Où en est la super-batterie?

Pieterjan Van Leemputten

Le parcours tumultueux du stade de l’invention à celui de produit de masse.

L’on parle régulièrement de découvertes scientifiques révolutionnaires. Pourtant, c’est ensuite souvent le calme plat des années durant, avant que le consommateur en tire vraiment profit. Pourquoi donc faut-il attendre si longtemps avant de voir arriver des inventions dans nos habitations?

C’est notre propre impatience qui nous a incités à écrire cet article. Cela fait en effet quelques années déjà que nous évoquons une batterie révolutionnaire offrant une autonomie nettement plus longue, mais nous l’attendons encore et toujours, et les exemples du genre ne manquent pas. Voilà pourquoi nous avons été nous informer dans le milieu scientifique même. Le professeur Koenraad Debackere, administrateur délégué de KU Leuven Research & Development, apporte aussitôt la nuance, selon laquelle il y a du chemin à parcourir entre une découverte et la production de masse du produit.

Entre le stade de l’invention et celui de l’application, il y a de nombreux risques, y compris financiers.

“De nombreux facteurs interviennent, mais deux en particulier”, déclare le professeur Debackere. “Nombre de brevets ne génèrent jamais un produit à succès car il existe énormément de facteurs de risque entre une invention et son application. Rien qu’au niveau de la grandeur d’échelle déjà: en biochimie, il est possible de créer une formidable synthèse dans un laboratoire, mais en faire des centaines d’hectolitres d’une manière fiable et avec la qualité en sus exige pas mal de travaux de développement, avant d’arriver à un produit impeccable.”

Un deuxième facteur décisif, c’est la façon dont le marché apprécie l’invention ou le produit. “Ce n’est pas parce que vous pouvez faire quelque chose que le marché l’accueillera à bras ouverts. Même pas s’il s’agit d’une trouvaille technologique. Il existe des méthodes de traitement de patients qui sont meilleures que celles qui existent, mais qui ne sont pas appréciées par le chirurgien ou qui lui demandent plus de travail. Il existe suffisamment d’exemples où la facilité de ce qui existe l’emporte sur quelque chose d’innovant et de meilleur en soi.”

Ce vieux yaourt congelé

Mais ce marché évolue cependant. Il se peut par exemple qu’une invention qui ne s’est pas imposée il y a belle lurette, le fasse aujourd’hui du fait que le consommateur est à présent prêt à l’accueillir. “Le yaourt congelé a été inventé, il y a des dizaines d’années déjà, mais sa saveur n’était pas appréciée. Or aujourd’hui, on trouve ce produit dans tous les supermarchés car le goût du consommateur a changé. Tel est aussi le cas des insectes à manger: cela se fait depuis des générations déjà en Afrique, mais c’est seulement maintenant que ces produits trouvent leur voie vers le client européen du fait que la palette des goûts change.”

Risque financier

Autre facteur inhibiteur: l’argent. “Dès que vous arrivez sur le marché avec une invention, vous devez avoir des moyens et souvent, vous devez attendre que quelqu’un accepte d’y investir. Entre le stade de l’invention et celui de l’application, il y a de nombreux risques, y compris financiers. C’est peut-être une généralité, mais lorsqu’une chose coûte dix euros à inventer, elle coûte cent euros pour la développer et mille euros pour la lancer sur le marché.”

Les régulateurs jouent aussi un rôle dans ce débat. “Il se peut parfaitement que votre produit soit correct, mais pas suffisamment bon en comparaison avec ce qui existe sur le marché, ce qui fait que vous ne recevez pas le feu vert”, ajoute encore De Backere.

Invention face à innovation

Le professeur De Backere poursuit en disant que chaque innovation n’a pas toujours besoin d’une invention: “L’on peut lancer sur le marché pas mal d’innovations intéressantes sans nouvelle technologie. Uber par exemple est une manière créative d’organiser le transport, mais sur le plan technologique, ce n’est pas innovant. Parfois, l’on peut combiner des choses existantes pour combler une lacune sur le marché. Et parfois, c’est l’inverse, et une très belle invention n’arrive pas rapidement sur le marché en raison de tous les risques d’échelle, du financement, de l’attente des clients et de la qualité.”

Le concept dominant

Un autre aspect des nouveaux produits, c’est qu’ils ne s’imposent parfois pas et ce, jusqu’à ce qu’un certain nombre de personnes regardent dans la même direction. Pensons par exemple au smartphone et à l’écosystème entre les fabricants de smartphones, les développeurs d’applis, les opérateurs télécoms et Google ou Apple. “L’on a parfois besoin de choses très complémentaires.”

Un exemple nous est fourni par Tesla, qui a besoin non seulement de sa voiture électrique, mais aussi de la technologie des batteries, de suffisamment de stations de recharge, etc. “Aussi longtemps qu’il manque l’un ou l’autre élément, l’intérêt pour votre produit sera limité.”

Prévisibilité

Entre l’invention et le produit final, il y a donc toute une série d’obstacles à franchir, ce qui explique pourquoi il faut parfois attendre des années avant que le produit sorte. Mais ne peut-on prévoir un réel changement à ce niveau?

“L’on n’est jamais certain, mais tant sur le plan technologique que financier, il y a bien l’effet de mode. S’il y a tout à coup énormément d’investissements ou de recherche dans un domaine, l’on sait que quelque chose s’y prépare. Ensuite, l’on voit que des gens font des publications sur leur recherche et prennent des brevets. Ce n’est évidemment pas une certitude, mais lorsqu’on consent soudain beaucoup d’efforts, cela peut aller tout d’un coup nettement plus vite, même si cela peut aussi signifier que l’on peut tomber plus rapidement dans le précipice.”

La voiture autonome semble être un cas d’école de ce genre de domaine auquel on accorde subitement beaucoup d’attention. “Ces 2-3 dernières années, l’on voit surgir énormément d’intérêt et ce, tant des constructeurs automobiles comme Audi que de nouveaux acteurs tels Google. Ces deux là adoptent aussi une approche différente, ce qui ne fait qu’amplifier la dynamique.”

Mais De Backere prévient que nous ne pouvons pas nous laisser tenter par ce que nous voyons aujourd’hui déjà. “Plus il y aura d’entreprises qui se focaliseront sur le domaine, plus il y aura de tests et meilleur sera le résultat final. Les voitures autonomes que nous pouvons voir actuellement, seront encore très différentes au moment où nous les verrons vraiment rouler.”

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