Réputation Vs Récession: 1-0

“Aïe aïe aïe, sur quel canasson ai-je donc parié?” Je me souviens encore très précisément de mon état d’esprit lorsque j’ai présidé ma première réunion de rédaction de Data News en tant que tout nouveau rédacteur en chef. C’était au printemps 1997 et Data News faisait prudemment ses premiers pas pour créer son propre site web. L’un des rédacteurs du magazine (pour respecter son anonymat, je préciserai seulement qu’il avait déjà les cheveux gris à l’époque, une barbe et la poche de sa chemise toujours pleine de stylos à bille) m’avait confié qu’il avait de sérieux doutes quant à savoir si Data News existerait encore comme publication imprimée au tournant du siècle.

Nous étions au début de la “bulle internet” et beaucoup étaient convaincus que le “on line” était un canal qui allait évincer tous les autres. Finis les magasins traditionnels, tout allait passer par l’e-business. Finis les journaux et les magazines, tous seraient bientôt uniquement disponibles sur le web. Data News existait alors depuis 18 ans et la fin de la revue imprimée semblait proche.

Les technologies changent la revue technologique

Et regardez, la revue Data News est presque deux fois plus vieille aujourd’hui. Et elle a toujours bon pied bon oeil. Elle n’est certes plus aussi épaisse que les numéros de 96 pages que nous publiions régulièrement à la fin du siècle précédent, mais tout de même. La revue est toujours là, et l’éditeur, l’équipe de rédaction, les rédacteurs en chef qui sont venus après moi ainsi que les collaborateurs commerciaux chargés de la promotion du magazine jour après jour peuvent en être fiers. Car de nombreux autres titres informatiques ont disparu entre-temps, en Belgique et à l’étranger. Ainsi, l’ancienne revue soeur néerlandaise Computable (où j’ai aussi été toléré comme rédacteur en chef pendant six mois en 2003) a été portée en terre voici quelques semaines, en tout cas sous sa forme imprimée.

Data News a dû évoluer, en même temps que le directeur informatique, de “features & benefits” vers une participation à la définition de la stratégie de l’entreprise.

En 35 ans, beaucoup de choses ont changé, et une revue comme Data News a toujours suivi de très près ces changements. Ce sont bien les technologies et l’innovation dont Data News, tout au long de ces 35 ans, traitait et traite encore (je ne vais pas utiliser uniquement l’imparfait, sinon vous risquez de penser qu’il s’agit d’une nécrologie) qui ont modifié le magazine lui-même. Lorsque nous avons développé le premier site web, il devait ressembler à la revue. Aujourd’hui, il en va tout autrement: la présence en ligne de Data News détermine en grande partie l’apparence du magazine, et les sujets qu’il aborde.

Au niveau du contenu, vous auriez du mal à imaginer les sujets sur lesquels Data News écrivait à ses débuts en 1979. Il n’était pas rare de publier ainsi une demi-page de code de programmation. Le lecteur type était un programmeur. Data News a dû évoluer, en même temps que le directeur informatique, de “features & benefits” vers une participation à la définition de la stratégie de l’entreprise. From the basement to the boardroom.

Les technologies avaient également un impact sur la manière dont la rédaction travaillait: au cours de ma première période chez Data News (1987-1990), nous lisions des actualités, disons sur un nouveau mini-ordinateur, dans les revues américaines, nous contactions la filiale locale pour écrire sur le sujet, nous rédigions notre article, puis nous attendions patiemment que le magazine soit imprimé avec cette nouvelle. Entre le lancement du produit aux Etats-Unis et la publication dans Data News, plusieurs mois pouvaient alors passer facilement. Aujourd’hui, la rédaction suit parfois une annonce en direct, et elle écrit également en direct à ce propos. Mais la rédaction n’est pas la seule à suivre le lancement en direct, le lecteur le fait aussi. Plus encore: le lecteur écrit lui aussi sur le sujet, sur Twitter, Facebook, LinkedIn, ou sur son propre blog. Le lecteur est devenu rédacteur. Cela a changé radicalement le rôle du journaliste, et la question de l’utilité du journaliste se pose.

Des journalistes? En faut-il encore?

Voici quelque temps, j’ai lu un article sur les professions qui ont un avenir, et celles qui n’en n’ont pas. Le métier de journaliste figurait sur la liste des espèces menacées, alors que les personnes actives dans les relations publiques allaient être davantage demandées. Une contradiction? Pas vraiment. Car non seulement le lecteur commence à produire des textes, mais les sociétés investissent aussi massivement dans du “thought-leading content” pour influencer le décideur dans son choix. Afin de bien emballer le message, on fait alors appel à des agences spécialisées.

Dès lors, cela laisse-t-il encore un rôle au journaliste? Bien entendu, pour objectiver les flux de contenu, et servir de filtre. Armé d’années d’expérience et fort du recul nécessaire, le journaliste met les choses en perspective. En tant que source digne de foi, qui peut juger et se prononcer avec l’autorité nécessaire. La réputation de Data News démontre la puissance du quatrième pouvoir. Et la réputation de Data News a survécu à plus de récessions que nous aurions pu le croire possible. La réputation d’une marque forte, à l’épreuve du temps. Je suis heureux d’avoir pu vivre cette aventure de l’intérieur pendant plus d’un quart de ces 35 ans.

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