Sam Buyst

Des parlementaires européens se réveillent en sursaut

Sam Buyst Sam Buyst est Business Director au sein de l’agence de campagnes numériques AdSomeNoise.

Des euro-parlementaires demandent de ne plus insérer de publicités sur Facebook. Un appel compréhensible certes, mais qui arrive trop tard, selon Sam Buyst, Business Director d’AdSomeNoise.

Les parlementaires européens de quatre partis (les Social Démocrates, les Verts, Renew – l’ex-ALDE – et l’association collaborative de gauche GUE/NGL) ont demandé la semaine dernière dans un courrier envoyé aux présidents des conseils d’administration des plus grandes entreprises européennes de ne plus insérer de publicité sur des plates-formes telles Facebook et Google. Et ce du fait qu’ils contribueraient ainsi à créer un ‘écosystème opaque et nocif’ financé par des annonces et formant une menace pour ‘la confidentialité, la cohésion sociale et la démocratie au niveau mondial’.

Il est bon que les politiciens se préoccupent de cette matière. Qu’ils tentent de comprendre la complexité du modèle publicitaire en ligne et soient ainsi conscients des excès. Malheureusement, cela se passe trop tardivement, et ils mettent tout dans le même sac.

J’ai toujours su que l’achat d’espaces publicitaires est une activité on ne peut plus opaque.

Depuis que je suis actif dans le secteur de la publicité, j’ai toujours su que l’achat d’espaces publicitaires est une activité on ne peut plus opaque. Avant cela, à l’époque de Mad Men, c’était encore pire. Les agences publicitaires étaient alors exclusivement rémunérées par un pourcentage sur l’achat d’espaces publicitaires. La créativité et la stratégie étaient fournies gratuitement en sus. Les pourcentages sur l’achat d’espaces publicitaires suffisaient largement. A l’époque déjà, les annonceurs ignoraient quelle somme revenait réellement aux journaux, magazines ou chaînes TV et quelle était la part qui était versée aux intermédiaires.

Il s’ensuivit une scission entre les agences publicitaires, qui prenaient en charge les volets de la conception et de la production de la création publicitaire, et les agences de médias responsables de l’achat d’espaces publicitaires. Ces dernières négociaient pour le publicitaire soi-disant le meilleur prix pour la parution d’une annonce dans les journaux, magazines ou chaînes TV. Ce qui était passé sous silence, c’est l’abus des commissions occultes versées par les médias aux agences pour l’apport de clients.

La publicité numérique a provoqué une révolution dans le business model. Les Google et Facebook de ce bas-monde ne versaient pas, du moins en théorie, des commissions aux agences de médias. La facturation devenait subitement très transparente. Les agences de médias durent apprendre à se rémunérer elles-mêmes par heure prestée, ce qui était déjà le cas dans les agences créatives. Voilà pour la bonne nouvelle.

Malheureusement, il y a l’autre côté de la médaille, à savoir nettement plus d’opacité et d’écrémage des budgets publicitaires. Google a manoeuvré de manière magistrale comme une araignée sur la toile de la publicité en ligne. Des journaux bien connus chez nous utilisent le logiciel de Google pour proposer de l’espace publicitaire en ligne sur le marché. Des annonceurs recourent à ce même logiciel pour trouver le public ad hoc pour leur publicité. Quant à Google, elle dispose des logiciels là où l’offre et la demande dans les enchères en ligne sont adaptées l’une à l’autre. Pour l’utilisation de tous ces logiciels, Google impute un obscur pourcentage sur le budget publicitaire.

Une étude commanditée par l’ISBA (Incorporated Society of Britisch Advertisers) et effectuée par PWC avait montré l’année dernière que la moitié de votre budget publicitaire n’aboutit pas aux médias sur lesquels votre publicité apparaît. Et ce, dans le monde entier, pour toutes les annonces en ligne achetées de cette manière. Or il s’agit là de montants gigantesques.

Une même annonce peut être publiée tant sur le site d’un journal de qualité tel De Tijd que sur un site web qui propage du contenu haineux.

Un deuxième problème, c’est que l’annonceur que vous êtes, ne sait pas toujours ni où ses publicités seront vues, ni donc quels médias empochent l’argent de votre budget publicitaire. Une même annonce peut être publiée tant sur le site d’un journal de qualité tel De Tijd que sur un site web qui propage du contenu haineux. Une publicité de la Mutualité Chrétienne publiée sur le site web d’extrême droite Breitbart. Ce n’est pas une plaisanterie. Surfez par exemple sur un site web tel tscheldt.be et regardez les annonces qui s’y trouvent. Peu d’annonceurs sont conscients que leur publicité y apparaît, mais le fait est qu’ils sponsorisent ainsi le média en question.

Un troisième problème, c’est qu’en utilisant le software de Google, vous cédez gratuitement à cette entreprise toutes les données que génèrent vos annonces. Des données qu’elle peut ensuite revendre à vos concurrents, enrichies d’informations de profils et sur le comportement de navigation, afin que la concurrence puisse atteindre de manière plus ciblée les consommateurs que vous visez également. Collecter, traiter et vendre des données, c’est le business model de Google. En utilisant son logiciel publicitaire, vous lui donnez les matières premières dont elle a besoin.

Le fait que les politiciens se réveillent subitement à cause des excès de la publicité numérique et de tous ses effets sur le support des fausses nouvelles et sur la perte de revenus des acteurs locaux, est certes louable. Mais malheureusement, leur rhétorique est imprégnée d’idéologie, certains de leurs arguments sont dépassés depuis longtemps déjà, alors que d’autres sont entièrement à côté de la plaque.

C’est ainsi que les politiciens s’opposent à l’utilisation de cookies (mouchards). Les cookies permettent à des acteurs tels Google et Facebook de suivre votre comportement de navigation. Il est certain que l’usage des cookies est condamné à disparaître et sera remplacé par des systèmes moins intrusifs. Les politiciens courent en l’occurrence après les faits.

De plus, les auteurs du courrier s’opposent à la publicité personnalisée en tant que telle. On peut être pour ou contre, mais lorsqu’on accepte le fait que la publicité est un mal nécessaire pour pouvoir consommer des medias gratuits ou à bon marché, la publicité sur mesure s’avère quand même plus utile que celle qui ne vous est pas destinée. C’est ainsi par exemple que je n’ai rien à faire ou si peu des publicités récurrentes, mais que la sortie ponctuelle sur le marché d’un nouvel appareil de chauffage économique m’intéresse à coup sûr. La publicité personnalisée n’est pas intrinsèquement intrusive. Elle doit cependant être abordée de manière éthique. Par exemple au moyen de ‘zero and first party data’ que les entreprises collectent – moyennant autorisation – sur leurs clients.

Ne lançons pas l’anathème sur la publicité numérique en tant que telle, mais essayons de conscientiser toutes les parties prenantes à l’écosystème que constitue celle-ci.

L’insertion d’annonces, pour lesquelles des contextes sont recherchés, dont on attend que le groupe-cible consulte le contenu, est une forme de publicité numérique tout ce qu’il y a de plus correcte. Google possède des solutions qui peuvent parfaitement vous aider.

Ne lançons pas l’anathème sur la publicité numérique en tant que telle, mais essayons de conscientiser toutes les parties prenantes à l’écosystème que constitue celle-ci: annonceurs, agences de médias et publicitaires. Ce changement d’esprit doit résulter en un ‘value-oriented media management’. Où il convient de prendre en considération tant le respect des données des consommateurs, le choix de solutions technologiques locales et un planning des médias plus actif, exigeant un regard assez critique sur les supports publicitaires.

L’objectif doit être de faire en sorte que la confidentialité soit respectée, que les budgets reprennent de manière optimale et transparente le chemin des économies locales, que les données restent entre les mains de leurs propriétaires et que les budgets publicitaires ne soient pas utilisés pour supporter la propagation de fausses nouvelles ou de contenus haineux. Nombre de parties prenantes en sont déjà conscientes et prennent des mesures dans la bonne direction, mais il y a encore beaucoup de pain sur la planche pour convaincre tout le monde.

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