Jouer grâce à des données GIS: ‘Ce que vous voyez est une copie conforme de la ville’

Pour son nouveau jeu The Division 2, l’éditeur français de jeux vidéo Ubisoft a reconstruit en numérique l’ensemble de la capitale américaine Washington DC. En ce sens, il a été plus loin que d’autres concepteurs de jeux puisque les données géographiques ouvertes de l’administration – même si celles-ci étaient dans un état douteux – ont été traduites une à une au format numérique.

Toute une ville animée dans un seul jeu : dans le secteur des jeux vidéo, il ne s’agit plus depuis longtemps d’un cas unique. Dans Grand Theft Auto V, le joueur se déplace dans une grande ville américaine dévergondée dont l’agencement ressemble assez étrangement à Los Angeles, tandis que dans les jeux Assassin’s Creed, le joueur se retrouve dans des villes historiques comme Jérusalem, Florence, Rome, Paris, Boston ou Alexandrie, ces cités étant reconstruites en numérique sur base des informations cartographiques d’historiens.

En général, les auteurs de ce type de jeux savent parfaitement restituer l’ambiance d’une ville, mais les distances ne sont jamais vraiment exactes. C’est ainsi que dans le San Francisco du jeu Watch-Dogs 2 lancé voici 3 ans, la porte de Chinatown était par exemple au coin de Union Square, alors qu’en réalité, elle est distante d’environ 500 m. Mais dans The Division 2, le studio de développement de Montréal de l’éditeur Ubisoft s’y est pris autrement : les auteurs ont injecté des données géographiques GIS (geographic information system) de la ville de Washington DC directement dans le jeu avant de donner leur propre interprétation de la ville.

Démantèlement légitime

Cette interprétation est celle d’une ville largement dévastée, puisque The Division 2 se joue dans un monde où la société est complètement anéantie. Reste qu’en dépit d’un agencement né de la fantaisie des concepteurs, les proportions géographiques de la ville sont exactes. ” Jusqu’au niveau des feux de signalisation et du banc dans le parc, précise Manny Diaz, le ‘world director’ du jeu. Ce que vous voyez est une copie conforme de la ville. Nous utilisons les données du système d’information géographique pour proposer une version légitimement démantelée de Washington DC qui s’installe sur la console du joueur. Le moindre bar-café détruit que l’on retrouve dans le jeu existe aujourd’hui bel et bien en l’état. Même l’accès au réseau d’égouttage par exemple est représenté tel qu’il est dans l’espace géographique. Pour montrer les infrastructures de gestion d’énergie qui auraient pu être détruites de manière plausible, nous avons cherché à savoir exactement où celles-ci se situaient. ”

Un concepteur de jeux pourrait, de manière purement hypothétique, intégrer de manière réaliste des villes et communes belges dans son jeu.

Données ouvertes

Pour proposer une interprétation numérique exacte de Washington DC, les concepteurs d’Ubisoft Montréal ont utilisé des données GIS en grande majorité accessibles à tout un chacun. La ville propose en effet ces données librement dans le cadre d’une initiative de données ouvertes accessibles sur son site Web opendata.DCgov. En Belgique également, certaines données GIS sont ouvertes au grand public. C’est ainsi qu’en Wallonie existe le portail geo.be et portail.wallonie.be, à Bruxelles Geo.irisnet.be et en Flandre Geopunt.be. Il s’agit, tout comme pour Washington DC, de données ouvertes qui pourraient permettre, de manière purement hypothétique, à un concepteur de jeu d’intégrer de manière réaliste des villes et communes belges.

Reste que ces concepteurs de jeux hypothétiques ne doivent pas s’imaginer pouvoir trouver tout sous forme véritablement ‘ouverte’, précise Nico Van de Weghe, professeur de géomatique à l’Université de Gand. ” Il existe certes des masses de données disponibles dans le Grootschalig Referentiebestand (GRB) sur lequel est basée l’application Geopunt en Flandre. Cela va très loin : jusqu’au moindre branchement d’une infrastructure énergétique. Ces informations ont été collectées à différentes sources, qu’il s’agisse de données de mesure de géomètres jusqu’à des photos aériennes. La profondeur des données dépend en partie du niveau communal : la plupart des communes ont un coordinateur GIS qui définit notamment le type d’informations qui seront disponibles librement et lesquelles ne le seront pas. A Ostende par exemple, les arbres et les bancs publics sont répertoriés dans le GIS, mais tel n’est pas le cas pour toutes les villes. En ce qui concerne l’infrastructure énergétique, les fournisseurs d’énergie ont également leur mot à dire dans les données qui seront ouvertes au public et celles qui ne le seront pas. ”

Complément créatif

Au final, Washington DC dans The Division 2 n’est pas une réplique parfaite de la véritable ville puisque les concepteurs ont en fait réalisé un modèle 3D qu’ils ont ensuite complété d’un décor d’un monde dévasté. Dans le jeu, le joueur fait partie d’une équipe de survivants qui, pour le compte de l’administration américaine disparue, est chargée de sécuriser la ville face à l’émergence de milices terroristes. La bataille débute à la Maison-Blanche où, après la chute du gouvernement, le groupe a établi son quartier-général, avant de se rendre au Capitole, puis au musée Smithsonian, au Washington Mall et sur d’autres sites de la ville.

Afin de présenter au joueur les lieux de l’Amérique dans un état dévasté, il a fallu selon les concepteurs, utiliser également en partie des méthodes traditionnelles. Pour ce faire, un voyage d’étude de plusieurs jours a été mené en ville, durant lequel les concepteurs des niveaux ont pris des tonnes de photos avant de les retravailler en fonction de leur interprétation artistique du décor. Néanmoins, la base du modèle croisé de Washington DC a donc été posée grâce à des données GIS qui furent simplement chargées dans le logiciel de développement conçu spécialement à cet effet.

” Certes, les informations GIS ne nous permettent que de disposer de certains modèles 3D blancs, explique encore Diaz. Nous avons encore dû nous contenter de travailler de manière traditionnelle pour les compléter, à savoir en circulant durant 10 jours dans la ville pour prendre des photos et appréhender l’ambiance de la vie urbaine. Grâce aux données GIS, nous avons toutefois pu nous concentrer sur le travail artisanal. C’est ainsi que nous avons pu recréer une ville telle qu’elle serait en grande partie reconquise par la nature. Et dans laquelle le danger peut surgir à chaque coin de rue, qu’il s’agisse d’un lieu public comme The Mall par exemple, il est impossible de vous cacher en cas d’attaque. Les données publiques de la ville nous permettent de faire du ‘storytelling’ environnemental. ” ”

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