Pieter Jadoul
Un article trop complexe sur l’avenir de la technologie publicitaire
Trois ans après la mise en place du RGPD, Google sort des solutions destinées à aligner l’ad tech sur celui-ci. Mais cela aura des conséquences sur l’ensemble de l’écosystème numérique, alors que les solutions alternatives seront bloquées par Chrome, prévient Pieter Jadoul d’AdSomeNoise.
Trois ans après la mise en oeuvre effective du RGPD (après une période de transition de deux ans), et quelques milliards de violations de la vie privée au quotidien plus tard, les contours des solutions que Google, leader du marché de l’ad tech, a développées pour s’aligner sur cette legislation, deviennent claires. Les solutions sont collectées sous le dénominateur Privacy Sandbox et contiennent la solution de ciblage FloC, l’acronyme de Federated Learning of Cohorts, une alternative à l’actuel ciblage en ‘one to one’. Une solution qui n’est même pas si complexe et encore moins révolutionnaire. Mais le déploiement envisagé par Google aura des conséquences considérables sur l’ensemble de l’écosystème numérique. Le fait que cela n’ait pas suscité davantage de protestations, est lié à une problématique trop rapidement qualifiée de ‘trop difficile’.
Les solutions de Google pour l’ad tech auront des effets considérables sur l’ensemble de l’écosystème numérique.
Que sait-on déjà sur FloC? Au lieu de cibler les internautes individuellement, ce sont des groupes d’impressions (et donc des personnes) qui sont visés et ce, sans possibilité de ciblage individuel. La manière dont ces groupes seront assemblés, est pour le moment une boîte noire, mais il semble logique qu’il s’agisse d’une combinaison de comportements de navigation et de données déclaratives (par exemple les données de connexion). On ignore qui va vérifier cette méthode, mais on y est habitué. Le soulagement est tout simplement trop grand pour poser de nombreuses questions (ennuyeuses). Enfin, une solution se profile à l’horizon pour un écosystème accro aux données personnelles. On pourrait comparer cela au vapotage pour les personnes qui pensent que la vie sans cigarette est impossible. ‘So far so good’.
La configuration de FloC semble, malgré toutes les abréviations et le bingo ad tech, peut-être assez simple. Et, en gros, c’est le cas. Il s’agit d’un ‘Cim 2.0’ lié à une plate-forme d’achat. C’est comme si on faisait la promotion du vélo en tant que nouvelle alternative révolutionnaire à la voiture. Les autres Ad Tech étaient déjà aussi poussées, dont plusieurs (The Trade Desk, Adform…) opèrent sur des solutions de protection de la vie privée via un identifiant unique depuis un certain temps. Ce système est déjà opérationnel. Il a été vérifié par rapport à l’exactitude juridique pendant des années, entre autres par l’IAB, auprès des différents régulateurs européens, et ils ont effectivement été audités. L’IAB, avec Google comme membre fondateur.
En marge de sa promo du Privacy Sandbox, Google a annoncé cette semaine que les solutions alternatives seront bloquées par son navigateur web, Chrome, qui détient 68,5% de part de marché. Cette annonce signifie donc la mort, quasi certaine, des alternatives (européennes) au FloC. L’action de “The Trade Desk” a perdu 20% de sa valeur le lendemain de l’annonce. Adweek parle d’une “bombe par la législation sur la protection de la vie privée sur la technologie publicitaire indépendante”. Ce type de perturbation du marché n’est pas unique. De même, Google a utilisé l’initiative du marché – “la coalition pour de meilleures annonces” – pour limiter la taille des annonces à ses propres solutions. Après la créativité, l’ad tech alternative doit aussi y croire. ‘Same shit all over again’.
Que Google ne veuille pas d’autres enfants dans le bac à sable est peut-être méchant, mais compréhensible de son point de vue. Google ne partage pas de budget. Avec personne. L’entreprise menace même un pays comme l’Australie pour imposer sa volonté. Le fait qu’il n’y ait pas de réponse de la part des autres stakeholders est peut-être encore plus remarquable. Où sont nos politiciens, éditeurs, annonceurs et agences média dans cette discussion? Qu’en est-il des associations qui doivent représenter notre secteur: UMA, UBA, DMA, DMA? L’IAB Europe serait invité sur Google pour un café la semaine prochaine. Après tout, aucun secteur n’a bénéficié d’un monopole. La hausse des prix et le manque évident d’innovation sont des conséquences évidentes. Un handicap pour l’économie européenne qui aspire à une relance économique où la numérisation prend une place prépondérante. Les fruits, tels que l’emploi et la croissance, seront récoltés dans la Silicon Valley.
Aucun secteur n’a profité d’un monopole. La hausse des prix et le manque d’innovations sont des conséquences évidentes.
La raison pour laquelle cette problèmématique ne suscite pas plus d’enthousiasme, c’est qu’elle est complexe. Pas évident donc à expliquer à un Parlement ou dans un conseil de gestion. On ne peut obtenir de reconnaissance personnelle pour autant. Il est plus facile de critiquer la domination du Gafa dans n’importe quelle interview que de faire quelque chose à ce sujet. Cela nécessite des choix clairs en matière de technologie, de stratégie, d’investissements et, surtout, de courage de la part de tous les stakeholders. Vu la complexité de la question, son urgence est souvent perdue de vue.
Entre-temps, le nouveau livre du directeur national de Google Belgium vient de sortir. Prêt à être signé aux réceptions régionales de la Voka. L’annonce du livre contient la these suivante: ‘La technologie est neutre’. ‘Nope’. Ça ne fait pas longtemps. ‘By design’.
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