Geert Somers

La neutralité du net trahie par le Parlement européen?

Geert Somers Geert Somers est associé fondateur du bureau d'avocats Time.lex et président de groupe de travail juridique d'ISPA, l'association des fournisseurs internet.

Le vote du Parlement européen à propos de la neutralité du net dans l’UE a provoqué pas mal d’émoi. En approuvant la proposition de texte de la Commission, c’est le principe même de la neutralité du net en Europe qui s’est dilué et vidé de son sens, surtout en comparaison avec les règles strictes en vigueur aux Etats-Unis.

Des lettres ouvertes regroupant les préoccupations de grands noms tels Foursquare, Netflix, Kickstarter et Reddit, ainsi que du fondateur de l’internet, Tim Berners-Lee, n’y ont rien changé. Allons-nous donc avoir en Europe un internet à deux vitesses?

La neutralité, c’est quoi encore?

Le concept est simple et reste par principe uniforme dans toute l’Europe. Tout le trafic des données doit être traité de la même manière. Les fournisseurs d’accès à internet ne peuvent ni accorder la priorité à certains fournisseurs de contenu sur leur réseau ni en discriminer d’autres. Ils ne peuvent donc pas demander de l’argent pour acheminer plus rapidement l’information chez l’utilisateur via leurs routeurs ou pour bloquer les services d’autres fournisseurs.

Pourquoi le nouveau compromis n’est-il pas une bonne chose?

Le problème se situe sur le plan des exceptions au principe de base. A partir de mai 2016, les fournisseurs internet pourront en effet accorder la priorité à des services spécialisés, par exemple durant les moments de trafic intense (pics), mais aussi en dehors. D’autre part, ils pourront décider de ne pas faire englober certains services pour la consommation de données, ce qu’on appelle aussi le ‘zero-rating’ (taux zéro).

A partir de mai 2016, les fournisseurs internet pourront accorder la priorité à certains services spécialisés.

Cela ne semble cependant pas être une mauvaise chose pour certains. Plusieurs services innovants comme la télévision via internet ou des services pour les soins de santé ont besoin d’un accès rapide, et des retards pourraient même provoquer de sérieux problèmes. Grâce à des interventions techniques, la continuité requise peut être garantie. Et les utilisateurs apprécieront sans nul doute de savoir que le trafic des données pour une application spécifique telle un service musical est inclus gratuitement dans l’abonnement.

Ce que la communauté craint, probablement à juste titre, c’est l’abus potentiel de la part de certains fournisseurs.

Ce que la communauté internet craint, et probablement à juste titre, c’est l’abus potentiel de la part de certains fournisseurs. La gestion artificielle des réseaux leur confère en effet irrémédiablement un grand degré de discrétion. Certains services d’acteurs assez importants, voire les services du fournisseur même, peuvent faire l’objet d’un avantage déloyal par rapport aux autres, surtout à présent que les exceptions sont formulées de manière plutôt vague. Et cela ne serait pas une bonne chose pour l’innovation et la concurrence.

Voilà ce que la Commission parlementaire belge avait souligné plus tôt cette année déjà dans une résolution adressée au gouvernement. Dans le passé, il est du reste aussi apparu que les opérateurs téléphoniques qui fournissent l’accès internet, tentent de tenir les fournisseurs de téléphonie internet à l’écart de leur réseau. Enfin, il y a aussi la crainte que des fournisseurs désavantagent la communication cryptée et donc, par définition, plus lourde et ce, alors que le cryptage prend précisément aujourd’hui toujours plus d’importance en vue de protéger le respect de la vie privée et la confidentialité.

Contrôle public pour éviter les abus

A présent que le sort en est jeté, nous devrons vivre avec la nouvelle réalité. Il sera surtout question de lutter dans la mesure du possible contre la concurrence déloyale et à coup sûr contre les abus flagrants.

Il s’agit là d’un rôle dévolu en premier lieu aux régulateurs européens compétents sur le plan de la communication électronique. Ils devront élaborer conjointement des directives claires pour pouvoir exercer de manière efficiente le contrôle nécessaire. Quels services spécialisés pourront par exemple faire l’objet d’une priorité et dans quelles conditions? Les acteurs plus modestes seront-ils discriminés parce que les acteurs plus en vue pourront offrir plus d’argent? Ce sera de ce contrôle que la réalité dépendra en grande partie, même si cela ne sera pas toujours simple dans la pratique. En Belgique, le contrôle devra être effectué par l’IBPT. Faisons-en donc grand cas et vite.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire