Les big data jouent avec votre cerveau (et paient vos impôts)

Pieterjan Van Leemputten

Les big data mettent en lumière des informations que le cerveau humain est incapable d’identifier. Mais comment ses informations sont-elles exploitées pour influencer notre comportement de consommateur?

“Un être humain prend des milliers de décisions par jour, dont la plupart sans pratiquement réfléchir. Grâce aux big data, les administrations et entreprises privées disposent d’instruments jusqu’ici impensables pour influencer les décisions humaines jusqu’au niveau individuel. “La question est de savoir dans quelle mesure nous allons les autoriser?”, s’interroge Steven Der Blieck, ambassador et data scientist chez Hifluence.

Et d’insister sur le fait qu’un petit pourcentage seulement des décisions prises quotidiennement par un individu sont pensées. Nous réfléchissons à nos habits, notre nourriture ou le programme TV que nous regardons. “Mais la plupart de nos choix se font en pilote automatique. Prenez cette simple addition : 3 + 4. Le chiffre 7 vous est certainement venu directement à l’esprit. Pourtant, nous n’avez pas dû calculer. Votre cerveau travaille instinctivement, sans réclamer votre autorisation. Ce mode de pensée automatique repose sur certaines règles empiriques ou heuristiques pour prendre des décisions directes et faciles. La majorité d’un groupe auquel vous appartenez fait-il un certain choix ? Il y a de fortes chances pour que vous suiviez ce choix”, ajoute De Blieck. Un processus qui vaut également en ligne. “Si l’on vous affiche à l’écran que la plupart des gens de votre entourage ont acheté un ordinateur, il est probable que vous ferez de même. D’un point de vue évolutionniste, ces règles sont essentielles à la survie de l’individu. Supposons que vous soyez un homme primitif : si vous voyez soudainement quelqu’un s’enfuir, il est sans doute raisonnable de faire de même. Peut-être un carnivore s’approche-t-il ? Souvent, ces décisions automatiques sont donc bonnes pour nous.”

Évolutionnissme contre big data

Mais quid si cette théorie est associée aux big data provenant des comportements des clients ? “Avec les données dont on dispose aujourd’hui, la voie s’ouvre devant les entreprises et organisations pour nous influencer de manière inconsciente. Si vous surfez par exemple sur le site d’un constructeur d’ordinateurs, votre position géographique sera très souvent connu. De la sorte, le fabricant pourra facilement vous conseiller l’ordinateur le plus vendu dans votre région. Mais quid si ce site Web vous précise que l’ordinateur le plus vendu est aussi le plus cher, alors que tel n’est en réalité pas le cas ?”

De telles situations se rencontrent aujourd’hui déjà, selon De Blieck. Les entreprises imaginent des astuces pour vous inciter à acheter plus rapidement. Et de citer l’exemple du site de réservation d’un hôtel qui n’a plus qu’une seule chambre disponible. “Cela peut certes arriver, mais la probabilité que les milliers de chambres disponibles sur le site Web soient toutes occupées est très faible. Mais cela fonctionne : nous voulons ce que nous ne pouvons avoir et nous réserverons à coup sûr cette chambre. Notre mode de pensée automatique surévalue les choses rares.”

Notre data scientist estime que les quantités d’informations traitées ne feront qu’augmenter, de sorte qu’il sera difficile de pouvoir tout emmagasiner et traiter avant de prendre des décisions. “Nous nous appuierons toujours plus sur ces règles empiriques. Dans le même temps, les entreprises disposent de toujours plus d’informations personnelles sur leurs clients.”

Reste que ces principes peuvent également être appliquées de manière positive, toujours selon De Blieck. “Supposons que vous soyez un fournisseur d’énergie et que vous collectiez des données sur la consommation de vos clients. Vous savez qu’un client que nous appellerons Jean consomme davantage que ses voisins. Vous savez également que le mode de pensée automatique de Jean implique qu’il souhaite que son comportement soit cohérent par rapport à ses semblables. Pourquoi ne pas lui envoyer un simple courriel pour lui communiquer sa consommation énergétique par rapport à ses voisins ? Des études montrent que la probabilité est grande qu’il cherchera alors à économiser l’énergie. Ce qui est une bonne chose pour lui, puisqu’il paiera moins. Mais aussi une bonne chose pour le fournisseur dont le réseau sera moins chargé et réduira ainsi les risques de surcharge. Sans oublier que cela profitera aussi un peu à l’environnement. Une seule personne qui réduit sa consommation d’énergie n’aidera pas vraiment la planète, mais bien si des centaines de milliers de personnes font de même.”

Payer plus rapidement

Le gouvernement britannique est l’illustration pratique parfaite de ce raisonnement. “Le gouvernement se fait désormais conseiller par le Behavioural Insight Team, un groupe de scientifiques qui se penche sur la mise en oeuvre des sciences comportementales sur la politique publique.” C’est ainsi qu’ils sont parvenus à réduire de 15 % le nombre de contribuables en retard de paiement en leur communiquant le nombre de personnes qui avaient déjà acquitté leurs impôts dans leur quartier. Les citoyens paient ainsi moins d’amendes, mais l’administration en profite également. “Plus le volume de données personnelles est élevé, plus ces behavioural nudges, en somme ces incitants comportementaux, sont personnalisés et efficaces.”

Reste que De Blieck insiste sur l’obligation pour les entreprises de faire un choix éthique. “Vont-elles utiliser ces données pour faire en sorte que le client et la société en profitent ? Ou chercheront-elles seulement le profit ? A court terme, cette dernière approche sera peut-être privilégiée. Mais des clients qui se sentent manipulés seront moins enclins à revenir. Seules les entreprises qui créeront une situation win-win lors de l’utilisation de données de leurs clients pourront en récolter les fruits. Tout comme dans la nature, la collaboration est essentielle à la survie à long terme. Les entreprises disposent aujourd’hui de données dont elles ne pouvaient que rêver voici 10 ans. L’information est synonyme de pouvoir. Même si, ‘with great power comes great responsibility’.”

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