Sonja Noben, CIO BNP Paribas Fortis: “D’ici 2020, notre infrastructure sera totalement dans le cloud”
Sonja Noben occupe depuis un an les fonctions de chief information officer de BNP Paribas Fortis. Avec son équipe, elle est chargée de transformer la banque à l’ère du numérique. Entre-temps, la législation ouvre le marché, tandis que les géants de la technologie et les start-up du fintech lorgnent le client bancaire moderne. Des temps délicats pour une banque dans un monde qui change.
BNP Paribas Fortis nourrit de grandes ambitions dans le paysage numérique et dispose de solides moyens pour les réaliser. Il appartient à Sonja Noben, jusqu’à l’an dernier responsable chez ING de la transformation numérique, de mener à bien cette stratégie avec ses équipes. Elle dirige ainsi 1.750 informaticiens à temps plein, dont environ 1.050 internes et 650 externes, le tout associé à de l’externalisation ciblée.
Il nous revient qu’en un an, de sérieux progrès ont été accomplis, avec un accent fort sur la formation et le recyclage. Comment y parvenir dans une entreprise de cette taille avec des collaborateurs qui y travaillent depuis 20 à 30 ans ?
SONJA NOBEN : Toute la question est d’être très transparent, ouvert et de permettre aux gens d’apprendre de manière facile. Du CEO jusqu’aux employés en agence. Mais le fait que j’apportais une solide expérience a aidé. En outre, j’ai eu la chance incroyable de pouvoir expérimenter durant 5 ans dans une grande banque avec les méthodes agiles et d’autres modèles pour voir ce qui fonctionnait ou non. C’est là, dommage de devoir le dire, la grande différence avec les sociétés de consultance. Celles-ci ont certes une vision de ce qu’il faut faire, mais ne l’ont encore jamais mise en oeuvre, alors que nous l’avons fait avec 3.300 collaborateurs simultanément, ce qui n’est pas une mince affaire.
On ne sera jamais sans systèmes hérités car d’ici que nous aurons tout renouvelé, il y aura de ‘nouveaux’ systèmes hérités.
Reste que si les choses avancent ici, ce n’est pour être clair pas uniquement dû à moi. Il faut certes disposer de l’expertise nécessaire. Mais c’est aussi l’équipe et les personnes qui travaillent ici. Il règne un incroyable enthousiasme, tant chez les nouveaux collaborateurs que chez les personnes qui connaissent Fortis à fond. Il s’agit d’un défi incroyable pour les gens en interne et on a vu émerger des méthodes de travail qui étaient inconnues jusqu’ici.
Quels sont les défis majeurs au niveau de l’infrastructure IT de BNP Paribas Fortis ?
SONJA NOBEN : La rapidité des changements technologiques. Tout va tellement vite que ce que nous implémentons aujourd’hui risque d’être dépassé d’ici 2 ans.
S’agit-il d’un pari sur l’avenir ?
SONJA NOBEN : Il n’est pas question de pari. En tant que banque, il importe d’être fiable. Nous testons les choses à fond. Dans notre labo, nous analysons des technologies qui ont fait leurs preuves afin de garantir les niveaux de service à nos clients. Je crois également que nous avons mis en place les processus adéquats pour garantir ce service, mais il s’agit d’une évolution continue, ce qui signifie qu’il faut toujours apprendre. Ce n’est pas parce que l’on maîtrisait le Cobol en son temps que l’on continuera à programmer toute sa vie en Cobol.
Reste que ces connaissances des technologies anciennes reste souvent nécessaire.
SONJA NOBEN : Nous allons d’ailleurs les conserver en interne le temps nécessaire pour assurer la continuité et aussi longtemps qu’elles supportent des actifs critiques. Leur nombre est progressivement réduit, mais vous aurez toujours besoin d’un minimum de personnes jusqu’au moment de retirer la prise.
L’externalisation ne constitue-t-elle dès lors pas une solution ?
SONJA NOBEN : Je suis allergique à la vision selon laquelle il faut tout externaliser et ne garder en interne que les choses sexy, car vous risquez ainsi de perdre la connaissance nécessaire pour challenger et diriger vos partenaires d’outsourcing. Il faut toujours conserver un niveau suffisant de connaissances. La transformation revêt une importance énorme. Mais pouvoir garantir et maintenir un niveau constant de qualité fait partie de notre ADN et doit être assuré. En d’autres termes, il faut un équilibre entre apprendre de nouvelles choses et conserver la connaissance existante. Tout cela ne disparaîtra jamais. On ne sera jamais sans systèmes hérités car d’ici que nous aurons tout renouvelé, il y aura de ‘nouveaux’ systèmes hérités.
Le deuxième grand défi porte sur la manière dont les clients et les collaborateurs exploitent aujourd’hui les technologies et les solutions numériques. Les attentes sont chaque jour plus grandes et nos clients ainsi que nos employés s’attendent à ce que nous faisions aussi bien que ce que propose Apple ou Google.
Et le troisième défi concerne la cybersécurité et son développement dans l’économie numérique. La cybersécurité deviendra toujours plus importante, ce qui implique que nous devrons constamment investir dans des connaissances approfondies et des key engineering capabilities en gestion de risques IT, cybersécurité et d’autres aspects.
BNP Paribas Fortis a un historique de rachats et de fusions, ce qui signifie que les systèmes hérités sont aujourd’hui très présents. S’agit-il d’un handicap sur la voie d’une banque numérique ?
SONJA NOBEN : Tous les chemins mènent à Rome et je n’estime pas que les systèmes hérités constituent un frein. Il convient de choisir la bonne approche de la transformation, laquelle revêt plusieurs formes. Par exemple une nouvelle plate-forme à côté de l’infrastructure existante. Elle permettra de créer un customer journey ou un employee journey qui pourra ensuite être migrée. Il est également possible de continuer à développer de nouvelles choses sur le legacy, même s’il s’agit là d’une solution plus lente et qu’il faudra un jour démanteler. La technologie qui existait voici 30 à 40 ans n’était pas conçue pour l’always-on en 24/7 et interaction en temps réel avec les clients sur n’importe quel appareil.
Vous parlez là du mainframe ?
SONJA NOBEN : Nous avons en effet pas mal d’applications coeur de métier sur le mainframe. Mais il ne s’agit pas là d’un frein à l’extension de notre plate-forme numérique.
S’agit-il dès lors de bâtir une nouvelle plate-forme puis de transférer ensuite les processus ?
SONJA NOBEN : Il existe différentes plates-formes. L’une d’entre elles est un hub de données qui serait totalement intégré et interagirait en temps réel, always-on en 24/7 avec le client où qu’il se trouve. Il s’agit aujourd’hui de la priorité, sachant qu’il faut mettre en oeuvre de nouvelles technologies de manière agile car c’est ce que le client attend de nous.
Le legacy, à savoir le traitement des opérations entre le client et nos mainframes coeur de métier, nous le cachons sous une couche spécifique, par exemple l’in-memory computing ou d’autres technologies. Par ailleurs, nous entendons grâce à une stratégie API adéquate, pouvoir le découpler à un certain moment pour le porter sur une autre plate-forme ou une solution SaaS.
Le mainframe continuera donc d’exister, mais pas éternellement ?
SONJA NOBEN : C’est exact, je n’aime pas l’idée de ne pas pouvoir conserver le legacy. Je vis dans un monde où je fais ce que je dois faire. Nous déployons les plates-formes dont nous avons besoin et les protégeons des systèmes du passé. En remplaçant simplement nos applications de core banking sur mainframe, le customer journey ne s’en trouvera pas amélioré. Mais l’intégration avec l’IA, les systèmes cognitifs, la robotique, etc. ne seront plus associés au mainframe.
Comment envisagez-vous le cloud ? Pour la plupart des entreprises, c’est une question de coût, mais pour les banques, le cloud (public) se révèle particulièrement sensible.
SONJA NOBEN : Nous allons de toute façon vers le cloud qui nous occupe pleinement. D’ici 2020, nous ne serons plus sur notre technologie legacy actuelle et notre infrastructure tournera totalement dans le cloud. Nous regardons quelles données critiques resteront sur site, dans notre cloud privé. Mais il faut aussi regarder le cloud virtuel privé, qui reste notre propriété, mais est hébergé à l’extérieur. C’est le cas pour notre site Web. Dans le même temps, nous envisageons différentes collaborations avec ces entreprises fintech. Comme celles-ci sont souvent dans des environnements de cloud public, nous examinons la manière de constituer un cloud virtuel privé où la banque fournirait des API autour de ses produits et services. Celui-ci pourrait alors être utilisé pour du co-développement avec ces entreprises fintech dans un cloud virtuel privé hébergé à l’extérieur.
Je suis allergique à la vision selon laquelle il faut tout externaliser et ne garder en interne que les choses sexy, car vous risquez ainsi de perdre la connaissance nécessaire pour challenger et diriger vos partenaires d’outsourcing.
Enfin, il y a encore le cloud public. L’an prochain, nous allons dans le cadre de PSD 2 [le règlement qui impose qu’une banque doive pouvoir opérer comme une plate-forme, en étant donc ouverte à d’autres entreprises, NDLR] rendre nos premiers API et services disponibles dans un cloud public. Mais il appartiendra au marché de décider comment les utiliser et la manière de les intégrer dans leur propre customer journey.
Il s’agira toujours d’une solution hybride. Mais nous avons des équipes formidables qui se penchent sur ces questions. Le cloud privé au sein de BNPPF est à la pointe, nous disposons d’un nouveau datacenter vers lequel nous allons migrer et nos ambitions sont réelles en matière de cloud public et privé. Il faut juste bien réfléchir à quelles données et quels actifs on veut placer dans le cloud privé ou public.
Quel est l’impact de règlements tels que PSD 2, RGPD ou Mifid II sur votre infrastructure ?
SONJA NOBEN : Les nouveaux développements sont by design conformes au RGPD, à Mifid II et aux autres nouvelles législations. Mais au niveau de ce qui est legacy également, nous y attachons une importance énorme en tant que banque et groupe. Notre chief data officer est chargé de veiller à ce que nos flux de données et leur gestion soient conformes. Cela exige des investissements qui sont énormes dans un tel environnement. Reste que notre souci majeur est la sécurité et la conformité, des obligations vis-à-vis de soi-même, de ses collaborateurs et de ses clients.
La banque s’intéresse-t-elle à la chaîne de blocs ?
SONJA NOBEN : Lorsque je suis arrivée voici un an, plusieurs pilotes et prototypes étaient en cours au sein du groupe. Nous avons également un labo blockchain à Paris avec quelques beaux cas pratiques, mais nous n’en sommes pas encore à l’industrialisation. La mise en oeuvre doit encore arriver, mais l’impact sera énorme sur nos modèles organisationnels et sur nos méthodes de travail et de traitement. Aujourd’hui, il s’agit encore de tests, mais nous embrayons sur la technologie et nos labos d’innovation s’y intéressent à fond.
Les gens veulent de moins en moins aller au bureau. Quand verra-t-on le client bancaire ne plus avoir besoin d’une agence physique ?
SONJA NOBEN : La question clé est de savoir à quoi ressemblera la banque de demain, sachant que le numérique implique que le client sera toujours plus actif. Nous prévoyons aussi que des opérations bancaires peu complexes puissent certainement être offertes en ligne. Le trajet du client commence à son domicile, ce que nous allons numériser. Celui qui veut acheter une maison fera dans de nombreux cas cette opération au départ de son smartphone. Mais il faudra aussi permettre d’utiliser un chat vidéo avec un spécialiste, ou un chatbot pour des activités moins complexes, voire de prévoir un rendez-vous en face à face dans une agence. Il faut pouvoir supporter tous ces canaux pour réussir. Je ne crois pas au pur on-line ou plus rien en face à face.
Regardez-vous dès lors surtout ce que font d’autres banques, ou les géants du numérique ?
SONJA NOBEN : Nous regardons tout, sachant que la concurrence existe sur le marché belge, mais aussi vis-à-vis d’autres secteurs et d’autres marchés. Nous ne connaissons pas encore nos futurs concurrents, mais ce n’est d’ailleurs pas nécessaire puisque si nous pouvons opérer dans un environnement public grâce à des API ouvertes, d’autres développeurs pourront également le faire.
Dès lors, le modèle de l’avenir sera donc davantage lié à la collaboration et à la co-création plutôt qu’à la concurrence ?
SONJA NOBEN : Tout est une question de réseautage et de partenariat. Les agences vont-elles disparaître ? Nous servirons toujours nos clients selon le modèle qu’ils préfèrent et nombre de ces clients préfèrent toujours le face-à-face pour être aidés. Notre CEO Max Jadot l’a d’ailleurs clairement précisé : nous limiterons de manière modérée le nombre de nos agences. Mais nous ne deviendrons pas une banque numérique en ligne.
Sonja Noben
Depuis sept. 2016
CIO de BNP Paribas Fortis
JanV. 2016 – juIl. 2016
Global delivery head ING
Touchpoint Architecture, ING
JanV. 2015 – janV. 2016
General manager Transformation Delivery, ING Belgium
JanV. 2011 – déc. 2014
Cio Commercial Banking IT and Operations Belgium, ING
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