Interview Paulo Rosado, CEO OutSystems: “Les applis ‘low code’ que nous développons sont critiques”

Els Bellens

Sachant que la pénurie d’informaticiens n’est pas prêt de s’arrêter durant les prochaines années, les plateformes ‘low code’ ont une belle carte à jouer. Data News a rencontré Paulo Rosado, CEO de la portugaise OutSystems.

OutSystems est une ‘licorne’ portugaise. L’entreprise a été fondée voici une vingtaine d’années et est désormais valorisée à quelque 9 milliards €. Elle commercialise désormais des logiciels ‘low code’ à l’échelle mondiale, une solution qui automatise une large part du développement. Et notamment aussi en Belgique, même si sa percée y est plus lente.

Comment analysez-vous l’émergence du ‘low code’ dans notre pays?

PAULO ROSADO: La Belgique a véritablement perçu l’urgence de la numérisation voici 3 ans environ. A l’époque, nous avons été confrontés à une vague de demandes. Il y a donc un sérieux retard à rattraper. Nous comptons déjà de nombreux clients ici, mais je constate que face à l’arriéré de projets et au manque de personnel, nous représentons une véritable opportunité. Par ailleurs, nous nouons en général des relations à long terme dans la mesure où il s’agit de projets de longue durée. Il est en effet impossible de numériser une entreprise en quelques mois seulement. Il faut commencer rapidement, mais il faut un partenaire qui puisse rester sur toute la durée du projet. La Belgique se situe à un moment charnière de cette transformation ainsi que de la migration vers le cloud. Il y a certes d’autres régions qui sont plus avancées, et certainement les Etats-Unis par exemple, mais la Belgique n’est pas mal positionnée. Il s’agit d’une évolution inéluctable.

En Belgique, vous avez notamment collaboré avec la Croix-Rouge et la MC. Est-ce un hasard si beaucoup de clients viennent du secteur de la santé?

ROSADO: Nous sommes actifs dans environ 21 secteurs et nous ne nous limitons donc certainement pas aux soins de santé. Ce qui arrive souvent, c’est qu’un secteur profite d’une accélération de l’innovation. Dans la santé, on a assisté durant ces derniers mois à un coup d’accélérateur spectaculaire à la suite du Covid. Nous constatons désormais que l’ensemble du secteur adopte la numérisation et lorsque ce type d’évolution intervient, OutSystems est en général parmi les premiers à offrir des solutions.

Vous développez des plateformes ‘low code’. Proposez-vous également du ‘no code’?

ROSADO: Le terme que l’on choisit dépend de la complexité de l’appli. Les applis que nous concevons sont en général sérieuses et même critiques. Il est donc nécessaire de prévoir une certaine planification. Mais lorsqu’il s’agit de développer de petites choses, nous fonctionnons aussi comme plateforme ‘no code’.

Le ‘low code’ est souvent associé à de petites applis ou à des mises à niveau qui facilitent la tâche des entreprises. Mais vous prenez également en charge des projets plus vastes et plus importants.

ROSADO: Si l’on regarde les premiers temps de l’entreprise, l’un de nos clients a utilisé notre plateforme pour construire un portail pour 15.000 partenaires. Dès le premier jour donc, nous devions être disponibles en 24/7, être sécurisés et évolutifs. Cela a eu un impact important sur notre développement.

La Belgique se situe à un moment charnière de cette transformation ainsi que de la migration vers le cloud

Par ailleurs, nous avons très rapidement eu un client qui voulait déployer un système de construction complet, preuve que nous sommes utilisés pour construire de grandes plateformes. Nous entendons fondamentalement augmenter la productivité des développements, proposer une solution qui soit critique et apporte beaucoup de valeur. Les problématiques que les entreprises abordent avec nos produits sont souvent vastes, tandis que la dynamique de tels logiciels exige qu’en cas de changement, la sécurité soit garantie. Il faut investir dans ce domaine et que les applications puissent la supporter.

Vous donnez en quelque sorte au client les composants lui permettant de remplacer son ERP?

ROSADO: Pas vraiment. Pour l’instant, beaucoup de clients sont confrontés à des systèmes hérités du passé et construits voici de nombreuses années déjà. Il peut s’agir par exemple d’un AS/400, mais aussi de beaucoup de systèmes Java qui gèrent une fonction importante dans l’entreprise. Or ces plateformes doivent être renouvelées et intégrées dans une nouvelle architecture où l’on retrouve aussi le cloud, des micro-services, etc. Si vous voulez développer une telle solution selon la méthode traditionnelle, un tel projet de migration peut prendre de 4 à 5 ans et peut-être même ne jamais voir le jour.

Avec OutSystems, le client a la possibilité de migrer un tel système dans le cloud avec une nouvelle architecture et ce, en un quart du délai. C’est certes encore assez long car il s’agit de gros systèmes, mais c’est déjà plus réaliste. En général, un tel projet consiste à associer des systèmes hérités à des portails et des extensions, ce qui permet de résorber directement l’arriéré des requêtes de changement. Avec OutSystems, les demandes du métier relatives à des nouveautés en matière d’interfaces, de portails, de flux de travail et de règles ne sont plus transmises au système hérité, mais à une plateforme très agile et capable de prendre en compte rapidement de tels changements. Il s’agit donc plutôt d’un système complémentaire que d’un remplacement.

Qui utilise le plus ce type de logiciel?

ROSADO: Environ la moitié de la communauté OutSystems n’a pas étudié l’informatique. Mais ces personnes apprécient de construire des systèmes. Nous faisons en sorte de permettre à des personnes techniques ou qui apprécient la technologie de développer de tels systèmes. Par ailleurs, nous avons aussi des informaticiens, souvent des architectes, qui utilisent nos logiciels.

L’un des avantages du ‘low code’ est souvent qu’il faut moins de développeurs. Utilisez-vous cet argument?

ROSADO: Pas seulement des développeurs. Si vous voulez concevoir une application ‘native cloud’ qui soit toujours accessible, qui soit évolutive et ne se heurte pas à certaines limites et qui soit sécurisée, vous devez disposer d’au moins 16 profils techniques différents. Or tous ces profils sont difficiles à trouver. Songez à des ‘sec ops’, des ingénieurs en fiabilité, des ingénieurs en expérience utilisateur, etc. C’est un éventail gigantesque de compétences.

N’y a-t-il plus besoin de spécialiste en gouvernance avec une plateforme comme OutSystems? Quelqu’un doit quand même contrôler les processus?

ROSADO: Certes, mais au lieu d’avoir 30 personnes, il suffit d’une équipe de 4. Il est bien sûr intéressant pour une entreprise d’avoir un responsable ‘sec ops’, mais encore faut-il disposer d’une équipe capable de mettre en oeuvre cette gouvernance. A ce niveau, l’automatisation est vitale. Le logiciel est à ce stade tel qu’il faut implémenter chaque jour des changements, soit jusqu’à 300 mises à niveau annuelles. S’il faut contrôler chaque version en termes de sécurité, s’il faut contrôler le code ainsi que le réseau puis vérifier le déploiement et l’installation de ‘rustines’, etc. il s’agit d’une opération gigantesque. C’est pourquoi nous disposons d’une grande équipe ‘sec ops’ qui regroupe l’ensemble de ces compétences et les intègre dans la plateforme afin que les clients puissent les exploiter.

Lorsque les clients nous demandent ce que nous faisons, nous leur présentons une liste de l’ensemble des tâches qui sont exécutées automatiquement. Ensuite, ils peuvent choisir eux-mêmes et décider ce qu’ils veulent exécuter et tester en interne. C’est un exercice qui nous apporte beaucoup d’enseignements.

L’objectif est-il d’éliminer la complexité dans les entreprises?

ROSADO: Bien sûr. Je vais vous citer un exemple. Aujourd’hui, tout le monde veut tourner des applis dans des conteneurs avec Kubernetes. Notre approche doit aider les clients à gérer leurs conteneurs, à évoluer, etc. Nous avons une équipe d’experts Kubernetes ultra-compétents, mais coûteux. Et celle-ci accomplit un travail gigantesque de prise en charge d’une telle plateforme Kubernetes. J’ai moi-même été surpris, car ces plateformes doivent aider les clients. Et elles le font d’ailleurs, même si les problèmes ne font qu’augmenter. En effet, il faut désormais basculer les charges de travail en temps réel dans différentes zones du cloud. Or toutes les applis ont des exigences spécifiques. Et celles-ci doivent continuer à fonctionner si une panne intervient quelque part. Tout cela crée une complexité extraordinaire dans notre ‘stack’ de technologies.

Si vous essayez de construire une telle solution avec une équipe réduite, c’est presque mission impossible. D’autant que votre personnel ne sera pas en mesure de maîtriser suffisamment vite les compétences nécessaires pour chaque nouvelle vague d’innovation. Il faudrait recruter de nouveaux collaborateurs qui possèdent ces compétences, sachant que recruter du personnel IT n’est pas évident. C’est pourquoi des entreprises comme OutSystems font ce travail pour vous. Nous avons une très grande équipe d’ingénieurs qui possèdent d’immenses talents. Et ce sont ces talents que nous intégrons dans notre plateforme, que nous commercialisons et que nous présentons à nos clients pour leur montrer qu’ils ne doivent pas tout faire eux-mêmes. Il s’agit là d’une proposition commerciale intéressante.

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