6 mois, vous avez recueilli 2 millions $ de Kosla Ventures. Mais entre-temps, Storify n’a toujours pas gagné le moindre cent.

XAVIER DAMMAN: “Lors de la phase initiale, le produit est plus important que le modèle commercial. Le fait qu’il faille d’abord investir, avant de récolter les fruits d’une idée, c’est toujours d’actualité aux Etats-Unis. J’ai essayé d’obtenir de l’argent à Bruxelles et à Paris, mais à la fin de la première question, je pouvais déjà plier bagage. Car cette première question portait sur mon modèle commercial (rire).”

“Nous avons bien quelques idées. Ce n’est pas que n’ayons jamais réfléchi à un business model. L’une des options est de travailler avec un écosystème. Raconter des histoires sur Storify sera toujours gratuit, comme il sera toujours gratuit de poster une vidéo sur YouTube. Mais à côte de cela, nous pourrions proposer un premium content. D’organisations d’actualité ou de Getty Images, auxquels les utilisateurs peuvent souscrire.”

“En tant que start-up, l’on ne peut montrer au début que la valeur de ce que l’on peut créer. Il n’est souvent pas clair d’expliquer comment transformer cette valeur en or. Je ne peux quand même pas prévoir aujourd’hui quelle sera bientôt l’ampleur du marché pour les réseaux d’information à la Storify. Tout comme les fondateurs de YouTube, Twitter et Facebook ne le savaient pas non plus, lorsqu’ils développèrent leur idée. Ces entreprises n’auraient jamais pu en Europe devenir ce qu’elles sont aujourd’hui.”

Tous les Belges qui veulent lancer une petite entreprise internet, sont-ils condamnés à l’échec, à moins de déménager vers ‘La Mecque du high-tech’?

XAVIER DAMMAN: “Cela dépend de ce que vous voulez faire au juste. Si vous voulez conquérir le monde avec un produit grand public, mieux vaut venir à San Francisco. S’il n’y a que le marché b2b qui vous intéresse, vous pouvez rester en Belgique. Sur le marché b2b, un puissant réseau est essentiel. Et en tant qu’étranger, vous ne pourrez jamais développer aux Etats-Unis un réseau comme en Belgique.”

“Avant, les anciennes générations quittaient la campagne pour les villes pour y faire des affaires. Il en va de même à présent, mais à l’échelle mondiale. Si vous voulez être actif dans le secteur de la robotique, allez à Tokyo. Si vous préférez l’aéronautique, allez vous installer à Toulouse. Mais si vous voulez vous distinguer dans le secteur internet, il faut venir dans la Silicon Valley. C’est aussi simple que cela.”

Cela semble facile. Mais à côté d’un bon produit, n’avez-vous pas aussi besoin d’une bonne dose de chance?

XAVIER DAMMAN: “La chance ne vous tombe pas dessus comme cela, il faut la forcer. Les gens qui restent le c… collé sur leur chaise, n’auront jamais de chance. Il est évident qu’il faut un bon produit, mais grâce à internet, il est aussi possible de lancer un bon produit sur le marché, sans devoir investir beaucoup d’argent.”

“Les gens d’Instagram ont créé une application qui est utilisée par des millions de gens, mais qui n’a quasiment rien coûté. Démarrer une petite entreprise internet, c’est comme créer un groupe de rock aujourd’hui. Comme les instruments sont si bon marché, tout le monde peut le faire.”

“C’est si beau à l’ère réseautique dans laquelle nous vivons. Sur internet, l’on trouve toute l’information nécessaire pour créer une application. Convenez d’un rendez-vous avec des amis, enfermez-vous dans une cave et élaborez un produit intéressant. Il faut forcer la chance.”

Entre-temps, vous avez rencontré Mark Zuckerberg. Que dit-on à quelqu’un comme lui?

XAVIER DAMMAN: J”e lui ai demandé s’il allait changer le monde maintenant que la moitié de la planète se trouve sur Facebook. S’il voulait influencer la vie de tous ces gens d’une manière positive. Sa réponse m’a profondément déçu. Il m’a fait clairement comprendre ne pas être intéressé par la charité. Peu importe aussi pour lui la façon dont Facebook est utilisé. Mark Zuckerberg veut simplement attirer autant de gens que possible sur sa plate-forme. Il veut connaître le succès, et tout le reste n’est qu’accessoire.”

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