Sam Buyst

Fuite d’argent et de données dans le monde de la publicité

Sam Buyst Sam Buyst est Business Director au sein de l’agence de campagnes numériques AdSomeNoise.

Google est mise sous pression à cause de sa domination sur le marché des recherches. Mais en matière de publicité en ligne, son omniprésence pose également problème. Et puis, il y a son manque de connaissance objective, selon Sam Buyst d’AdSomeNoise.

Sur le chiffre d’affaires de 162 milliards de dollars enregistré par Google en 2019, la majorité provient de la publicité en ligne. Google est ainsi l’acteur dominant sur le marché publicitaire en ligne. L’entreprise recourt pour ce faire à ce qu’on appelle le ‘programmatic buying’. On prévoit qu’en 2021, le ‘programmatic buying’ représentera 88 pour cent du marché publicitaire en ligne.

Un montant financier incroyablement élevé prend ainsi la direction de la Californie. De l’argent qui aurait pu aboutir dans notre économie locale. Car il existe des alternatives, qui font exactement la même chose, tout en étant plus transparentes et plus économiques.

Fuite d’argent et de données dans le monde de la publicité

La domination dans un nouveau secteur économique n’est pas un phénomène nouveau. Les premiers ordinateurs sont apparus en Belgique à la fin des années cinquante. IBM fut la première, suivie par Ferranti. Après avoir travaillé avec les deux, mon père commença en 1962 à dispenser ses premiers cours d’informatique à la KUL. Quasiment 10 années plus tard, il lança la formation d’ingénieur civil en sciences informatiques. La première en Europe.

Dès qu’IBM en fut informée, le CEO d’IBM Belgique et celui d’IBM Grande-Bretagne se rendirent en toute hâte à Louvain dans le but de convaincre l’université de ne pas aller plus loin. Pour eux, c’est IBM qui allait former tout un chacun, et les universités ne devaient pas se mêler de formations en informatique.

Comme IBM le faisait à l’époque, Google exploite sa puissance pour étouffer dans l’oeuf l’éducation neutre en matière de ‘programmatic buying’.

Aujourd’hui, 40 ans plus tard, Google exerce un impact nettement plus grand sur notre vie qu’IBM autrefois, mais elle recourt à des trucs similaires pour défendre sa position dominante. Surtout lorsqu’il s’agit de la maintenir en tant qu’intermédiaire sur le marché publicitaire en ligne. Et tout comme le faisait IBM à l’époque, Google exploite sa puissance pour étouffer dans l’oeuf l’éducation neutre en matière de ‘programmatic buying’.

Dans le grand public, Google est connue non seulement pour son service e-mail, son navigateur web et divers outils en ligne, mais aussi et surtout pour son moteur de recherche, où les résultats de recherche payants dominent les autres. Ces résultats de recherche payants sont la conséquence d’enchères sur les mots-clés. Le plus offrant sur un mot-clé déterminé remporte l’enchère et voit apparaître son résultat de recherche par-dessus les résultats de recherche organiques.

Peu de consommateurs ont conscience que Google est aussi le numéro un du marché d’insertion d’annonces sur les sites de tiers.

Peu de consommateurs ont conscience que Google est aussi le numéro un du marché d’insertion d’annonces sur les sites de tiers. Ces annonces s’affichent quasiment partout en ligne: tout autant sur les sites d’informations que sur les sites culinaires, les applis mobiles et les jeux. Cela peut être des publicités de type ‘display’ (bannières), des illustrations voisines d’articles ou des annonces dans des vidéos (comme par exemple des ‘pre-rolls’, à savoir de brèves vidéos publicitaires avant le véritable contenu).

Google dispose de l’outil qui donne le ton pour acquérir de l’espace publicitaire: Display & Video 360 alias DV 360, permettant aux annonceurs d’effectuer des enchères, afin d’atteindre les surfeurs aux profils et intérêts démographiques spécifiques.

Ces enchères sont introduites dans des bourses publicitaires, qui proposent de l’espace sur des milliers de sites web via des offres électroniques automatisées. Nombre d’enchères prennent le chemin de la bourse publicitaire de Google, mieux connue sous l’appellation AdX, la plus grande au monde, puisqu’elle possède la moitié des parts de marché.

A l’autre extrémité du spectre, les éditeurs mettent à disposition de l’espace publicitaire de leurs sites sur des bourses par le biais de serveurs publicitaires, une catégorie, où Google détient une part de marché de 80 pour cent au moins.

Google mange donc aux deux râteliers, et la manière complexe avec laquelle ses produits sont imbriqués les uns avec les autres – et l’opacité des prix – rend équivoque l’achat d’espace publicitaire en ligne, même pour les experts de la branche. Il en résulte que le budget de l’espace publicitaire en ligne, qui est acheté via l’écosystème de Google, aboutit à raison de quasiment un tiers dans les poches de Google.

Or un tiers, ce n’est pas rien. Sur ce plan, le secteur de la publicité a néanmoins mauvaise réputation. Dans les années 60, à l’époque de la série Netflix ‘Mad Men’, les agences publicitaires étaient rémunérées sur base d’un pourcentage prélevé sur l’espace acheté.

Ce modèle de revenus n’existe plus. Aujourd’hui, les agences publicitaires sont payées à l’heure pour les prestations fournies. Dans un passé pas si lointain, les entreprises réellement en charge de l’achat de l’espace publicitaire, à savoir les agences de médias, étaient surtout rétribuées par un pourcentage prélevé sur les achats de médias. 15 pour cent étaient alors courants, en plus d’un certain nombre de commissions cachées.

Dans les faits, Google, en tant qu’intermédiaire, repousse l’industrie publicitaire en arrière dans le temps avec des marges encore supérieures.

La décennie écoulée, le secteur publicitaire, sous la pression des annonceurs, est déjà devenu nettement plus transparent, ce qui fait qu’on a rogné sur ce pourcentage et qu’on a mis en oeuvre d’autres modèles de revenus plus transparents. Pour l’achat et le contrôle d’un espace publicitaire numérique, les agences de médias facturent encore quelques heures de travail. Dans les faits, Google, en tant qu’intermédiaire, repousse donc l’industrie publicitaire en arrière dans le temps avec des marges encore supérieures. Et personne ne réagit. Les choses pourraient cependant être différentes. Des entreprises telles la gantoise Adhese possèdent des serveurs publicitaires similaires à ceux de Google, qui font pareil et qui sont en outre nettement plus transparents et meilleur marché.

Outre cette incroyable fuite d’argent – au détriment des éditeurs et des publicitaires locaux -, on traite aussi les données de manière irréfléchie. Les données sont la nouvelle monnaie, et nombre d’annonceurs et d’éditeurs la distribuent gratuitement.

Du fait que la technologie de Google est implémentée sur les sites web tant des annonceurs que des éditeurs, l’entreprise peut visionner les données des deux parties. Cela permet à Google de développer des segments de données uniques, combinant des informations personnelles de différentes sources. Ces segments de données, Google les met exclusivement à disposition (contre paiement) via ses systèmes d’achat. Google gagne ainsi de l’argent sur les données, dont la propriété appartient en réalité à d’autres. Dans ce domaine aussi, des solutions alternatives offrent plus de transparence et de contrôle sur la propriété des données.

De bonnes formations en ‘programmatic buying’, en dehors de celle de Google même, existent à peine en Belgique, à ce que je sache.

Comment se fait-il que Google s’en tire et parvient si bien à conserver sa position dominante, malgré les alternatives transparentes et plus économiques? L’une des raisons est le manque de solides formations. De bonnes formations en ‘programmatic buying’, en dehors de celle de Google même, existent à peine en Belgique, à ce que je sache.

Lorsque la BAM (Belgian Association of Marketing) a imaginé organiser ce type de formation, un entretien avec le country director de Google suffit pour l’en dissuader. Google est manifestement nettement plus efficiente dans son travail de lobbying qu’IBM en son temps.

De plus, je crains qu’un manque de connaissance, voire une certaine nonchalance du côté annonceurs et éditeurs en soient également une cause. L’époque où les annonceurs pensaient qu’il suffisait d’attirer quelques représentants de la génération Y pour être dans la course avec les médias sociaux et la publicité numérique, semble heureusement derrière nous depuis quelques temps déjà, mais pourtant, on ne m’ôtera pas de l’idée qu’aux deux extrémités du spectre, il manque de la connaissance dans les salles de réunion. La connaissance du fonctionnement du ‘programmatic buying’ et de ce à quoi sont réellement consacrés les budgets publicitaires.

‘You will never get fired for buying IBM’, comme l’affirmait un slogan à l’époque. Il en va de même à présent pour Google.

Dans la pratique, j’observe que la publicité numérique, même si elle s’avère toujours plus importante et sans cesse plus volumineuse dans le budget, est régie pas mal encore chez les annonceurs par des profils plutôt juniors, qui sont certes très qualifiés sur le plan technique, mais qui se font rarement entendre correctement par les personnes qui détiennent réellement les cordons de la bourse.

Il est également très compréhensible que les spécialistes du marketing numérique optent pour les solutions de Google. Ils sont partout, conviviaux et qui leur tiendra rigueur de travailler avec des outils de Google? ‘You will never get fired for buying IBM’, comme l’affirmai un slogan à l’époque. Il en va de même à présent pour Google.

Ce plaidoyer n’est pas un plaidoyer anti-Google. C’est un plaidoyer pour que toutes les parties prenantes de la publicité en ligne en sachent plus.

Mais on trouve aussi des causes au sein des agences publicitaires et chez les intermédiaires. Nombre d’agences publicitaires qui se qualifient d’agences numériques, sont dans la réalité purement des revendeurs de services Google. Elles ne voient pas la nécessité de regarder plus avant par manque de pression de la part des annonceurs. Avec AdSomeNoise, nous tirons aussi à la charrette pour rendre plus transparents les achats sur les médias en ligne, mais nous avons parfois de la peine à l’expliquer clairement aux clients.

Ce plaidoyer n’est pas un plaidoyer anti-Google, qui dispose de solutions fantastiques. C’est un plaidoyer pour que toutes les parties prenantes de la publicité en ligne en sachent plus, afin que la diversité puisse s’imposer sur le marché publicitaire en ligne. Il en résulterait que les éditeurs auraient plus de revenus, que les annonceurs obtiendraient une plus-value pour leur argent et que les données resteraient entre les mains de leur propriétaire légitime. Une solution en vue d’insuffler plus d’oxygène dans notre économie locale, s’impose immanquablement.

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