” Le coax a encore un bel avenir “

Micha Berger, CTO de Telenet: " Ne pas disposer de notre propre réseau n'est pas une option. " © www.image-zone.be

Cela fait plus de deux décennies déjà que Telenet dépasse chaque fois très largement son concurrent Proximus sur le réseau coax. Mais quid si ce dernier déploie son réseau à fibre optique? Data News a rencontré Micha Berger, CTO de Telenet.

Le coax a-t-il encore une marge de manoeuvre, sachant que vous devrez prochainement concurrencer le réseau FTTH?

Micha Berger: Il existe encore de nombreuses possibilités. Lorsque le coax a été installé dans les années 1970, il supportait de 7 à 14 canaux analogiques. Par la suite, on s’est rendu compte que la voix et les données pou- vaient être acheminées, après quoi le débit des données a été augmenté. Nous sommes toujours parvenus à ouvrir de nouvelles perspectives sur le même réseau câblé en intégrant de nouvelles technologies aux extrémités. En 2014-2015, nous avons notamment proposé le 1 Gbit/s sur le coax, dans le cadre de Docsis 3.0. Désormais, nous passons au Docsis 3.1 qui autorise une utilisation plus efficace des fréquences avec moins de bruit.

La 3G disparaîtra plus rapidement que la 2G.

Est-ce comparable à la vectorisation sur les réseaux DSL?

Berger: Effectivement. Vous avez d’un côté un modem, puis un CMTS (cable modem termination system) dans le centre de données, et ces deux éléments communiquent pour optimiser les fréquences utilisées. Au fur et à mesure que la technologie progresse et que la puissance de calcul augmente, il est possible d’accroître la capacité sur une même connexion.

Le coax n’est donc pas en fin de vie?

Berger: Le coax a encore un bel avenir, même si je ne pense pas que quelqu’un va encore investir dans le cuivre, sauf peut-être à intégrer la vectorisation pour améliorer les débits. Nous pouvons passer au Docsis 3.1 et à terme au Docsis 4.0. A ce moment-là, nous atteindrons 10 Gbit/s. Le coax étant relativement gros en termes de câble, il supporte des fréquences relativement élevées. Aujourd’hui, nous en sommes à 1,2 GHz, mais nous pouvons aller jusqu’à 1,8 GHz si nécessaire avec Docsis 4.0. Peut-être pourrons-nous encore aller plus loin, jusqu’à 3 GHz. Mais il faudra pour ce faire investir dans notre réseau, tant aux extrémités que sans doute dans certains composants qui relient les câbles, voire dans le câble lui-même.

Pourtant, Telenet opte désormais pour la fibre optique dans les nouveaux lotissements?

Berger: Certes. Il faut en effet savoir que Telenet est un opérateur coax et fibre. Ainsi, au départ de nos centres de données, de la fibre relie les noeuds ou armoires à rue, après quoi le caox entre dans les maisons. La fibre optique est une bonne technologie avec une feuille de route parfaite, et de nombreuses entreprises développent des solutions basées sur la fibre. Telenet entend évidemment ne pas être en reste. Dès lors, dans le cas de ‘green fields’ ou nouveaux lotissements, nous regardons la solution la plus intéressante et la plus facile: coax ou fibre. En général, c’est comparable et nous optons pour la fibre. Notre empreinte fibre est donc en augmentation, mais pas au détriment du coax. Sachant que nous pouvons désormais atteindre 1 Gbit/s, il n’est pas nécessaire de remplacer le coax existant, même si nous évo- luons vers un environnement FTTH.

D’ici 20 ans donc, il s’agira d’un réseau très mixte?

Berger: Ce sera donc un mix, sachant que la balance évoluera à terme. Aujourd’hui, le remplacement du réseau coax serait extrêmement coûteux alors que l’expérience resterait identique pour le client. Mais aux endroits où nous devons intervenir sur les câbles, les remplacer ou en installer de nouveaux, la fibre optique sera davantage déployée.

Proximus affirme que son réseau à fibres optiques est ouvert, également à Telenet. Est-ce une option, par exemple pour combler les trous dans votre réseau?

Berger: Nous ne voyons aujourd’hui aucune situation dans laquelle il s’agirait d’une solution. Notre réseau est d’un niveau mondial, nous investissons dans celui-ci et il s’agit de notre coeur de métier. Ne pas disposer de notre propre réseau n’est pas une option.

Mais aux endroits où une collaboration se révélerait utile ou dans les cas où il s’agit d’une question de coût, de travaux, d’impact sur l’environnement ou tout autre perspective, il serait alors logique de collaborer. Parfois, on rencontre des situations où il n’est guère utile d’investir de l’argent des deux côtés.

Comment Telenet se prépare-t-elle à la 5G? Pour l’instant, vous avez également un spectre en attente pour les enchères 5G, mais contrairement à Proximus, vous n’avez pas encore d’offre commerciale.

Berger: Nous exploitons cette licence, mais faisons moins de publicité que d’autres. Avant l’été, nous avons annoncé un projet pilote à Louvain, mais nous allons bien plus loin. Ce que Proximus fait actuellement, c’est de la 5G light et c’est à mon sens plutôt de la 4G. Cela dit, nous préparons bel et bien notre feuille de route 5G, avec un spectre de test. Ce que nous faisons à Louvain consiste à voir ce que la 5G peut apporter à notre entreprise, à la société et aux clients B2B et B2C. Dans le même temps, nous construisons des sites et remplaçons des équipements à un rythme confortable tant pour nous que nos clients. La lutte est différente de celle de la 4G dans laquelle nous avons investi massivement après le rachat de Base, ce qui nous permet de disposer maintenant du réseau 4G le plus rapide.

Supposez qu’une mise aux enchères inter- vienne début 2022 et que vous puissiez déployer le réseau commercialement. Telenet est-elle prête?

Berger: Pas question pour nous de dévoiler publiquement nos plans…

Mais vous pourriez lever un coin du voile pour Data News.

Berger: Nous collaborons activement avec un fournisseur pour le ‘core network’ de la 5G autonome, sans oublier Ericsson, Nokia et Google (Anthos). Nous allons disposer d’un coeur autonome virtualisé dans le cloud sur la 5G, ce qui fera de Telenet l’un des précurseurs mondiaux.

Force est de constater que les grands acteurs cloud sont subitement très actifs dans la 5G.

Berger: Cela fait également partie de leur coeur de métier. Non pas la partie spectre, mais bien l’hébergement des réseaux coeurs qui leur permet de mettre à disposition leurs capacités existantes. Cela nous aide également dans la mesure où nous voulons un partenaire capable d’évoluer et de gérer avec l’expertise nécessaire, tout en offrant un environnement sécurisé. Nous assurons l’hébergement et eux la gestion.

Cette expertise du cloud a-t-elle été négligée par les acteurs sectoriels ou ces grands acteurs du cloud sont-ils tout simplement trop bons pour être écartés?

Berger: Une certaine expertise est nécessaire. Il faut pouvoir proposer une qualité supérieure à un prix compétitif, et donc pouvoir accéder à une partie de cette expertise qui serait trop coûteuse à acquérir soi-même, pour évoluer par la suite. Or cette qualité ne pourrait être meilleure que celle proposée par Google ou AWS.

Cela ne signifie pas que l’on installe son logiciel ‘quelque part dans le cloud’, en croisant les doigts que tout aille bien. Notre cloud télécom est hébergé ici et géré par ces grands acteurs, mais en y associant leurs connaissances, leurs outils, leurs investissements et leur connectivité, mais aussi la redondance et la résilience. Construire tout ceci à partir de rien serait nettement plus compliqué pour nous. Certes, notre historique nous a fait acquérir certaines compétences, mais pour anticiper l’évolution future, il s’agit là de la meilleure manière de travailler. A ce niveau également, nous faisons oeuvre de pionnier. La petite Telenet peut accéder à beaucoup de choses dans Google Cloud pour ce qui est des outils, de la capacité de mettre en place et de retirer rapidement un environnement, du support, de la détection des problèmes de latence, autant de questions qui sont aujourd’hui beaucoup plus difficiles à aborder pour nous, notamment dans les environnements de type ‘low latency/fast moving’ que nous rencontrerons avec la 5G. Pour ce qui est du marché B2B, le défi sera de proposer des infrastructures susceptibles d’être en ligne rapidement, peut-être de manière temporaire. Ce sont là des questions que nous devons bientôt aborder et qui nous occupent énormément. Nous ne le claironnons pas sur tous les toits, mais en Belgique, nous sommes pionniers dans ce domaine.

Telenet envisage-t-il le déphasage de la 2G? Certains pays envisagent en effet de recycler progressivement ce spectre.

Berger: La 3G disparaîtra plus rapidement que la 2G.

Pardon?

berger: Aujourd’hui, vous trouvez encore des appareils ‘2G-only’. Si vous supprimez la 2G, ceux-ci ne fonctionneront plus. En revanche, les appareils 3G et 4G sont rétro-compatibles et on ne trouve plus désormais de téléphones ‘3G-only’. Dès lors, ce spectre peut être réaffecté progressivement pour offrir plus de capacité pour la 4G ou la 5G, tout en conservant la 2G pour les communications ordinaires. Evidemment, ce serait mieux que tout le monde dispose demain d’un appareil 4G, cela nous faciliterait grandement la vie. Cela dit, il faut évidemment pouvoir continuer à desservir ces autres clients.

En quoi la 5G est-elle autre chose qu’un conduit de données plus grand?

Berger: Au-delà de l’infrastructure de base, il faut construire de manière modulaire, certaines parties étant plus grandes que d’autres, tandis que certains éléments offriront des fonctions que d’autres n’offriront pas. Supposons que vous dirigez une entreprise avec une usine où la connectivité entre vos robots est essentielle. La 5G peut devenir un petit réseau au sein de votre entreprise avec une gestion en local, ce qui permet d’optimiser le spectre. Lorsque vous quittez l’entreprise, vous retombez sur le réseau de votre opérateur qui propose de la connectivité de base et de la latence, mais sans offrir des connexions spécifiques pour la robotique. Il s’agira là de couches et de déclinaisons différentes de la 5G.

Il faut offrir à la fois des fréquences larges qui couvrent des territoires plus vastes et des très hautes fréquences pour des capacités de données très élevées et de la latence faible à proximité immédiate de l’endroit où cette connexion est nécessaire. Et à la fois des serveurs hébergés au plus profond du centre de données ainsi que des services vitaux qui sont installés à la périphérie. Ces différentes possibilités sont fonction du cas d’utilisation de la 5G et prendront la forme soit d’une solution sur-mesure, soit d’une application très générique.

La sélection d’un partenaire réseau a-t-elle été délicate, sachant que le choix est limité en Europe à Ericsson et Nokia?

Berger: Un choix entre deux acteurs est toujours mieux que pas de choix du tout. Je dois rappeler que durant des années, nous avons bien collaboré avec ZTE. Je ne veux absolument pas remettre leur travail en question car ils méritent toute notre estime. Ils nous ont parfaitement soutenus et les réseaux mobiles belges existent grâce à des entreprises chinoises comme Huawei et ZTE. En raison des réglementations, nous avons opté pour Ericsson. J’ajoute que Nokia a été choisie par Proximus, tandis qu’Orange s’est montrée réticente à se tourner également vers Nokia. Je ne trouve pas que ce soit une bonne chose de n’avoir qu’un seul acteur pour l’ensemble de la Belgique. C’est en soi déjà un risque, par exemple si cette société est rachetée ou si des problèmes techniques se posent, ce qui peut entraîner des situa- tions très extrêmes. En revanche, dans certaines situa- tions, vous avez besoin d’une certaine redondance et d’un levier, de telle sorte qu’une approche ‘dual vendor’ au niveau national peut être plus raisonnable qu’une stratégie mono-vendeur.

Cela ne vaut-il pas au niveau du réseau? En France, Orange a choisi à la fois Nokia et Ericsson.

Berger: Pour de grands réseaux, certainement. La France est un pays très étendu, alors que pour la Belgique, on parle de 3.000 sites, ce qui est peu comparé à la France. S’adresser à deux acteurs revient donc à complexifier le réseau, de sorte qu’il est plus logique de ne retenir qu’un seul acteur. Par ailleurs, nous collaborons depuis plusieurs années avec Ericsson qui propose un bon produit. Nous sommes dès lors très satisfaits des accords conclus.

Ce modèle subsistera-t-il? La 5G offre également des perspectives à de nouveaux acteurs pour certains éléments.

Berger: Avec l’Open RAN, on verra émerger de nouveaux acteurs. C’est un peu comme avec la virtualisation. Vous n’êtes plus dépendant d’un seul fournisseur de matériel et lorsqu’il faut procéder à une mise à niveau ou une adaptation, il est possible de se tourner vers du matériel générique, alors que le logiciel tourne dans un environnement virtuel.

C’est également l’évolution que va connaître l’Open RAN. Aujourd’hui, la radio et la technologie sous-jacente sont interconnectées. L’O-RAN permet de combiner plus facilement tout cela, sachant que le logiciel est géré par exemple par un acteur américain. C’est notamment le cas de Mavenir qui permet de placer des antennes de n’importe quel acteur. Du coup, il est possible d’associer plusieurs fournisseurs. Bien évidemment, les acteurs actuels comme Nokia, Ericsson, ZTE ou Huawei, ne poussent pas l’Open RAN, même s’ils prétendent le contraire. Nous ne sommes pas encore tout à fait dans cet environnement, mais celui-ci finira par s’imposer.

Et chez Proximus?

Si Telenet ne considère pas encore le FTTH comme une menace pour le coax, il n’empêche que Proximus s’active pour l’instant à déployer la fibre optique. C’est ainsi que des projets sont en cours dans 18 villes (Alost, Anvers, Mons, Bruges, Bruxelles, Charleroi, Gand, Hasselt, Knokke-Heist, Courtrai, Louvain, Liège, Malines, Namur, Ostende, Roulers, Sint-Niklaas et Vilvorde).

Ce déploiement doit par ailleurs s’accélérer ces prochaines années grâce à la collaboration avec EQT en Flandre (dans le cadre de la coentreprise Fiberklaar). Dès lors, des villes comme Geel, Wetteren et Turnhout sont d’ores et déjà sur le planning. En Wallonie, Proximus a conclu un partenariat similaire avec Eurofiber, tandis que le feu vert a récemment été donné à une organisation comparable sous le nom Unifiber.

Où en sont-ils et à quel rythme?

L’objectif est de raccorder annuellement 600.000 ménages et entreprises, et jusqu’à 4,2 millions d’ici 2028. Un rythme que l’entreprise n’a pas encore atteint. Fin mars en effet, le compteur était arrêté à 533.000 raccordements. Fin juin, le total était de 621.000 connexions, soit pour l’instant 10% des ménages et entreprises. Si les chiffres réels sont quelque peu plus élevés, plusieurs zonings industriels et nouveaux lotissements sont déjà dotés depuis plusieurs années en standard de la fibre optique, mais ne figurent pas dans les chiffres du déploiement FTTH à grande échelle.

Pour ce qui est des nouveaux raccordements, il existe enfin deux variantes. D’une part, le GPON (Gigabit Passive Optical Network) que Proximus déploie pour l’ins- tant à grande échelle au niveau national. Et, d’autre part, le P2P (Point-to-Point) où les entreprises demandent explicitement d’installer la fibre optique.

Partout où le GPON est installé, Proximus peut aujourd’hui aller jusqu’à 1 Gbit/s, tout en ajoutant que le 10 Gbit/s est techniquement possible, voire à terme le 25 Gbit/s.

A quel coût?

Toujours selon Proximus, quelque 90.000 clients ont pour l’instant un produit fibre. Dans les entreprises, 70% des clients ayant actuellement un accès fibre utiliseraient effectivement la fibre. Mais les clients qui disposent d’une telle connexion payent certes un surcoût pour atteindre les 1 Gbit/s. Pour ce qui est du grand public, ce n’est pour l’instant possible que dans une offre couplée avec télé- phonie mobile et TV à 142,99 ? par mois. Ou à 109,99 ? par mois pour 500 Mbit/s. Celui qui ne choisit que l’Internet peut atteindre jusqu’à 350 Mbit/s (Internet Maxi Fiber) à 55,99 ? par mois. Dans les abonnements PME, le débit de 1 Gbit/s (150 Mbit/s en ‘upload’) est une option à 15 ? par mois en plus de l’abonnement classique, les prix étant du même ordre de grandeur.

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