Recherchons: logiciels m/f

Les femmes et l’ordinateur, en tant qu’utilisatrices finales ou informaticiennes… Voilà qui ne fait pas toujours bon ménage. Mais qu’en est-il si ce pseudo-antagonisme se retrouve à la base de la conception de logiciels?

Les femmes et l’ordinateur, en tant qu’utilisatrices finales ou informaticiennes… Voilà qui ne fait pas toujours bon ménage. Mais qu’en est-il si ce pseudo-antagonisme se retrouve à la base de la conception de logiciels?

Tel est le sujet approfondi récemment par Laura Beckwith dans sa thèse de doctorat à la ‘State University’ d’Oregon et manifestement pas sans raison. Son étude n’est par ailleurs que le plus récent volet d’un champ d’investigation ayant comme sujet ‘gender human computer interface’ (Gender HCI) qui débuta à la fin des années quatre-vingts déjà.

L’on peut d’ailleurs tout au plus trouver surprenante l’idée que les femmes (ou les jeunes filles) soient moins compétentes ou efficientes en ICT. D’autant plus bizarre quand on sait que les femmes ont été à la base des premiers ordinateurs et en écrivant cela, nous ne faisons pas forcément référence à l’histoire de la collaboration d’Ada Lady Lovelace avec Charles Babbage. Sur les photos des premiers ordinateurs désespérément complexes et primitifs mis au point durant et après la Seconde Guerre Mondiale, il n’est en effet pas rare de voir des femmes. Et c’est sans parler de toutes celles qui trouvent aujourd’hui aisément leur voie dans les produits ICT et les utilise de manière efficace.

Il n’en reste pas moins que le nombre de jeunes filles qui optent pour des études ICT, est notoirement faible et qu’on observe très certainement des différences entre les hommes et les femmes dans l’utilisation des logiciels. C’est là précisément le sujet de la thèse de doctorat de Laura Beckwith qui a par ailleurs créé l’expression ‘gender HCI’ en 2004.

Conjointement avec sa directrice de thèse, Margaret Burnett, elle a constaté que les hommes étaient plus enclins à utiliser les fonctions sophistiquées d’un progiciel que les femmes. Tel était notamment le cas dans l’utilisation d’un outil de déverminage (‘debugging’) de logiciels. Deuxième observation: une utilisation efficiente va aussi de pair avec la confiance en soi de mener à bien le travail à exécuter et ici, les femmes semblent en effet souvent avoir moins confiance en leurs compétences ICT. Cela s’exprime par le terme ‘self efficacy’, à savoir l’évaluation personnelle de quelqu’un de sa capacité à mener à bien une tâche.

Beckwith a mis au point un test qui invitait tant des hommes que des femmes à déterminer un tableur contenant des formules erronées au moyen d’un outil équipé d’une fonction spécifique pour ce faire. Des résultats obtenus, il est apparu que les testeurs femmes affichaient une ‘self efficacy’ moindre et corrigeaient manuellement les formules plutôt que d’utiliser la fonction sophistiquée. La raison en était notamment la crainte que la maîtrise de cette fonction inconnue leur prenne trop de temps. Néanmoins, il est apparu que le processus d’apprentissage chez les femmes n’était absolument pas plus long que chez les hommes.

L’étude a démontré aussi que les hommes sont plus enclins à expérimenter les nouvelles fonctions (‘tinkering’) que les femmes, et cela incite dès lors les hommes à tester de nouvelles approches pour résoudre les problèmes. D’un autre côté, cela a aussi ses inconvénients car les hommes vont parfois trop loin en matière de ‘tinkering’, ce qui peut engendrer pertes de temps et d’efficacité, ainsi qu’une moins bonne compréhension de ce qu’on a vraiment appris. Pour les femmes, c’est la complexité et le mode d’interaction avec les logiciels qui constituent des obstacles potentiels.

Tout cela a conduit à une phase ultérieure dans l’étude de Beckwith, où elle adapta la présentation des fonctions dans l’outil, afin que leur utilisation exige un niveau d’assurance en soi inférieur. C’est ainsi que l’utilisateur avait non seulement le choix entre ‘correct’ ou ‘erroné’, mais aussi entre ‘semble correct’ et ‘semble erroné’ – des options qui facilitèrent l’utilisation de l’outil pour quiconque n’était pas sûr de son affaire. Beckwith envisagea aussi une utilisation plus uniforme et plus facile des touches de la souris, etc. Conséquence: les hommes et les femmes utilisèrent alors de manière quasiment identique la fonction de déverminage. Elle affirma formellement qu’il ne s’agissait pas d’une simplification ou d’un affaiblissement de la fonction, mais d’une adaptation de l’interface. Qui plus est, l’outil ne fut pas ‘abêti’ pour qu’il puisse être utilisé par les femmes, mais son accessibilité fut élargie en tenant compte d’un certain nombre de paramètres psychologiques (et autres) des utilisateurs.

Tout cela conduit à plusieurs conclusions intéressantes. C’est ainsi que ce qui précède n’est généralement ni une façon de chercher la petite bête ni un élément supplémentaire compliquant le développement de nouveaux produits. Et non, le but n’est pas de créer des versions rose et bleue de logiciels, comme l’affirme la directrice de thèse de Beckwith.

Au contraire, pour chaque produit, il convient d’élaborer en tout cas une interface et pourquoi ne pas le faire du premier coup en exploitant une approche optimale pour un nombre maximal d’utilisateurs. Dans l’optique de logiciels qui soient vraiment ‘m/f’.

En outre, cela ne s’arrête pas à fluidifier l’utilisation des logiciels tant pour les hommes que pour les femmes. En cette ère d”outsourcing’ et d”off-shoring’, la plupart des applications et surtout les outils sont encore majoritairement conçus et produits par des gens d’Amérique du Nord, selon une autre enquêtrice, Thippaya Chintakovid. Et d’indiquer que les divergences culturelles entre les utilisateurs (dans son étude, il s’agit d’utilisateurs finaux qui se livrent à une forme de programmation ‘end-user’, comme la création de formules et de macros dans les tableurs) jouent un rôle tout aussi important dans ce phénomène. Il est en effet prouvé qu’il existe par exemple des divergences entre cultures quant à la manière dont on accorde de l’attention à un point précis.

Bref, les différences entre hommes et femmes ou entre plusieurs cultures ne poussent pas forcément au développement d’applications ou d’outils ‘propres à l’une ou l’autre culture’. Il s’agit plutôt de prendre de plus en plus conscience qu’une interface utilisateur n’est pas purement orientée fonction, mais doit aussi tenir compte de la nature et de l’arrière-plan des utilisateurs finaux. L’étude dans ce domaine est donc encore loin d’être terminée et fera certainement l’objet d’une attention au niveau mondial. C’est ainsi qu’une recherche rapide sur le web révèle que les universités belges travaillent aussi dans ce domaine!

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