Dries Buytaert

Devons-nous accorder la priorité au progrès technologique?

Dries Buytaert Dries Buytaert est la force motrice de l'entreprise Drupal et le co-fondateur d'Acquia.

Le coauteur de cet article de blog est Devesh Raj, Senior Vice President et Head of Strategy and Planning chez ComcastNBCU. Devesh et moi sommes amis et tous deux Young Global Leader au sein du World Economic Forum. Dans cet article, nous partageons quelques-unes de nos réflexions et conclusions tirées de la réunion annuelle du World Economic Forum à Davos, à laquelle nous avons participé.

Le thème central du World Economic Forum Annual Meeting de Davos de cette année était la Quatrième Révolution Industrielle, une expression inventée par Klaus Schwab pour désigner la nouvelle génération d’améliorations technologiques – capteurs, robotique, intelligence artificielle, impression 3D, médecine de précision -, qui, conjointement, donne forme à la vague de progrès en train de s’imposer.

Ces nouvelles technologies ont le potentiel de changer notre vie. Indépendamment des scénarios appartenant au domaine de la science fiction – un robot R2-D2 personnel pour chacun de nous par exemple, une Batmobile téléguidée, ou la colonisation de Mars -, ces améliorations technologiques peuvent offrir une solution à une foule de problèmes quotidiens. Une technologique plus intelligente, plus automatisée nous permettra de produire de l’énergie renouvelable, d’appréhender le changement climatique, de relier des milliards de personnes à internet, de mettre au point des projets de logement abordables et de guérir des maladies chroniques.

Or ce progrès technologique n’est pas utopique. Un rapport récent consacré aux Moments-clés technologiques et à l’Impact social prévoit que nous pourrons déjà vivre pas mal de ces moments-clés dans le courant de notre vie actuelle. Qui plus est, sur le plan du transport, de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies de paiement, nous connaîtrons une grande évolution dans la décennie à venir. Il n’empêche que beaucoup de débats lors du forum de Davos portèrent – de manière assez étonnante – plus sur l’impact négatif de ces nouvelles technologies que sur leur potentiel positif.

Ci-dessous, vous trouverez l’année probable où l’on attend un moment-clé. Source: le rapport WEF

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.© WEF

Un thème qui revenait souvent à Davos, c’était la crainte de la perte d’emplois possible. Comme l’automatisation continue de supprimer des emplois dans la production et dans les usines en général, l’on s’attend à ce que l’intelligence artificielle fasse de même au niveau des emplois plus qualifiés et du travail de bureau dans les secteurs financier, juridique et médical. Les estimations de l’impact sur l’emploi varient, mais à Davos, beaucoup de prévisions allaient dans le sens d’un effet négatif sur l’économie mondiale. Même si le progrès technologique peut dans de nombreux cas causer la disparition d’anciens processus dépendant davantage de la force humaine, nombreux sont les participants à Davos qui ont fait observer que les développements technologiques engendreront de nouveaux emplois, dont nous ne soupçonnons même pas l’existence en ce moment. Et de citer l’exemple de l’invention de l’avion qui a par exemple permis de créer des centaines de milliers d’emplois: des pilotes, en passant par les stewards et le personnel des aéroports, jusqu’aux agents de voyage internationaux. Et c’est sans parler de l’imposant impact économique des milliards de déplacements à longue distance en peu de temps.

Une deuxième préoccupation souvent exprimée à Davos concernait l’inégalité croissante dans le monde entre les “digital haves” et les “have-nots”. Ce champ de tension se situe non seulement entre les nations – pays riches face aux pays pauvres -, mais aussi, dans certains pays, au sein de groupes socio-économiques spécifiques qui n’ont pas encore connu les deuxième et troisième révolutions industrielles. Que signifie par exemple l’impression 3D ou la médecine de précision pour certaines régions rurales en Inde et en Afrique, qui ne disposent pas encore d’un réseau électrique fiable, alors que les centres urbains de ces mêmes pays accueillent avidement les développements ciblant un environnement de vie connecté et automatisé?

Un troisième point de préoccupation (partiellement basé sur l’évolution de la robotique et de l’intelligence artificielle), c’est le “déshumanisation” de nos existences. Dans ce contexte, l’on a à Davos plaidé pour accorder une attention renouvelée aux qualités uniques qui font de nous des humains: empathie, sensibilité, créativité et inspiration.

Les défis éthiques et moraux de nombreux développements ont également été passés en revue. Certaines conversations à Davos portaient sur le danger potentiel de scénarios sur le plan médical issus du domaine de l’eugénique, grâce aux développements tels CRISPR/Cas9. Une autre question est de savoir si les machines peuvent prendre des décisions positives pour la vie de l’homme, à l’instar d’une voiture autonome qui choisit entre renverser un piéton ou sacrifier son conducteur…

Certains rétorqueront que ces objections témoignent d’un luddisme exagéré. Mais d’une certaine manière, cela ne joue même aucun rôle: le progrès technologique ne peut être stoppé, et il n’en a jamais été autrement. En tout cas, il n’y avait à Davos personne qui disait vouloir ralentir le rythme du progrès technologique. La teneur des discussions était qu’il fallait trouver une façon d’éviter ou d’appréhender les conséquences négatives indésirables de ces développements.

Personnellement, nous estimons qu’aucun aspect de la Quatrième Révolution Industrielle n’a été suffisamment débattu à Davos, alors même qu’il est question de fixer des priorités.

Jusqu’à présent, c’est le renouveau technologique qui est le moteur de la Quatrième Révolution Industrielle, conditionné par les perspectives commerciales des petites ou grandes entreprises sur le marché. Après tout, l’une des significations du terme “innovation” n’est-elle pas précisément celle-ci: l’application commerciale d’une invention. C’est ainsi que les investissements en R&D pour l’énergie alternative fluctuent en fonction du prix du pétrole, tout comme la demande de véhicules hybrides ou électriques augmente en fonction des prix des carburants.

Mais qu’en serait-il si l’on pouvait axer la focalisation de la Quatrième Révolution Industrielle directement sur les grands problèmes qui se posent au monde, plutôt que sur l’intérêt commercial? Si l’on accordait la priorité aux développements technologiques qui aideraient le mieux à faire progresser notre société?

Récemment, ces problèmes ont été définis à l’échelle mondiale dans un ensemble de 17 Objectifs de développement durable (Wikipedia), aussi connus sous l’appellation ‘Objectifs globaux’, qui ont été acceptés l’année dernière par tous les pays pour “mettre fin à la pauvreté, afin de protéger la planète et assurer le bien-être de tout un chacun”. Les objectifs de développement durable concernent la pauvreté, la faim et l’approvisionnement alimentaire, la santé, l’éducation, l’énergie, l’approvisionnement en eau et l’hygiène, pour ne citer que ces aspects. Les objectifs de développement succèdent aux objectifs du Millennium, mais sont spécifiés plus clairement.

Prenons par exemple l’Objectif 3: “Assurer une vie saine et stimuler le bien-être pour tous quel que soit l’âge”. Cet objectif est combiné à 12 cibles spécifiques, dont les trois suivantes:

  • D’ici 2030: réduire la mortalité maternelle globale à 70 par 100.000 naissances.
  • D’ici 2030: mettre fin à la mortalité évitable des nouveaux nés et des enfants de moins de 5 ans. Tous les pays aspirent à réduire la mortalité néonatale jusqu’à un minimum de 12 par 1.000 naissances, et la mortalité des enfants de moins de 5 ans jusqu’à un minimum de 25 par 1.000 naissances.
  • D’ici 2030: mettre fin aux épidémies du sida, de la tuberculose, de la malaria et des affections tropicales plutôt négligées, et combattre l’hépatite transmise par l’eau, et d’autres maladies transmissibles.

Il va de soi que le progrès technologique n’est pas la seule solution à tous les Objectifs de développement durable – il y a nettement plus de pain sur la planche encore -, mais c’est probablement l’une des principales contributions.

Alors que le monde réfléchit à l’accomplissement de la Quatrième Révolution Industrielle, cela vaut, selon nous, la peine de se demander à laquelle de ces technologies il faut accorder la priorité dans l’optique des Objectifs de développement durable. Comment élaborer une politique et rendre économiquement attrayants les développements technologiques adéquats? Que doivent appréhender différemment les pouvoirs publics et le secteur privé, pour axer les développements technologiques sur ces objectifs? Comment inciter des millions d’entrepreneurs à concentrer leur énergie et leur créativité sur la création d’un monde meilleur?

Le renouveau au niveau mondial est un système qui permet beaucoup de choses et qui a bien fonctionné en général. Pourtant, une main secourable serait la bienvenue pour mettre le renouveau sur de bons rails, en vue d’assurer le bien-être de la planète, indépendamment des intérêts commerciaux. Un regard plus large sur notre système de normes en fonction des besoins globaux ne serait pas forcément une idée anticapitaliste. Ce serait plutôt une idée susceptible de donner au capitalisme un contenu dont pourrait profiter l’humanité dans son ensemble. Et c’est là, espérons-le, le véritable enjeu de la Quatrième Révolution Industrielle telle qu’elle elle a été cartographiée à Davos et à laquelle le monde devra offrir une réponse durant l’année qui vient.

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