Le CTO d’Orange: ‘Je ne veux pas gérer des pylônes d’antennes, mais améliorer l’expérience de trois millions de clients’ (interview)

Stefan Slavnicu, CTO Orange Belgium © Belga Image
Pieterjan Van Leemputten

Orange Belgium passera directement à ‘la forme finale de la 5G’ et déploiera la 5G standalone. Son CTO Stefan Slavnicu déborde d’enthousiasme sur les possibilités pour les entreprises et les consommateurs, tout en expliquant comment Orange Belgium entend se distinguer de la concurrence maintenant qu’elle partage aussi des sites avec Proximus.

Cette semaine, Orange Belgium annonçait qu’en rénovant son réseau, elle passerait directement à la 5G standalone. Il s’agit là d’un réseau où tous les éléments seront parés pour la 5G et pourront donc aussi exploiter toutes les possibilités de la technologie.

Que pourront faire en plus les clients professionnels avec la 5G standalone par rapport à la 5G non-standalone?

SLAVNICU: ‘Pour commencer, nous allons développer pas à pas un ‘multi gigabit cloud native production network’ sur base de la technologie 5G standalone. Cela signifie que nous opérerons non seulement dans un environnement de laboratoire – comme nous en avions fait la démonstration avec Port of Antwerp -, mais que nous proposerons aussi vraiment cette technologie dans les prochains mois. Même au sein d’Orange Group, nous serons les premiers à le faire.’

‘Nous pourrons ainsi offrir notamment le ‘network slicing’ (découpage de réseau), ce qui pourra s’avérer très utile pour les entreprises. Ce sera aussi la base d’un réseau privé mobile virtuel, où une entreprise ou une division spécifique pourra disposer d’un réseau séparé avec ses propres ressources. Nous pourrons mettre en oeuvre un réseau à la demande où et quand le client le souhaitera.

Nous irons encore un pas plus loin et passerons à l’hybride: l’équipement réseautique d’Orange, mais là où le client le voudra en combinaison avec son propre appareillage pour des flux de données critiques par exemple. C’est souvent important dans la mesure où le client continuera d’y exercer lui-même le contrôle pour des raisons de sécurité ou parce que cela devra tourner dans son propre environnement.’

La 5G nécessite la moitié moins d’énergie par gigabit par rapport à la 4G, et nous nous attendons encore à une amélioration d’ici 2025. En théorie, la 5G peut être jusqu’à dix fois moins énergivore.

Que peut-on attendre de la 5G SA en plus du découpage de réseau?

SLAVNICU: ‘La 5G Standalone est la forme finale de la 5G Radio et offrira tout ce que la 5G promet: vitesses supérieures, faible latence et Massive Machine-Type Communications (mMTC). Mais aussi une amélioration de l’upload. Sur la 4G, 40 Mbps ce n’est pas mal, mais sur la 5G, on pourra atteindre 100-200 Mbps en fonction de l’appareil et de la configuration.

Dès aujourd’hui, il existe une offre 5G commerciale, mais c’est 5G NSA (non-standalone) qui combine la 5G avec de l’équipement 4G au coeur plus ancien. On obtient alors plus de largeur de bande, mais pas une faible latence ou le multi massive IoT. Ce que nous allons faire à présent en parallèle, c’est moderniser notre réseau et nous préparer directement à ces possibilités. Au fil du temps, nous migrerons alors les clients professionnels, surtout ceux pour qui le découpage de réseau peut s’avérer intéressant, vers un environnement 5G SA.

La 5G est aussi plus efficiente au niveau énergétique. La technologie nécessite la moitié moins d’énergie par gigabit par rapport à la 4G, et nous nous attendons encore à une amélioration d’ici 2025. En théorie, la 5G peut s’avérer jusqu’à dix fois moins énergivore. On le remarque aussi sur le smartphone, où la 5G consomme quelque trente pour cent d’énergie en moins en comparaison avec la 4G.

Mais nous voulons aussi miser sur une expérience client inédite avec les points de contact numériques corrects, et cela fait aussi partie de notre mission: nous voulons être un partenaire de confiance. Je ne veux pas me concentrer sur la création ou la gestion de 3.000-4.000 pylônes d’antennes, mais développer le réseau qui améliorera l’expérience de trois millions de clients.’

Comment Orange Belgium va-t-elle se distinguer? Sachant qu’il y aura quatre acteurs ayant chacun son propre réseau 5G et qu’Orange collaborera avec Proximus en la matière.

SLAVNICU: ‘En automatisant davantage d’éléments manuels, en se concentrant davantage sur la qualité bout-à-bout et sur la ‘customer centricity’. Ce focus sur l’expérience du client doit concerner tous nos processus.’

(Slavnicu se réfère à un récent rapport d’OpenSignal, où Orange Belgium apparaît comme le meilleur opérateur sur quasiment tous les plans, ndlr) ‘Il est question non seulement de la vitesse de téléchargement pure, mais aussi de l’upload, de la vitesse de démarrage d’une vidéo HD, cela, c’est aussi de l’expérience mobile. Cela montre qu’on peut encore et toujours se différencier techniquement en se focalisant sur la qualité bout-à-bout, car un réseau mobile et les services qu’il propose, ne portent pas uniquement sur l’accès, mais aussi sur la façon dont on gère cette capacité et ses moyens: réseau de transport, réseau IP, internet peering interfaces. Cette gestion joue aussi un rôle dans l’expérience du client.’

Stefan Slavnicu, CTO Orange Belgium
Stefan Slavnicu, CTO Orange Belgium© Belga Image

À propos de multi-gigabit, de combien de gigabits par seconde parle-t-on précisément?

SLAVNICU: ‘D’au moins 1 GBPS sur le plan technique. Davantage même, mais ce sera dans un premier temps réservé aux entreprises et à la demande des clients concernés.’

Y a-t-il des secteurs spécifiques que vous ciblez pour les nouvelles possibilités de la 5G?

SLAVNICU: ‘Nous ne pouvons évidemment pas citer de noms concret, mais il y a du potentiel dans la chimie, la logistique ou dans d’autres grandes industries. Pensez par exemple aux ‘augmented workers’: des gens qui travaillent dans des environnements dangereux et qui disposeront ainsi d’un réseau leur permettant d’effectuer leur travail à distance avec la réalité augmentée. Cela s’avérera intéressant dans plusieurs secteurs. On en parle depuis longtemps déjà, mais à présent, on peut aussi mettre en pratique ces use cases.’

Pour ces nouvelles possibilités comme le ‘network slicing’, envisagez-vous aussi une offre pour le marché à la consommation?

SLAVNICU: ‘La plupart des use cases se trouvent sur le marché B2B, mais nous examinons évidemment aussi des opportunités pour les consommateurs. Je pense que les jeux ou la possibilité de bénéficier temporairement de ressources spécifiques sur la 5G, pourraient s’avérer intéressantes pour eux.’

Orange possède aujourd’hui son spectre 5G, mais ne peut, comme d’autres acteurs le font depuis peu, faire valoir des droits d’utilisation provisoires. Où en êtes-vous à présent avec le déploiement?

SLAVNICU: ‘Avant les enchères, le focus reposait surtout sur la côte, Gand et Anvers. A présent, nous prévoyons un déploiement plus large, mais principalement en Flandre. Nous sommes ravis que la Wallonie envisage à présent aussi un ajustement des normes EMF (rayonnement électromagnétique, pour lequel les limites en Wallonie et à Bruxelles sont nettement plus strictes qu’en Flandre, ndlr.) pour rendre la 5G possible. Voilà pourquoi nous voulons ouvrir bientôt un laboratoire à Liège, en plus de notre 5G Lab d’Anvers, afin de bien montrer que nous voulons desservir l’ensemble du pays avec notre technologie.’

Quand peut-on s’attendre à un réseau 5G qui soit comparable avec la couverture 4G actuelle?

SLAVNICU: ‘Cela ira de pair avec la modernisation de notre réseau, et nous voulons en finir pour 2024-2025. Nous viserons alors au moins 90 pour cent de couverture (de la population, ndlr). Mais cela dépend aussi beaucoup des normes de rayonnement et de ce qui est réglementairement possible.’

Qu’en est-il de Bruxelles? Les opérateurs déclarent depuis assez longtemps à l’unisson que ce ne sera pas possible avec les normes actuelles.

SLAVNICU: ‘Nous y rénoverons également notre réseau, tout en respectant les normes évidemment. Nous travaillerons donc dans le spectre existant (pour la 2G, la 3G et la 4G ndlr). Mais ce sera plutôt là où les clients en auront besoin. Nous voulons aussi leur offrir une expérience correcte et dans ce but, cela n’aura aucun sens de déployer la 5G pour la 5G. Nous testons actuellement la 5G sur quelques sites à Bruxelles, pas encore en tant que réseau commercial, mais ce n’est que partie remise.’

Nous testons actuellement la 5G sur quelques sites à Bruxelles, certes pas encore en tant que réseau commercial, mais ce n’est que partie remise.

L’arrêt de la 2G constitue-t-elle un défi? Quasiment chaque opérateur maintiendra cette technologie plus longtemps en vie que la 3G. Quel est votre avis sur la migration d’anciennes machines connectées (M2M)?

SLAVNICU: ‘L’arrêt progressif prendra en effet plus longtemps, afin que nous puissions migrer tous les clients, ce qui demandera du temps. Il n’y a pas qu’en Belgique du reste, puisque de nombreuses entreprises IoT dans le monde doivent relever ce défi. Il convient donc d’agir avec prudence. Il faut respecter les accords d’itinérance, avant d’arrêter progressivement cette technologie.’

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.© Reuters

Orange Belgium collabore pour la 5G SA avec Nokia, Ericsson et Oracle. Précédemment, vous annonciez que vous vous associeriez surtout à Nokia pour le déploiement national de la 5G. La négociation de ces contrats n’était-elle pas plus difficile maintenant que l’Europe met de facto en avant Ericsson et Nokia?

SLAVNICU: ‘Nous optons pour Nokia, parce que c’est le meilleur choix économique pour notre RFP, auquel tous les acteurs ont pris part. Nous n’y sommes pas limités. Il va de soi que nous avons toujours voulu respecter les règles, mais Nokia s’est aussi imposée comme le meilleur acteur.’

Envisagez-vous également un acteur ‘cloud’ pour la 5G, tel Telenet avec Google Anthos?

SLAVNICU: ‘Il y a un partenariat stratégique à un niveau de groupe entre Orange et Google pour la Google Cloud Platform, mais actuellement, il s’agit surtout de use cases en matière de données massives (big data) et d’AI en vue d’améliorer nos services.

On prévoit en effet des environnements ‘cloud’ télécoms dédiés, mais aujourd’hui, nous ne les utilisons pas encore. Nous recourons cependant pour certaines choses à AWS ou à Google Cloud. Mais cela peut encore changer dans le futur.’

Au niveau de la gestion et de la mise en oeuvre, la 5G est-elle plus facile ou plus complexe que les générations précédentes? Surtout avec la percée de petits acteurs de niche dans le cadre d’openRAN?

SLAVNICU: ‘Dans l’avenir, il y aura davantage de possibilités. Nous suivons les capacités techniques et les acteurs traditionnels, et je m’attends à ce que ces derniers évoluent aussi vers un environnement cloudRAN ou openRAN. Nous analyserons alors quels seront pour nous les meilleurs choix sur le marché belge.’

D’un point de vue technique, la 5G est-elle plus facile ou plus complexe que la 4G, la 3G ou la 2G?

SLAVNICU: ‘Chez nous, la 3G disparaîtra d’ici 2025, la 2G d’ici 2028 et donc, la gestion globale sera plus aisée. Mais en soi, la 5G sera aussi plus simple, parce que davantage de processus seront automatisés. Beaucoup de choses que nous mettons en oeuvre pour nos clients professionnels, auraient pris des mois précédemment, contre des semaines à présent. Cela n’en reste pas moins une nouvelle technologie, et je ne souhaite pas exagérer au niveau des promesses, mais le déploiement sera assurément plus facile.

Le défi consistera surtout à acquérir les ensembles de compétences. Trouver les personnes adéquates et familiariser les équipes avec la technologie. Sur le plan du déploiement, nous disposons de 25 années d’expérience (sur base de la 2G et de la 3G, ndlr)’

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