Une ex-collaboratrice de Facebook tire la sonnette d’alarme: l’influence politique continue de foisonner

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Pieterjan Van Leemputten

Dans un long exposé, une ex-‘data scientist’ de Facebook signale que l’entreprise en fait nettement trop peu pour juguler les litiges politiques basés sur de faux comptes. Il y a trop d’incidents, trop peu de moyens et trop de responsabilités qui pèsent sur une poignée de personnes.

Sophie Zhang a rédigé un mémo interne très étoffé lors de sa dernière journée de travail. Buzzfeed a pu le consulter et en a publié de grandes parties. Elle était membre du Facebook Site Integrity fake engagement team et révèle une vision étonnante du travail de quelqu’un ayant pour tâche d’identifier l’activité suspecte sur le réseau social.

En bref, cela revient à dire que Facebook en fait beaucoup trop peu pour contrer la manipulation politique sur la plate-forme. Il ne s’agit ici pas forcément de politiciens qui propagent des propos mensongers, mais de tentatives de diffuser des messages via des comptes factices, ou de faire massivement obstacle à des opposants politiques.

“Au cours de mes trois années passées chez Facebook, j’ai connu plusieurs tentatives flagrantes de gouvernements étrangers d’abuser de notre plate-forme à grande échelle en vue de tromper leurs propres citoyens”, écrit-elle. Et d’ajouter qu’elle a dû elle-même prendre des décisions qui ont exercé une influence sur des présidents et des politiciens éminents dans divers pays.

De l’Italie à l’Inde

Les incidents se sont littéralement manifestés dans le mode entier. C’est ainsi que Zhang a découvert des milliers de comptes suspects qui, sur Facebook, fustigeaient l’opposition en Azerbaïdjan. Mais Facebook ne réagit qu’un an après une notification interne.

Au Honduras, de faux comptes ont été utilisés au bénéfice de l’actuel président, afin d’amplifier les interactions et de diffuser du contenu. Zhang le découvrit rapidement, parce que des centaines de ces comptes étaient gérés par l’administrateur de la page Facebook du président. Ici encore, il fallut attendre neuf mois, avant que Facebook n’entreprenne une action, mais les faux comptes reviennent sans cesse.

La liste des pays et des conflits, où Facebook joua un rôle au niveau de l’impact sur l’opinion publique ou de la désinformation à grande échelle, est longue. Ukraine, Italie, Brésil, Bolivie, Equateur, Inde,…

Zhang insiste sur le fait que Facebook n’est pas tellement de mauvaise volonté, mais que c’est souvent dû à un manque de moyens et que l’entreprise a tendance à se focaliser sur des activités qui menacent de nuire à son image de réseau social.

Focus sur l’Occident

Une raison de l’approche souvent laxiste de Facebook, c’est qu’il ne manque tout simplement pas de problèmes importants. Après qu’il soit apparu que Facebook joua aux Etats-Unis un rôle en vue dans le racolage de votes en faveur de Donald Trump – ce que le réseau social avait initialement démenti -, l’entreprise se décida à en faire plus pour lutter contre la manipulation, les comptes factices et la désinformation. Mais selon Zhang, le focus est ici fortement mis sur les Etats-Unis et l’Europe Occidentale.

Elle ajoute qu’en temps que ‘data scientist’, elle se vit forcée de décider sans trop de contrôle quelle action entreprendre. “Il y avait tant de comportements nuisibles de par le monde, et je devais personnellement sélectionner ceux qui allaient être examinés de plus près, afin de leur accorder la priorité”, écrit-elle.

“Un manager de Strategic Response n’hésita pas à me dire sur un ton badin que la grande partie du monde en dehors de l’Occident, c’était vraiment le Far West, dont j’étais partiellement la dictatrice. Cela se voulait être un compliment, mais cela illustre surtout l’énorme pression qui pesait sur mes épaules.”

Trop peu de moyens

Le passage en revue interne s’avérait parfois aussi malaisé. C’est ainsi que chez Facebook, le focus reposait souvent sur la lutte contre les pourriels (spam). Ceux-ci sont parfois très volumineux en taille, ce qui fait que la manipulation politique dans les pays plus modestes ou plus pauvres se voit attribuer moins rapidement la priorité. C’est ainsi que Zhang elle-même déclare que la meilleure façon d’accorder l’attention à une situation donnée n’était pas de la signaler via les canaux adaptés, mais bien de la placer sur Workplace, le service de messagerie interne de Facebook pour tous les collaborateurs.

“Au bureau, j’avais conscience que mon avis n’était pas respecté, à moins que je n’adopte un comportement arrogant.”

Zhang est compréhensive vis-à-vis de Facebook et apporte la nuance, selon laquelle l’entreprise est très active. Mais elle insiste aussi sur le fait qu’elle recevait régulièrement le message, selon lequel les ressources humaines étaient limitées pour faire face à tout et partout.

“Facebook projette à l’extérieur l’image d’une entreprise puissante et compétente (…) Mais la réalité est que nombre de nos actions sont précipitées et chaotiques”, selon la désormais ex-collaboratrice de Facebook.

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