Quand le maçon devient architecte

Il n’y aura plus de place pour le passionné pur et dur dans le secteur IT. Si vous ne pouvez pas communiquer et réfléchir avec le métier, les Indiens vous couperont l’herbe sous le pied. Trois “vieux de la vieille” dans le domaine analysent pour vous les solides critères auxquels un informaticien occidental devra dorénavant satisfaire.

Pour débuter cet article, nous ne résistons pas à vous faire part d’un certain nombre d’expressions imagées lancées par l’un de nos interlocuteurs, Yves Vanderbeken, ‘systems architect EMEA Architects Office’ chez EDS. “Fini de bidouiller sous le capot moteur”, “ceux qui seront dans le pétrin vont déguster”, “de la tenue relax au costume sur mesure et à la cravate”,… Des paroles savoureuses pour décrire une évolution qui exige énormément de l’informaticien d’aujourd’hui. Car, réagissent nos invités, l’expression ‘pénurie d’informaticiens’ doit être nuancée en ‘pénurie d’informaticiens ad hoc’. “Lorsqu’on dit qu’il y a trop peu d’informaticiens, il s’agit en l’occurrence de personnes qui comprennent le métier”, estime Vanderbeken.”La profession d’informaticien est devenue plus difficile, estime Johan Merckx, ‘chief operating officer’ chez AE (ex-Application Engineers). Parce qu’il faut pouvoir établir le lien avec le métier au départ de la technologie. Aujourd’hui, on observe toujours plus souvent une scission entre d’une part les ‘business architects’ et d’autre part les ‘technology architects’. Il est par conséquent très compliqué de trouver des informaticiens aux compétences ‘business’ évidentes. Il faut être très bien préparé du point de vue analytique, ce qui n’est pas souvent le lot des informaticiens nouvellement diplômés.” Paul De Decker, ‘managing director Belux’ chez Sun, admet que les exigences sont excessivement élevées: “Pour cette raison, nous mettons, lors du recrutement, nettement plus l’accent sur les compétences ‘douces’ (soft skills): communication, intelligence émotionnelle, connaissance des langues,… Il est possible de former les gens à la connaissance théorique, mais ces ‘soft skills’, il faut déjà les avoir en soi. La connaissance de la technologie est bien entendu essentielle dans le monde IT, mais elle peut être apprise. En outre, les jeunes d’aujourd’hui ont grandi avec les gadgets technologiques et les PC.”L’IndeYves Vanderbeken persiste et signe: “Il n’y a pas de pénurie de main-d’oeuvre IT pure, mais bien de personnel proche des utilisateurs finaux. Voilà où se trouvent les opportunités. Si tant les écoles que des entreprises comme EDS pouvaient s’y concentrer… Actuellement, les écoles supérieures et les universités continuent à sortir des programmeurs, des gens qui maîtrisent certes la technique, mais qui doivent comprendre que leurs principaux débouchés disparaissent au profit des pays à bas salaires, tels l’Inde. Il convient de traduire ces mots dans la langue des passionnés de la technique qui pourront continuer à effectuer leur travail.”Choisir une fonction ‘sous le capot moteur’ reviendra-t-elle donc à terme à choisir le chômage? “Pour ces personnes de ‘l’espèce inférieure’ – sans faire preuve d’arrogance -, il y a un très grand risque que nous perdions le combat ici en Belgique sur le plan des salaires et des coûts contre les pays ‘lowcost’, prédit Vanderbeken. Mais cela ouvrira des perspectives pour l’informaticien d’ici de grimper dans la hiérarchie. Il devra se créer de la valeur ajoutée pour lui-même. Autrement dit, il doit soit se spécialiser – l’Inde ne pourra pas éliminer aussi aisément un spécialiste de la sécurité p. ex. – soit gagner le métier dans les plus brefs délais.”Biologues et sociologues”Notre secteur connaît en fait une forte croissance, mais les formations en informatique n’y répondent pas, déclare Vanderbeken. La formation devrait être une combinaison d’informatique, de sciences commerciales, de communication, de PR et de marketing.” Paul De Decker ouvre une piste de réflexion: “Peut-être ne devrions-nous plus forcément considérer la formation en informatique pour trouver les gens qui conviennent? Dans les années ’80, on a vu des personnes se lancer dans le secteur IT avec une formation en sociologie ou en langues. Ne devrions-nous éventuellement pas y revenir et ne nous sommes-nous pas, ces dernières années, trop focalisés sur les ingénieurs?””Cela ne doit pas toujours être des informaticiens, répond Vanderbeken à la question rhétorique de De Decker. Quelqu’un qui a étudié la biologie, mais qui est bon communicateur, peut parfaitement remplir une fonction IT. Peut-être devrions-nous explorer ce potentiel. Il ne faut pas toujours faire appel à des bacheliers ou des titulaires d’une maîtrise en informatique. Pour travailler sous le capot moteur, certes, à l’instar du mécanicien automobile. Mais pour parler avec un utilisateur final, on n’a pas besoin d’un mécano. Il ne faut dans ce cas pas envisager des personnes avec un diplôme, mais avec du talent.” Johan Merckx n’est pas du tout d’accord: “Je trouve injuste qu’un diplôme d’informaticien ne soit pas forcément nécessaire pour remplir une fonction IT. Il y a le diplôme d’ingénieur commercial qui témoigne certes d’un bon niveau, mais qui, pour occuper une fonction IT, exige par après une formation technique complémentaire. Les personnes qui ont étudié l’informatique de gestion, sont quand même nettement mieux armées. Le bagage et l’arrière-plan IT demeurent essentiels. Le problème est en effet que le balancier pourrait osciller complètement dans l’autre sens et que les informaticiens auraient alors trop peu de connaissances techniques, ce qui entraînerait aussi une perte de qualité. Actuellement, le marché est conditionné par la demande, ce qui ne profite pas vraiment à la qualité.”ValorisantMême s’il est difficile de trouver les profils adéquats, chacun de nos interlocuteurs considère l’évolution vers une orientation métier de la profession d’informaticien comme une bonne chose. “L’IT a toujours eu un ego relativement important, alors que le métier s’oriente à présent de plus en plus vers la dépendance (au métier), explique Johan Merckx. Cette naïveté selon laquelle ‘la technologie résoudra tout’, que les ‘super-CIO’ d’autrefois semblaient avoir, est heureusement en voie de disparition. Aujourd’hui, ce qui compte, c’est la bonne relation avec le métier.” Paul De Decker est tout à fait d’accord: “Avant, l’informaticien concevait d’abord tout son produit, puis le fournissait au client qui en avait l’utilité. A présent, l’informaticien devient nettement plus un conseiller. Il recherche avec le client une solution qui lui convienne. Il peut donc ainsi vraiment apporter sa pierre à l’entreprise du client. C’est plus valorisant.””Je trouve qu’on peut laisser les passionnés d’informatique purs et durs plonger sous le capot moteur car il y a là encore du travail à faire, estime Vanderbeken. Mais la force et la valeur réelles des informaticiens, on les trouvera déésormais dans leur capacité à communiquer avec le métier et à propos de celui-ci. Cette évolution ne me plaît guère. Les informaticiens en tenue relax que nous étions avant se muent en personnes en costume cravate, capables elles de traduire les problèmes du métier aux premiers nommés. On a enfin compris que le métier et l’IT peuvent faire la différence ensemble.”Vanderbeken, De Decker et Merckx espèrent ainsi dynamiser quelque peu la profession d’informaticien. “L’image peut évoluer du passionné de technique à quelqu’un qui apporte une véritable contribution au métier, concluent-ils. La demande supplémentaire de ‘soft skills’ peut aussi faire en sorte qu’il y ait un regain d’intérêt pour ce métier de la part des femmes, nettement trop peu nombreuses aujourd’hui.”

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