Longread : Quand la réalité virtuelle assiste les médecins sur le plan du diagnostic et du traitement
Les casques-lunettes VR tels l’Oculus Rift et le Samsung Gear VR trouvent massivement un débouché chez les fans de jeux, mais la technologie provoque une révolution également dans le secteur médical.
Laura Colémont termine actuellement ses études en orientation Journalistique à l’école supérieure d’Hasselt (PXL). Cet article est une partie de son épreuve de bachelier.
Le directeur de Facebook, Mark Zuckerberg, a déjà engagé un pari avec le monde qui verra la réalité virtuelle et la réalité augmentée faire partie de la vie quotidienne de tout un chacun, et sa prévision semble toujours davantage se vérifier. Depuis que Facebook a en 2014 racheté l’entreprise Oculus, à l’origine des lunettes VR Oculus Rift bien connues, pour quelque 2 milliards de dollars, la réalité virtuelle a connu une accélération fulgurante.
La VR a été cataloguée de phénomène de pointe, à tel point que l’abréviation est devenue un terme à la mode. Subitement, tout devrait apparaître en 3D, tout devrait être compatible avec le matériel VR, et tout devrait être interactif.
Global Industry Analysts prévoit que le marché mondial de la VR dans le secteur médical atteindra en 2020 quelque 3,8 milliards de dollars.
Cela avait l’air d’une nouvelle vogue temporaire destinée à inciter les consommateurs à acheter, visiter et investir. Aujourd’hui, l’on estime d’ici 2018 à 171 millions le nombre d’utilisateurs VR. En outre, le chiffre d’affaires VR atteindrait cette même année le montant de 3,98 milliards de dollars.
La nouvelle technologie est plus prometteuse qu’attendu, puisqu’elle peut être appliquée avec grand succès non seulement dans l’industrie du jeu, mais aussi dans d’autres domaines. C’est surtout dans le secteur médical que la réalité virtuelle engendre des innovations spéciales qui vont bien au-delà de la vogue des loisirs.
Global Industry Analysts a effectué une enquête durant 7 ans auprès de plusieurs entreprises VR internationales et prévoit qu’en 2020, le marché de la réalité virtuelle médicale représentera un montant de 3,8 milliards de dollars. Entre-temps, la réalité virtuelle progresse peu à peu dans le monde entier et a dans notre pays aussi déjà généré des innovations marquantes.
Araignées virtuelles
C’est essentiellement dans le monde médical que la réalité virtuelle se distingue dans notre pays. Le Virtual Reality Medical Institute (VRMI), établi à Woluwe Saint Lambert, est l’une des associations du Brussels Life Science Incubator (BLSI) pour entreprises débutantes en technologie sophistiquées et soins de santé.
Sa fondatrice et professeure Brenda Wiederhold travaille sur le projet VRPhobia spécialisé dans le traitement des crises de panique et d’angoisse à l’aide de la réalité virtuelle. Le projet se focalise surtout sur la peur de prendre l’avion, le vertige, le trac, la peur des orages, la claustrophobie, l’agoraphobie, l’arachnophobie et la phobie sociale.
‘Nous avons été parmi les premiers à travailler avec la réalité virtuelle en 1996 aux Etats-Unis’, explique la professeure Wiederhold. Le VRMI est allé en 2013 également en mission économique en Californie. ‘Nous sommes l’un des rares survivants de ce marché qui est finalement sur le point décoller’, avait expliqué Wiederhold début 2015 encore à Data News.
Pour le traitement des phobies, l’on utilise dans la clinique privée un casque VR qui expose le patient à l’objet de sa phobie. Quelqu’un qui a peur des araignées, en voit par exemple apparaître. Ces sessions sont ensuite répétées, alors que l’intensité des stimuli est amplifiée. Les araignées deviennent par exemple plus grosses, se rapprochent davantage, bougent plus ou apparaissent en grands nombres.
‘C’est là une forme de thérapie d’exposition’, ajoute Wiederhold. ‘Nous exposons le patient à sa phobie, jusqu’à ce que sa réaction angoissée se stabilise. Au moyen de la réalité virtuelle, cela peut se faire d’une manière sûre et contrôlée.’ Cette thérapie a aussi comme avantage de pouvoir être entièrement personnalisée, afin que les patients souffrant d’une phobie très spécifique puissent être également aidés.
Dans la clinique Vincent Van Gogh de Charleroi, l’on recourt depuis 2014 à cette technique également pour traiter les phobies et les crises d’angoisse. La thérapie de la réalité virtuelle y est déjà utilisée pour traiter la phobie des araignées, la peur de l’avion et la claustrophobie.
‘Les possibilités sont infinies’, expliquait en son temps le psychologue Eric Havaux au journal Het Nieuwsblad. ‘Nous roulons de ci de là avec une caméra 3D pour réaliser des images d’un lieu ou d’une rue déterminée, où un patient n’ose plus aller, et nous projetons ces images dans un casque-lunette VR. Le patient peut alors parcourir l’endroit en question en utilisant un contrôleur de Playstation.’
‘Ou nous montrons le living d’une maison avec ci et là une araignée. La session suivante, nous augmentons le nombre d’araignées. Et la session d’après, il s’agit d’une masse d’araignées. Nous avons aussi déjà reproduit un scanner MRI, avec le son, pour libérer le patient de sa crainte de devoir s’allonger dans ce tube étroit. On nous vous faisons vous asseoir dans un siège d’avion et vous donnons la sensation sur base de l’image dans les lunettes que vous vous trouvez dans un avion qui décolle.’
Anorexie
D’autres problèmes psychologiques peuvent être traités avec la VR, mais pas encore dans notre pays. Le docteur Giuseppe Riva, professeur de psychologie à Milan, déclare que la réalité virtuelle peut également être utilisée pour aider des patients à guérir de l’anorexie nerveuse et de la boulimie nerveuse.
Cette thérapie permet, selon Riva, de s’attaquer à deux facettes de l’affection: l’image corporelle perturbée, à savoir comment le patient évalue son propre corps, et l’auto-effectivité, à savoir la sensation d’être capable de mener une tâche à bien. ‘L’Integrated Experiential Therapy (IET) aide les patients à identifier leurs modèles comportementaux et à en changer’, explique le docteur Riva.
77% des patients qui sont traités avec la VR, n’ont plus de trouble de l’alimentation au bout de 6 mois de thérapie.
‘Nous nous concentrons sur les émotions négatives liées au corps et tentons ainsi d’adapter l’image faussée que le patient a de son corps. Nous voulons inculquer aux patients une nouvelle relation avec la nourriture.’ D’une récente étude réalisée par Riva, il est apparu que 77% des patients traités avec la VR n’avaient plus de problèmes au bout de 6 mois de thérapie contre 56% des patients traités avec la thérapie traditionnelle.
Les fumeurs peuvent aussi profiter des avantages de la thérapie VR. Et l’institution américaine de la professeure Wiederhold, le Virtual Reality Medical Center (VRMC), a créé un environnement VR en ligne pour les ados qui ne se sentent pas à l’aise dans leurs agissements personnels.
‘En utilisant internet, nous pouvons atteindre les ados via un support qui leur est familier’, déclare Lilas Ros de l’équipe VRMC. Cette thérapie exploite aussi des techniques d’exposition en simulant des situations, dans lesquelles les fumeurs sont incités à allumer une cigarette, comme par exemple un bar où traîne paquet de cigarettes sur le comptoir.
Les infirmiers/infirmières caché(e)s derrière un nuage
La réalité virtuelle est en outre utilisée pour réduire la douleur des patients durant leur traitement. L’infirmier Jérôme Laurent a développé conjointement avec un informaticien de ses amis une application pour la clinique Sainte-Anne Saint-Rémi d’Anderlecht.
‘Avec cet ami, nous avons d’abord réfléchi à la réalité augmentée et à la possibilité de faire réagir les enfants à leur environnement au moyen d’objets virtuels’, affirme Jérôme Laurent. Avec VR4Smile, les enfants peuvent déplacer à l’écran des objets et des figures, comme des nuages, papillons, poissons et fleurs.
Cela se passe sur un arrière-plan bien réel et qui est le traitement. ‘S’il ne veut pas la voir, l’enfant peut dissimuler l’infirmière derrière un nuage,’ poursuit Laurent. Ce faisant, les enfants peuvent réagir à ce qui leur arrive et ne sont pas forcés de subir passivement leur traitement.’
Par le jeu, les enfants sont également incités à subir certains traitements et à ne pas craindre les appareils. ‘Lorsqu’un enfant ne voulait pas mettre le masque MEOPA lors d’une prise de sang, nous le faisions souffler à travers le masque pour chasser les nuages. Entre-temps, il pouvait voir sa maman à l’écran, et tout se passait le mieux du monde’, prétend Laurent. D’une étude réalisée par l’Hôpital Universitaire des Enfants Reine Fabiola à Bruxelles, il est apparu que l’utilisation du jeu réduit les crises de larmes de quasiment 70% et la douleur de 45%.
D’une autre étude effectuée par le VRMC, il est ressorti que ce mode de divertissement aide également à combattre les nausées engendrées par la chimiothérapie. 80% des patients qui utilisaient des applications VR, indiquaient qu’ils ressentaient nettement moins de nausées et devaient moins souvent vomir. Les patients ayant subi de graves brûlures signalaient ressentir 40 à 50% moins de douleur durant leurs traitements, lorsqu’ils étaient divertis au moyen de la réalité virtuelle.
Le robot chirurgien
La réalité virtuelle peut également aider les chirurgiens à effectuer des opérations exigeant une très grande précision. En 2015, l’Universitair Ziekenhuis Antwerpen (UZA) a acheté le robot Da Vinci Xi équipé du ‘Firefly Fluorescence Imaging System’ qui rend visibles les vaisseaux sanguins, les voies biliaires, etc. par des couleurs et des agrandissements. Au moyen d’un écran 3D, le chirurgien peut ainsi exécuter des interventions ultra-précises.
Pour ce genre d’opération, 4 petites incisions sont pratiquées pour la caméra et les bras opératoires. Le robot peut atteindre des endroits malaisément accessibles et offre une précision qui dépasse celle de l’homme. L’hôpital réalise depuis 2010 déjà des opérations avec des robots, mais le modèle Da Vinci Xi est plus récent et offre plus de possibilités.
Le robot Da Vinci Xi peut aussi pratiquer des interventions sur les enfants, comme c’est arrivé en 2015 à la clinique Saint-Luc de Bruxelles. ‘Le robot veille à ce que l’intervention chirurgicale soit moins invasive. Il y a moins de perte de sang et un risque limité d’infections, alors que la revalidation se passe mieux’, peut-on lire dans un communiqué de presse de la clinique. En outre, le robot diminue le risque de garder des cicatrices, tandis que le séjour hospitalier est réduit de pas moins de la moitié.
Coach personnel numérique
La réalité virtuelle peut également aider dans le traitement de problèmes physiques. C’est ainsi que les développeurs Fishing Cactus et Feasymotion ont mis au point des applications destinées à aider les patients au niveau de la réhabilitation et de la récupération du contrôle et du mouvement de certains membres et articulations. Les développements qui, sous une forme ludique, aident dans des situations sérieuses au niveau de la guérison et de l’éducation sont appelés Serious Games.
Le Serious Game ‘Game to cure’ de Fishing Cactus sert de coach personnel numérique et impose aux patients des exercices qui, après un certain temps, doivent se traduire par un fonctionnement de nouveau normal du corps. Le programme peut être adapté aux besoins de chaque patient en ajustant le rythme et le tempo.
Le côté particulier de cette technique, c’est que les résultats sont envoyés par voie électronique au médecin, ce qui fait que ce dernier ne doit même pas être présent lors du traitement. Feasymotion aide également les patients de cette façon avec le processus de guérison.
Pour développer ‘R.O.G.E.R.’, Fishing Cactus a collaboré avec des neuropsychologues qui recherchaient une solution pour un meilleur diagnostic des problèmes cérébraux.
La percée de la réalité virtuelle crée des possibilités de collaboration entre divers secteurs. Pour développer ‘R.O.G.E.R.’, Fishing Cactus a collaboré avec des neuropsychologues qui recherchaient une solution pour un meilleur diagnostic des problèmes cérébraux.
‘R.O.G.E.R.’ est un Serious Game qui aide les médecins à poser un diagnostic plus précis d’un éventuel trouble du cerveau ou d’une lésion cérébrale. Lorsque le patient joue le jeu, on lui demande de préparer une valise virtuelle à partir d’une liste. Le médecin peut introduire entre-temps certains stimuli à la situation, comme un téléphone qui sonne ou une radio qui se met en marche, afin d’observer les réactions du patient.
La semaine prochaine, nous approfondirons quelques initiatives belges en matière de réalité virtuelle.
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