Google et LinkedIn renforcent l’impact sur le marché du travail

Les canaux de recrutement classiques sont sous pression, alors que les médias sociaux et les entreprises technologiques gagnent en importance. Les bureaux de recrutement y voient davantage une opportunité qu’une menace.

Un nombre croissant de personnes sont recrutées via Google, LinkedIn et Facebook. En Belgique également, cette tendance est irréversible, bien qu’elle soit moins prononcée que dans le reste du monde. Telle est l’une des conclusions de l’étude ‘Chercher un emploi sur le marché du travail’ de Randstad qui a analysé la manière dont les personnes ont trouvé un nouvel emploi au cours des 6 derniers mois. En Belgique, 19% des emplois ont été trouvés via Google, 14% sur LinkedIn et 17% avec Facebook.

“La position de force des géants technologiques ne semble pas directement pénaliser les organismes comme le Forem ou des intermédiaires comme les bureaux d’intérim et les agences de recrutement, mais plutôt les sites d’offres d’emploi, le bouche-à-oreille et les références”, estime Jan Denys, porte-parole de Randstad. L’une des conséquences principales de la percée de ces nouveaux canaux pour la recherche d’emploi est que tant les demandeurs d’emploi que les entreprises se tournent désormais vers davantage de canaux. Ainsi, la plupart des emplois sont trouvés grâce à une combinaison de canaux. “Celui qui trouve du travail via le Forem, Actiris ou le VDAB le fait aussi dans 32% des cas également via Google, dans 40% des cas via un bureau d’intérim et dans 39% via un média social. On constate donc une grande interpénétration entre ces différents canaux.”

Portée plus large

L’impact supérieur des géants technologiques sur le marché du travail est double, analyse encore Denys. “Comme de nombreux emplois vacants sont trouvés via LinkedIn, Google et d’autres canaux, nous sommes moins autonomes que par le passé. Par ailleurs, ces entreprises technologiques offrent aussi davantage d’opportunités étant donné qu’il s’agit d’entreprises de très grande taille et aux moyens financiers colossaux. Grâce à eux, nous touchons des candidats que nous n’aurions pas pu contacter autrement.”

Le bureau de recrutement CHRLY s’appuie également sur LinkedIn, FB et Google. “Ces canaux sont moins utilisés comme outil de screening que comme plateforme pour rendre nos offres d’emploi plus visibles auprès de candidats potentiels, explique Maxime Cools, directeur général de CHRLY. Les jeunes talents ne sont pas forcément sur LinkedIn, même si les universités et les hautes écoles l’encouragent. Comme ils sont en général actifs sur FB et Google, nous y sommes également présents.”

Myranda Dyck, country manager BeLux HeadFirst Group confirme l’impact des géants technologiques. “Nous utilisons le sourcing direct, qui englobe notamment LinkedIn, pour les profils génériques et non en pénurie. En revanche, notre pool de talents et les fournisseurs stratégiques sont mis en oeuvre pour la recherche de talents rares.”

D’après elle, l’évolution des canaux de recherche s’explique en grande partie par le fait que le marché du travail ait été mis sous pression durant la pandémie. “Les candidats se sont rendu compte autrement de leurs connaissances et de la manière de les trouver. Par ailleurs, on constate sur le marché IT une pénurie de recruteurs spécialisés qui sont capables de découvrir les bons profils.”

“Ces 5 dernières années, LinkedIn a été le principal canal de recherche, confirme Stefan Dierckx, CEO d’Exellys. Autrefois, il fallait faire appel à des sites Web spécialisés ou des salons de l’emploi organisés dans les universités et hautes écoles. Or même les jeunes talents se tournent désormais vers LinkedIn. On trouve davantage de sites qui parcourent toutes sortes de portails d’emploi par ‘scraping’. Force est de constater que la recherche numérique gagne du terrain.”

Menace ou opportunité?

Selon Jan Denys, l’émergence de tels géants technologiques représente à la fois une menace et une opportunité. “A première vue, nous n’avons rien à craindre dans la mesure où la part de marché des bureaux d’intérim reste stable et que nous n’allons pas disparaître de sitôt.” Mais d’autre part, ces grands de l’Internet disposent de très gros volumes de données et tissent une relation continue avec leurs clients. “Dans certains cas, ils ont réussi à bâtir un réseau puissant d’entreprises et de demandeurs d’emploi. Google et LinkedIn ont une relation dans la durée avec le candidat. C’est ainsi que Google reçoit quotidiennement des informations sur moi. Pour les bureaux d’intérim, c’est nettement plus compliqué. Ils ont certes des contacts avec les candidats lors des grandes étapes de leur carrière, mais ils peinent à entretenir la relation durant les périodes intermédiaires. A ce niveau, les entreprises technologiques sont plus performantes. C’est une tendance passionnante dont il faut tenir compte. Il faudra en effet voir comment elle va évoluer.”

Stefan Dierckx d’Exellys considère l’impact des géants technologiques davantage comme une opportunité. “LinkedIn permet de balayer beaucoup plus large, alors que les anciens canaux étaient limités en termes de taille. Par ailleurs, il existe beaucoup plus d’acteurs sur le marché qui ont tous la même vue. C’est à la fois un avantage et un inconvénient. En outre, la dimension personnelle est moins évidente dans le recrutement en ligne. Dans un salon de l’emploi, on a un contact en face à face avec les candidats. Mais via LinkedIn, tout se fait à distance, ce qui n’induit pas forcément un impact nettement moindre de la touche personnelle. Si le candidat s’aperçoit que l’ensemble du processus est automatisé, il décrochera rapidement.”

Harvey Nash ne considère pas davantage l’arrivée de LinkedIn et Google comme une menace. “Nous avons longtemps craint les géants technologiques qui disposent de budgets imposants et d’un réseau potentiel énorme, confie Ronny Lommelen, directeur général. Mais nous nous sommes rendu compte que nous préférions collaborer avec eux que de les concurrencer. Alors que nous devions autrefois nous appuyer surtout sur notre propre base de données et celles des Monsters et Ictjobs de ce monde, nous nous tournons maintenant plus vers des sociétés comme LinkedIn pour trouver nos candidats. Près de 20% des offres postées en 2021 l’ont été par ce canal, un pourcentage qui fait que croître chaque année.”

Chez CHRLY également, LinkedIn n’est pas perçu comme une menace. “Nous pouvons puiser dans notre grand réseau de consultants IT, explique Maxime Cools. CHRLY a pris naissance dans le giron de l’entreprise IT renommée Fujitsu. De ce fait, nous connaissons parfaitement le monde technologique. Les canaux en ligne renferment certes beaucoup de données, mais la mise en corrélation se fait toujours par l’interprétation des données et surtout le contact humain. C’est pourquoi nous misons énormément sur nos recruteurs qui sont en contact avec les consultants. Le profil en ligne et le CV du candidat viennent en deuxième position. Nous priviliégions l’approche humaine au départ de la personne elle-même. C’est un élément qui est souvent négligé.”

Pour HeadFirst Group, les géants technologiques sont un complément dans la mise en relation entre organisations et talents. “C’est une manière de les diriger vers la bonne plateforme, avec les missions qui correspondent à leurs compétences, considère Myranda Dyck. Il arrive que les candidats ne sachent pas où trouver les missions et sur quelle plateforme se renseigner. Facebook et LinkedIn jouent à cet égard un rôle d’intermédiaire.”

Qualité du matching

Quant à savoir si la qualité du matching s’est améliorée sous l’influence des géants technologiques, Jan Denys se montre dubitatif.

“Le problème majeur du recrutement via LinkedIn est l’accessibilité des offres d’emploi, enchaîne Stefan Dierckx. Nos paramètres sont définis pour trouver essentiellement des jeunes talents IT en Belgique, aux Pays-Bas et aux Royaume-Uni. Pourtant, nous constatons que des profils provenant du monde entier posent leur candidature. C’est surtout pour les jeunes talents qu’une présence physique au bureau est importante, ce qui permet de les accompagner et de les encadrer de manière optimale. C’est la raison pour laquelle les entreprises demandent que leurs collaborateurs habitent à proximité.”

Toujours selon Dierckx, le défi principal est la taille particulièrement réduite du réservoir de talents en Belgique. “Des études montrent que nous avons aujourd’hui un déficit de 25.000 informaticiens. D’ici 2030, ce chiffre passera à 500.000. Chaque année, quelque 2.00 jeunes sont diplômés des filières qui nous intéressent: ingénieur civil, ingénieur industriel, informaticien, etc. Les grands acteurs comme les banques, les fournisseurs télécoms et les sociétés de consultance recrutent de 50 à 100 candidats en une fois. Du coup, le vivier de 2.000 diplômés est rapidement asséché. La pénurie est gigantesque. La guerre des talents ne fera que s’intensifier.”

Exellys ne se considère pas elle-même comme un pur bureau de recrutement. “Nous jetons un pont entre les jeunes diplômés et leur première expérience professionnelle, insiste Dierckx. Beaucoup de jeunes reçoivent à l’université un bagage essentiellement théorique. Sur des thèmes comme la collaboration en équipe sur certains projets, nombre d’entre eux accusent du retard. C’est pourquoi nous leur offrons un programme de deux ans de formation et de coaching intensifs pour franchir ce pont et devenir un vrai professionnel. C’est à ce niveau que nous faisons la différence. Nombre de ces diplômés sont peu à l’aise dans les premières étapes de leur carrière et ont vraiment besoin de ce support. Nous les soutenons activement alors même qu’ils travaillent chez le client et apprennent ‘sur le tas’.”

“Pour un cabinet de recrutement comme le nôtre, la qualité du matching reste constante, insiste Ronny Lommelen de Harvey Nash. Autrefois, nous avions notre propre système et nos outils pour aller en profondeur. A l’époque déjà, nous utilisions des ‘mots-clés’ pour sélectionner les meilleurs candidats. Et les choses n’ont pas changé aujourd’hui. Les clients finaux qui ne disposaient pas de tels outils et utilisent désormais des mots-clés via LinkedIn trouveront certes rapidement le candidat idéal. Pourtant, il apparaît que les candidats préfèrent encore toujours être approchés par des bureaux de recrutement comme le nôtre, essentiellement parce qu’un tel bureau peut leur présenter l’ensemble des possibilités.”

Interviews à distance

Dans le même temps, Lommelen constate que l’approche évolue. “Du fait du Covid, les interviews se font toujours plus à distance. Les nomades numériques qui voient le contact en face à face comme un handicap ne peuvent que se féliciter. Ils se sentent plus à l’aise derrière leur écran. Grâce aux interviews à distance, le réservoir de candidats ne se limite plus aux profils locaux, mais s’ouvre davantage aux personnes pouvant travailler à distance. Comme il n’est plus nécessaire d’être physiquement présent au bureau, le travail peut se faire de pratiquement n’importe où dans le monde. Dès lors, la pénurie de collaborateurs est partiellement compensée par des candidats venant d’à peu près partout et disposés à télétravailler pour des entreprises locales. Les sociétés qui sont ouvertes à des candidats ‘globaux’ génèrent 20% de chiffre d’affaires en plus que celles qui se limitent aux des profils locaux. En effet, les collaborateurs ayant des bagages cultures différents stimulent l’innovation.”

Si la qualité du matching s’est améliorée avec l’arrivée des géants technologiques, ce n’est pas spécifiquement lié à la technologie de LinkedIn même, insiste Myranda Dyck. “C’est plutôt du fait des intermédiaires qui utilisent ce média pour traduire le matching en un contrat. Cette approche ‘human-based’ est encore toujours considérée comme très pertinente.”

“La fragmentation de la stratégie de recherche de talents au sein d’une organisation induit obligatoirement que des départements comme les achats ou les RH doivent d’urgence se mettre autour de la table pour centraliser leurs processus de recrutement et regarder la manière dont ils peuvent aligner leurs talents sur les projets, ajoute-t-elle. Il existe une différence dans la manière dont les RH et les achats recrutent. Un département RH est davantage centré sur les collaborateurs internes et la recherche de collaborateurs fixes, alors que les achats s’intéressent plutôt aux compétences liées aux projets. En tant que HeadFirst Group, nous formons le lien entre les RH et les achats afin que l’organisation puisse évoluer vers une approche ‘total talent management’ qui associe fixe et flexible. Question de ne pas seulement trouver les talents, mais aussi les séduire, les convaincre, les fidéliser et les faire évoluer.”

Pas de profil IT traditionnel

Pour dénicher les talents, CHRLY ne s’intéresse plus aux profils IT traditionnels. “Cette nouvelle approche a été accélérée par le coronavirus, estime Maxime Cools. Sur le marché belge, l’évolution vers le statut d’indépendant a pris de l’ampleur. La flexibilité et la manière de travailler ont pris davantage d’importance. Les candidats recherchent plutôt la symbiose avec la culture d’entreprise et la manière dont celle-ci peut continuer à investir dans leurs compétences. Une évolution qui touche également les entreprises. Ainsi, les profils IT doivent regarder l’avenir, identifier les opportunités et suivre des formations. C’est d’ailleurs un objectif que nous nous sommes donné chez CHRLY: s’intéresser aux formations, au ‘cultural fit’ et à l’état d’esprit des consultants et de l’entreprise qui recrute.”

A l’instar d’autres bureaux, CHRLY mise sur les recrutements traditionnels. “Mais nous allons bien au-delà. C’est ainsi que je suis particulièrement fier de notre ‘Recruitment-as-as-Service (RaaS). Cette approche innovante est une démarche volontariste, précise Maxime Cools. Nous constatons en effet que des offres d’emploi restent longtemps ouvertes pour différentes raisons: l’entreprise ne dispose pas des bons recruteurs, n’a pas le processus de recrutement adapté ou recherche des profils temporaires. Notre équipe spé- cialisée l’aide dans ses objectifs à court et moyen terme ou prend en charge l’ensemble du processus. En parallèle, nous proposons un modèle ‘Try & hire’. Ce n’est pas nouveau en soi, mais l’approche que nous adoptons est différente. Chez CHRLY, nous invitons après un an le client et le consultant à conclure une convention sans demander de commission. C’est à l’entreprise et au consultant de trouver un accord. Ils ont travaillé ensemble durant un an et savent donc parfaitement ce qu’ils valent et s’ils veulent poursuivre l’aventure.”

25.000

Le déficit d’informaticiens en Belgique.

Maxime Cools, directeur général de CHRLY.
Maxime Cools, directeur général de CHRLY.
Myranda Dyck, country manager BeLux HeadFirst Group
Myranda Dyck, country manager BeLux HeadFirst Group
Stefan Dierckx, CEO d'Exellys
Stefan Dierckx, CEO d’Exellys

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