Laurine Delforge

Partager des vidéos de foot sur Vine: légal ou illégal?

Laurine Delforge Juriste chez lesJuristes

Un but, un geste technique ou encore une action de grande classe, les Vine autour du football sont devenues monnaie courante depuis la Coupe du Monde. Au bonheur des aficionados du ballon rond, mais au grand dam des ligues de football et des chaînes de télévision détentrices des droits de retransmission des matchs, qui voient leurs intérêts financiers grandement menacés par ces vidéos “sauvages”.

Après la toute puissante Premier League, c’est désormais au tour de la Ligue de Football Professionnel française de fustiger les “Football Vine”, ces courts extraits de matches captés par les passionnés de football à partir de leur téléphone et partagés ensuite sur les réseaux sociaux. Pour la LFP, ces images, quoique souvent de très mauvaise qualité, restent protégées par le droit d’auteur, et doivent donc être considérées comme des fichiers piratés, illégaux. Cette affirmation n’est cependant pas si évidente qu’il n’y paraît, et doit être nuancée.

Les prestations sportives ne sont pas protégeables par le droit d’auteur

Cela va de soi. Les actions et mouvements des joueurs ne sont pas prédéterminés par une activité de l’esprit antérieure à la compétition, mais sont le plus souvent le fait de réactions réflexes ou instinctives. Les matchs de football sont par ailleurs encadrés par des règles de jeu, qui ne laissent aucune place à la liberté créative des intervenants.

Les ligues de football ne peuvent donc revendiquer aucun droit d’auteur sur les matchs eux-mêmes, et ne peuvent a priori donc pas interdire aux spectateurs assistant à un match depuis les tribunes de filmer les performances de leur équipe fanion.

Pas sur base du droit d’auteur, en tout cas. Rien n’empêche cependant les organisateurs de compétitions sportives de prévoir une telle interdiction dans leurs conditions générales de vente, situées au dos des billets d’entrée.

Les choses en vont par contre différemment lorsque les images d’un match son prises non pas par les “stadistes” depuis les tribunes, mais par les téléspectateurs depuis leur canapé.

Pas de droit d’auteur, mais un droit exclusif d’exploitation

Les fédérations, ligues et clubs sportifs se sont vus reconnaître par la loi un droit de propriété exclusif sur les manifestations sportives qu’ils organisent. Ce monopole couvre l’ensemble des modes d’exploitation, en ce compris l’exploitation audiovisuelle, et permet donc aux organisateurs d’une compétition de s’opposer à la diffusion de celle-ci sans leur autorisation préalable.

Les organisateurs ont trouvé dans la commercialisation des droits de retransmission télévisée, une source de revenus très importante. A chaque appel d’offre, les chaînes de télévision s’engagent dans une lutte sans merci et sont prêts à débourser des sommes colossales pour acquérir l’exclusivité des droits de retransmission des rencontres du championnat de football. Quand on paye plus de 600 millions d’euros par an pour l’obtention des droits TV, à l’instar de beIN et Canal si l’on prend pour exemple le marché français, il est normal qu’on n’apprécie pas de voir le contenu si chèrement acquis se promener librement sur les réseaux sociaux.

Et pourtant… En France, comme en Belgique d’ailleurs, la diffusion de brefs extraits de compétitions sportives se voit autorisée malgré l’existence de contrats d’exclusivité, au titre du droit du public à l’information. Ce droit aux brefs extraits fait cependant l’objet d’une réglementation très stricte du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel français, modifiée très récemment.

L’application Vine peut-elle bénéficier du droit aux brefs extraits?

Pour pouvoir être diffusés, les brefs extraits doivent répondre à un certain nombre de conditions, notamment de durée. Ainsi la durée de diffusion des courts extraits est-elle limitée à 90 secondes. Jusque-là, pas de problème, l’application Vine permettant de créer des mini-vidéos de 6 secondes maximum.

Alors que la directive européenne restreint le droit aux brefs extraits de compétitions sportives aux services de télévision, le Code du sport français a étendu l’application de ce droit de citation en matière sportive à tout service de communication au public par voie électronique. Cette catégorie juridique englobe, outre les services de télévision, les services de vidéos à la demande et les services de partage de vidéos en ligne tels que Vine. Mais pour être autorisée, la diffusion des extraits doit par ailleurs être effectuée au cours d’une “émission d’information”. C’est bien l’interprétation de cette notion qui pose le plus de questions.

La nouvelle délibération du CSA, adoptée le 31 octobre dernier et applicable à partir du 1er janvier 2015, limite le périmètre de l’émission d’information aux journaux télévisés, aux bulletins d’information réguliers et aux magazines d’information sportive pluridisciplinaires ou d’information générale d’une périodicité au moins hebdomadaire. A première vue, l’application Vine ne répond à aucune de ces qualités.

En plus, il faut en principe attendre 24 heures avant de pouvoir utiliser les brefs extraits, alors qu’avec Vine, c’est du “quasi-direct”…

En d’autres termes, il est difficile de reconnaître aux Football Vines le bénéfice du droit aux brefs extraits. Cela étant dit…

Les exclusivités sportives face au droit du public à l’information: is it all about business?

Six secondes, deux-trois plans filmés à la hâte au moyen d’un smartphone, voilà contre quoi tentent de lutter actuellement la Premier League et la LFP. Si, sur le fondement du droit pur, ces revendications sont pleinement compréhensibles, ce phénomène met en lumière la dérive progressive du football professionnel vers un football business. Les principaux lésés dans l’histoire sont (une nouvelle fois) les véritables amateurs de football, qui voient l’accès à leur sport favori se restreindre toujours davantage.

Tout ça pour quoi? Pour protéger les exclusivités – entendez, les intérêts financiers – des organisateurs et des diffuseurs. Mais ce n’est quand même pas ces courtes vidéos de piètre qualité qui vont réellement mettre en péril la pérennité de leur modèle économique? Permettez-nous d’en douter! Nous sommes au contraire d’avis que les “Football Vines” partagés sur les réseaux sociaux permettent de promouvoir le football et de susciter l’intérêt du public. Au lieu de s’attaquer (vainement) à ce “pillage” 2.0, la LFP devrait faire preuve de tolérance. Rien ne l’empêche par exemple de proposer ses propres “Football Vines” et des les rentabiliser grâce à la publicité à l’instar de ce que fait la BBC de l’autre côté de La Manche…

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