La liberté sur internet cède du terrain dans le sud-est asiatique: ‘Le Vietnam copie les techniques de la Chine’

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Certains gouvernements en font toujours plus pour manipuler ou bloquer les canaux en ligne. Dans le sud-est asiatique surtout, il n’y a guère de signes encourageants. Il est vrai que le cyber-répression augmente dans tous les pays de cette zone, souvent sous l’influence de la Chine.

Dans leur tout récent rapport relatif aux libertés sur internet, des chercheurs de Freedom House ont évalué en tout 65 pays qui représentent conjointement 87 pour cent de l’ensemble des internautes au monde.

D’après les résultats, la moitié de ces pays a vu ses libertés se réduire. La Chine, la Syrie et l’Ethiopie étaient les moins libres, alors que les Estoniens, les Islandais et les Canadiens bénéficiaient de la plus grande liberté.

La démocratisation au point mort

L’évolution le plus étonnante concerne le sud-est asiatique. Il y a quelques années, cette région semblait encore prometteuse. L’économie était en croissance, et la démocratie gagnait du terrain. Il y eut des élections libres en Malaisie, une campagne anti-corruption en Indonésie et une action sociale en faveur des travailleuses cambodgiennes dans le secteur du textile.

Internet a aidé à la progression de ces mouvements”, déclare Madeline Earp, chercheuse spécialiste de l’Asie chez Freedom House. “Diverses organisations et les médias commencèrent à utiliser plus souvent internet. C’était prometteur.”

A présent, cette démocratisation est au point mort. Un putsch militaire en Thaïlande et la suppression d’un parti d’opposition au Cambodge ne sont que deux exemples de la mainmise toujours plus importante des gouvernements autocrates en place.

La censure croît

Selon le rapport, sept des huit pays du sud-est asiatique examinés ont vu leur liberté décroître par rapport à l’année précédente. “La censure augmente, et la liberté sur internet diminue”, ajoute Earp. “Les grandes déceptions s’appellent surtout Myanmar et le Cambodge.”

A Myanmar, des journalistes ont été récemment arrêtés. De fausses informations répandent la haine et incitent à la violence à l’encontre des musulmans. Dans ce pays, il y a à présent plus de journalistes dans les prisons que durant les derniers moments où la junte militaire était au pouvoir.

Au Cambodge, un journal indépendant a été fermé. Des activistes qui dénoncent les pratiques illégales d’entreprises, sont incarcérés. En Thaïlande, une loi rigoureuse ciblant le crime de lèse-majesté est utilisée pour museler les esprits critiques. Aux Philippines, un nombre croissant de ‘diffuseurs d’opinions’ propagent de la propagande en faveur du président Duterte.

Le seul pays qui a amélioré son score, c’est la Malaisie. Mais selon Freedom House, c’est surtout dû à la progression de l’utilisation d’internet. La répression n’y a pas pu suivre le rythme de la croissance. La Malaisie surfe en effet sur la tendance qui prévaut dans le sud-est asiatique et qui se traduit par des limites imposées à la liberté de la presse et à la liberté d’expression, lorsque l’utilisation d’internet augmente.

“Le gouvernement a censuré des sites web d’actualité. Au moins un Malaisien a déjà encouru une peine d’emprisonnement pour avoir posté un message sur Facebook”, poursuit Earp.

‘Great Firewall’

La cause est à chercher en partie en Chine. Ce pays qui exerce une forte influence, est celui dans le monde, où internet est le moins libre, selon le rapport de Freedom House, et ce, depuis trois ans déjà. La Chine utilise un système de contrôle sophistiqué, baptisé Great Firewall. Une armée de surveillants contrôle l’utilisation d’internet par les citoyens chinois: des applis jusqu’aux caméras de circulation.

Lorsqu’une nouvelle coccinelle a été découverte, elle reçut le nom du président Xi Jinping. Mais les messages à ce propos ont été supprimés, parce que la nature vorace de cet animal aurait pu offenser le leader chinois.

Des messages indésirables ont été supprimés par les censeurs chinois. Cela mène d’ailleurs parfois à des situations absurdes. Lorsqu’une nouvelle coccinelle a été découverte, elle reçut le nom du président Xi Jinping. Mais les messages à ce propos ont été supprimés, parce que la nature vorace de cet animal aurait pu offenser le leader chinois.

Ces pratiques jouent un grand rôle dans la régression de la démocratie dans le sud-est asiatique. “Le Vietnam copie les techniques de la Chine, ce qui donne le ton dans cette zone de l’Asie”, explique encore la chercheuse. “Toujours plus de blogueurs et d’activistes sont arrêtés du simple fait qu’ils utilisent les médias sociaux.”

Désinformation

Il n’y a du reste pas que la censure qui soit un problème. Dans le sud-est asiatique, on recourt à la désinformation pour éliminer des adversaires ou pour manipuler l’opinion publique. Voilà ce qu’écrit Ed Legaspi, directeur de Southeast Asian Press Alliance dans The Bulletin.

“Il est inquiétant que des gouvernements exploitent les médias sociaux pour propager des rumeurs et combattre les esprits critiques”, estime Legaspi. “La loi thaï ciblant le crime de lèse-majesté et la loi indonésienne ciblant le blasphème sont utilisées pour limiter la liberté d’expression.”

La loi thaï ciblant le crime de lèse-majesté et la loi indonésienne ciblant le blasphème sont utilisées pour limiter la liberté d’expression.

Le langage raciste subversif visant les musulmans à Myanmar provoque régulièrement des manifestations de violence. De fausses infos y sont souvent répandues à propos par exemple d’une femme bouddhiste qui aurait été violée par un musulman. Ce type de désinformation a contribué à des actions violentes à l’égard des Rohingya, une minorité musulmane, et fait aussi en sorte que l’armée reçoive le soutien de a population.

Le rôle des médias sociaux ne peut être sous-estimé. Facebook, Twitter, Instagram, Line, WhatsApp et WeChat sont les plus populaires dans le sud-est asiatique. Mais leur capacité initiale à diffuser des opinions est en train de faiblir.

“Il y a deux ans, les médias sociaux étaient encore un endroit sûr pour les activistes et les esprits critiques, mais aujourd’hui, ils collaborent surtout avec les régimes autocrates en place”, estime Legaspi. “Ils ne font rien pour protéger leurs utilisateurs.”

Elections manipulées

Dans plusieurs pays de cette région, des élections seront organisées cette année. Les élections sont des périodes classiques de tensions et d’affrontements. La façon dont les gouvernements concernés s’y prendront cette fois, sera déterminante pour l’évolution de la liberté sur internet.

Au Cambodge, les élections se font sans qu’il y ait d’opposition et en Malaisie, elles sont fortement manipulées. L’on ne doit donc pas s’attendre à beaucoup de changements positifs.

En Indonésie, les élections régionales de juin seront un bon baromètre pour mesurer les effets de la désinformation sur les médias sociaux. Une campagne en ligne cibla le gouverneur de Jakarta, le chrétien chinois Basuki ‘Ahok’ Tjahaja Purnama, qui fut en fin de compte condamné pour blasphème.

Le ‘savoir-faire’ croissant des autocrates est utilisé pour manipuler les élections en leur faveur. Certains contrôlent à présent déjà internet, afin de museler l’opposition, les activistes et les médias. Il est donc possible que 2018, tout comme l’a été 2017, soit une bien triste année pour la liberté sur internet dans une région qui, jusqu’il y a peu encore, était promise à un plus bel avenir démocratique.

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