Requiem pour un terminal passif

Les débuts de ma carrière professionnelle, au milieu des années ’80, ont été entièrement placés sous le signe du Vidéotex. J’ai fait mes premières armes dans un service d’actualités qui diffusait des nouvelles via vidéotext à une septantaine de radios locales.

Les débuts de ma carrière professionnelle, au milieu des années ’80, ont été entièrement placés sous le signe du Vidéotex. J’ai fait mes premières armes dans un service d’actualités qui diffusait des nouvelles via vidéotext à une septantaine de radios locales. De là, j’ai rejoint un magazine (VTX&Com pour les nostalgiques) qui voulait surfer sur la vague du vidéotex en Belgique. Lorsque j’ai lu l’été dernier que même France Télécom cessait d’assurer l’assistance du Minitel, une chose m’est apparue clairement: je me fais vieux.

Le Minitel a été le précurseur le plus fructueux de l’internet. Les PTT françaises ont lancé le Minitel en 1982, et à son apogée fin du siècle dernier, ce terminal Vidéotex avait trouvé une place au sein de 9 millions de foyers français. Le Minitel générait alors un chiffre d’affaires de près d’un milliard d’euros, une manne partagée entre France Télécom et les fournisseurs de services. Près de la moitié des Français utilisaient alors le terminal Vidéotex pour réserver des voyages en ligne, acheter des vêtements (La Redoute et 3Suisses tiraient 15% de leur chiffre d’affaires du Minitel), consulter le prix des actions ou simplement rechercher des numéros de téléphone sur le ‘3611’. Car c’est ainsi que le Minitel s’était généralisé en France: les PTT préféraient donner une fois un terminal Vidéotex à chaque famille, plutôt que leur fournir chaque année un nouvel annuaire téléphonique.

Plusieurs enseignements intéressants peuvent être tirés de l’histoire du Minitel. D’abord, l’histoire se répète toujours. Le Minitel était un terminal passif qui ne faisait rien d’autre que tirer des données d’un serveur central pour les afficher sur un écran. A cet égard, le Vidéotex était effectivement un précurseur de l’internet et du cloud computing. Evidemment, la technologie a évolué entre-temps: bande passante plus élevée, capacité de stockage supérieure, meilleures possibilités graphiques.

Deuxième leçon: la technologie, c’est bien, mais cela ne représente rien en soi. A cette époque, les utilisateurs étaient comblés par des vitesses de données de l’ordre de 1.200 bits/s (downlink) et 75 bits/s (uplink), mais à quoi pouvait vous servir la vitesse s’il n’y avait rien à consulter… En Belgique, le Vidéotex n’a jamais été un succès parce qu’il y avait très peu de services qui intéressaient le consommateur. Le Vidéotex en Belgique était avant tout affaire de communication B2B sur des cours de bourse ou du transport de marchandises, et le financement de voitures. Il n’y a jamais eu de masse critique suffisante de terminaux Vidéotex en Belgique pour proposer des services à grande échelle.

Troisième leçon: le succès de l’un peut entraver celui de l’autre. Les Français étaient (et sont) tellement attachés à leur Minitel que l’internet a percé beaucoup plus lentement chez eux que dans d’autres pays. La loi selon laquelle l’avance peut constituer un handicap n’a pas manqué de s’appliquer.

Quatrième leçon: le rôle des pouvoirs publics peut être important pour permettre à une technologie de s’imposer. La France est le seul pays où le Vidéotex a pris une telle ampleur et a perduré pendant 30 ans, parce qu’un service public mettait les Minitels à disposition gratuitement. Nos pouvoirs publics n’ont jamais stimulé le Vidéotex, mais ont d’un autre côté investi de façon beaucoup plus rapide et massive dans des réseaux à large bande, ouvrant ainsi une voie royale à l’internet.

“Le Minitel se dirige vers une mort naturelle,” a dit un porte-parole de France Télécom, qui abandonnera définitivement son réseau Vidéotex au cours de l’été prochain. Les parcs de recyclage français auront ainsi près d’un million de Minitels mis au rebut à traiter l’année prochaine…

José Delameilleure José Delameilleure est directeur du département IT Marketing & Communication chez Across Technology et ancien rédacteur en chef de Data News.

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