Quand les méga-données tombent du ciel, de la stratosphère, voire de l’espace

Photo de Séoul, capitale de la Corée du Sud, prise par le satellite PROBA-V. © ESA-BELSPO 2017/VITO

Lorsqu’il est question d’analyse de données de capteurs, on pense spontanément à des données de mesure effectuées par des détecteurs locaux. Mais saviez-vous que ces capteurs se trouvent littéralement aussi au-dessus de nos têtes ?

C’est dans un coin reculé de Belgique – à Mol – que VITO s’est établi : il s’agit là d’une organisation de recherche indépendante flamande dans le domaine des technologies propres et du développement durable. Le terrain est gigantesque, et l’on n’y accède pas vraiment facilement, car on note la présence toute proche du centre de recherche nucléaire belge (SCK-CEN). ” Accélérer la transition vers un monde durable “, tel est le principe de base de VITO. Ses domaines de recherche portent sur cinq thèmes spécifiques : énergie durable, santé, gestion de matériaux, chimie et usage du sol. C’est précisément dans le bâtiment de l’usage du sol que nous rencontrons Steven Krekels, ‘unit manager’ du télé-captage.

Des méga-données aux données utiles

” Nous effectuons des mesures en matière d’usage du sol, déclare Krekels. Nous ne créons pas les plateformes proprement dites, qui sont un outil pour nous. Les capteurs non plus du reste. Mais c’est là où ils se rencontrent que nous intervenons : nous nous chargeons de la valeur ajoutée et des données utiles. ” Les données de télé-captage, VITO les combine, où c’est possible, avec des informations d’autres banques de données, afin d’en arriver à des renseignements réellement intelligibles. ” Nous prenons toujours plus la direction de la science des données, ajoute Krekels. L’objectif, c’est un instrument de mesurage numérique. ”

Ce type d’instrument de mesure ne doit pas être complexe – ” Si on peut avec une caméra sur un support amasser dans un champ les informations nécessaires, on le fait ” -, mais la meilleure façon de cartographier le sol, c’est la voie aérienne. Depuis 2005, VITO y arrive avec des drones : le plus petit d’une envergure de 1 mètre et le plus grand de 4 mètres. Ces drones effectuent des photos, se chargent des données thermiques et mesurent la qualité de l’air. ” Mais nous réalisons aussi des campagnes aéroportées “, précise Krekels. Ce sont des avions qui sont utilisés pour collecter des données. ” Comme la Flandre en hiver et ce, chaque année, apprend-on. Nous avons ainsi aussi effectué une mission LIDAR, afin de passer en revue les écarts d’altitude. On peut alors par exemple déduire le nombre de maisons que compte notre région. En théorie, on pourrait également connaître ainsi le nombre d’abris de jardin construits sans permis. ”

La détection d’amiante est un autre exemple de mission que VITO a remplie pour la Flandre : photos aériennes, détection de revêtements de toit ondulés et corrélation de ces données avec les périodes connues de vente de plaques d’amiante, ainsi qu’avec les permis de bâtir des maisons.

Pas un arbitre

Krekels insiste à plusieurs reprises sur le fait que VITO ne travaille que sur commande et ne veut pas être un arbitre. C’est ainsi que VITO a dressé dans les airs l’inventaire des sites utilisant le conditionnement d’air dans notre pays et ce, grâce à des caméras et des modèles de reconnaissance. Cette mission est à mettre en connexion avec la constatation qu’à peine 200 sites ‘airco’ étaient enregistrés, alors que 5.000 systèmes avaient été vendus. ” La liste des lieux où nous avons découvert des installations de conditionnement d’air, nous l’avons transmise au commanditaire. C’est alors à lui de décider ce qu’il va en faire. Dans cet exemple spécifique, les pouvoirs publics ont par exemple entrepris des actions “, avoue Krekels.

Et il y a encore bien d’autres exemples. ” Comme la récente manifestation de la légionellose, pour laquelle nous avons aidé à circonscrire la zone où la cause pouvait être recherchée. ”

Pour certaines données, il convient de chercher encore plus haut, dans des High-Altitude Long Endurance (HALE) UAV (engins sans pilote). ” Ce genre d’appareil peut, sur base de l’énergie solaire, évoluer des mois durant dans la stratosphère à 18 km d’altitude, explique Krekels. En théorie, il est même possible avec 30 drones stratosphériques de cartographier toute l’Europe du ciel à une résolution jusqu’à 30 cm. ” C’est du reste aussi dans la stratosphère que les Facebook et Google de ce monde effectuent des tests en vue de permettre la communication dans des régions où il n’existe aucune infrastructure Internet fixe ou fiable.

PROBA-V

Mais là où Krekels déborde vraiment d’enthousiasme, c’est quand on grimpe encore d’un étage : dans l’espace. Le satellite PROBA-V tourne à 800 km d’altitude depuis le 7 mai 2013 en orbite entre le soleil et la Terre. Avec une technologie belge du reste, puisque ce satellite d’observation terrestre ultracompact a été fabriqué par QinetiQ Space installée à Kruibeke. ” La tendance mondiale à concevoir de petits satellites, nous l’avons donc initiée en Belgique. PROBA-V a été offert à l’Organisation Spatiale Européenne, mais l’ESA paie en échange pour les images prises par le satellite “, affirme Krekels. Les images aériennes de PROBA-V ont une résolution de 1 km, de 300 m, voire de 100 m.

PROBA-V lance une passerelle vers les archives vieilles de 20 ans de VITO, mais fait aussi partie du programme européen d’observation spatiale à grande échelle Copernicus, qui a coûté entre 6 et 8 milliards ?. ” Nous avons la charge de la composante terrestre, précise Krekels. L’atmosphère interfère sur nos photos : ces effets doivent être gommés. Conserver la consistance des données est une tâche importante pour nous, afin par exemple de déterminer si la couleur verte d’une plante a vraiment changé, ou si c’est dû à l’équipement. Il nous appartient de veiller à ce que le tout premier pixel qui remonte à 20 ans, soit encore et toujours comparable à un pixel d’aujourd’hui. ”

Les données sont utilisées en agriculture par exemple (qualité du sol notamment) à l’échelle locale et internationale. Mais aussi pour l’usage du sol et la biodiversité avec des analyses continentales. Ou à des fins climatiques. ” Nous ne sommes pas des climatologues, mais nous pouvons présenter des chiffres objectifs : la désertification augmente-t-elle ou pas ? “, cite Krekels en exemple. Ou en matière de niveaux d’eau, pour spécifier par exemple aux firmes de dragage le moment le plus propice, afin de limiter au maximum l’impact de leur travail sur la nature. VITO utilise là où c’est nécessaire des bibliothèques d’apprentissage profond de Google notamment, mais aussi la technologie belge de Robovision.

” Nous ne voulons pas réinventer l’eau chaude et donc, nous n’allons pas créer nous-mêmes ces outils d’analyse, indique Krekels. Il y a encore tant à faire avec les données, mais la méfiance est encore largement de mise. L’agriculture par exemple est encore trop peu numérisée dans notre pays. Nous pouvons parfaitement cartographier toutes les plantes de chez nous et les mettre en corrélation avec d’autres données. Cela nous permettrait de démontrer que certains fermiers n’ont peut-être pas besoin d’un tracteur. Mais ce genre de conclusion est loin de réjouir tous les agriculteurs. ”

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