“Le client ne sait généralement pas ce qu’il veut”
Johan Lybaert est ‘program manager’ du projet Ventouris de développement pour des caisses d’assurances sociales pour indépendants, le principal projet Java dans notre pays. L’Anversois s’est mué en véritable ‘people coach’. “J’aime stimuler les gens afin qu’ils s’épanouissent davantage.”
Au sein du projet Ventouris, qu’il coordonne actuellement, Johan Lybaert (47 ans) est responsable de 80 collaborateurs. Des aptitudes telles que savoir diriger, stimuler les personnes et bien communiquer sont essentielles pour mener à bien un projet d’une telle ampleur. Lybaert cite précisément ces qualités comme ses principaux atouts. Le genre de qualités que l’on ne retrouve pas chez tout le monde. Il les explique (en partie) par les études qu’il a suivies.GendarmeL’Anversois a étudié à l’Ecole royale militaire, où il a opté pour une formation de gendarme. Il a ainsi marché sur les traces de son père, qui était sous-officier dans l’armée. Le jeune Lyaert y a appris à développer des aptitudes à la communication, a mieux compris la dynamique de groupe et développé des talents de direction naturels. “Plusieurs talents latents y ont été stimulés, des aptitudes que l’on retrouve moins souvent chez bon nombre de personnes – surtout dans l’informatique.” Pour Lybaert, une formation militaire propose des processus, des méthodologies et des outils sur lesquels beaucoup d’autres formations mettent moins l’accent: direction structurée, communication efficace et claire, réaction immédiate à des situations de crise. “J’y ai appris l’importance de faire attention à la personne et à l’individu. Des choses que j’ai pu utiliser par la suite dans l’informatique.”Lybaert avait également acquis plusieurs de ces qualités au cours de sa jeunesse. “La position au sein de la famille joue également un rôle important dans la vie de quelqu’un. J’étais l’aîné de six enfants. Comme vous devez aider vos parents, vous apprenez tout jeune à prendre des rendez-vous, déléguer, motiver, suivre les tâches, bref à assumer certaines responsabilités. Je suis également convaincu que votre place au sein de la famille détermine aussi partiellement ce que vous ferez plus tard. A titre d’exemple, le deuxième enfant joue souvent le rôle de caisse de résonance, il est souvent diplomate et il se retrouvera souvent dans des jobs qui demandent ce genre d’aptitudes.”Zone de confortLa diplomatie est une qualité moins présente chez Lybaert. “Je suis davantage du genre direct, très axé sur les résultats.” Néanmoins, cela ne signifie certainement pas qu’il ne porte pas d’attention aux aspects humains. “Vous devez motiver les gens et montrer de la compréhension, mais vous devez également indiquer clairement quels résultats vous attendez et quelle direction vous voulez suivre.”Et l’entretien arrive ainsi sur l’un des principaux chevaux de bataille de Lybaert, même une véritable passion selon ses propres dires: le coaching de collaborateurs. “J’aime stimuler les gens afin qu’ils s’épanouissent davantage.” Lybaert trouve qu’énormément de personnes se cantonnent dans des limites précises, alors qu’elles disposent de qualités intrinsèques qu’elles ne mettent pas suffisamment à profit. “Je pousse les gens à sortir de leur zone de confort et à faire ressortir ces qualités cachées. Naturellement, vous ne pouvez y parvenir que si vous accompagnez suffisamment ces personnes.”Lybaert renvoie au profil de l’architecte IT comme exemple type. Les profils de ce genre sont spécialisés dans des tâches techniques. “Mais je veux également les impliquer dans le processus commercial. Les mettre en contact avec le client pour éclairer les aspects techniques du projet dans un langage que le client comprend. Les architectes IT n’apprécient généralement guère cette démarche et préfèrent laisser à d’autres le contact avec le client. Ils préfèrent rester dans leur coin, mais je les pousse à en sortir. J’essaie de leur faire comprendre qu’ils peuvent tirer davantage de satisfaction de leur travail quand ils entrent en contact avec le client, celui qui utilise la solution en fin de compte.”ManagerCe père de trois enfants avoue que les gens n’aiment guère changer, par nature, et qu’il est souvent confronté à une certaine réticence dans ses tentatives de leur faire faire de nouvelles choses. Comment s’y prend-il? “Quand des personnes assument de nouvelles responsabilités, elles évoluent, avec plusieurs avantages à la clé. J’essaie de le leur faire comprendre. Tout le monde veut évoluer dans sa fonction et en tire de la fierté. Il importe que ces personnes aient le sentiment de ne pas être abandonnées à leur sort. Et, autre facteur à ne pas négliger, celui qui évolue dans une fonction augmente sa valeur sur le marché et grimpe également dans l’échelle des salaires.”Un manager doit se distinguer par la qualité de l’encadrement de son personnel, selon Lybaert. “Un bon manager a les mains libres et doit consacrer du temps à cet aspect. Lorsqu’un manager est constamment occupé par des tâches opérationnelles, ses collaborateurs restent en rade. Alors qu’ils attendent précisément cet encadrement et ce coaching.” Lybaert reproche à bon nombre de managers d’avoir du mal à se détacher de leurs tâches précédentes une fois qu’ils ont été promus à un rôle de manager. “Ils veulent se mêler de la manière dont leurs collaborateurs réalisent certaines tâches. Alors qu’il y a différentes visions pour arriver à un bon résultat. Mais vous risquez ainsi que ces collaborateurs développent un manque d’ownership.”PassionLa routine est mortelle et sape toute passion dans le travail, estime l’homme qui a élu domicile à Malines. Et, pour lui, la passion dans le travail est l’un des principaux moteurs. Il n’est donc pas étonnant de voir que sa carrière a pris plusieurs tournants surprenants au fil des ans. Après ses études, il atterrit en 1984 dans le département informatique (‘Service de télématique’) de l’état-major de la gendarmerie. A côté de son intérêt pour les sciences humaines, Lybaert a toujours eu des affinités avec des orientations exactes comme les mathématiques.Pendant les huit années qu’il y travaille, Lybaert parcourt les différents aspects d’une carrière informatique: programmeur, analyste, responsable de projet. Il y participe également à un projet d’informatisation pour les bureaux de gendarmerie locaux, un système d’enregistrement horaire. Lybaert est très critique. “Le projet a duré deux ans, parce que tout devait être réalisé suivant le cahier des charges et que le rythme n’était guère élevé. En fait, le projet n’aurait pas dû prendre plus de six mois.” Finalement, le système n’a jamais été mis en service, ce qui lui a laissé un goût amer. “J’ai décidé alors que je ne ferais plus jamais un truc de ce genre.”EvangélisteComme le projet avait pris tellement de retard, il a été décidé de l’abandonner. Lybaert en a également tiré les leçons. “Quel est le problème de nombreux projets? On attend trop longtemps avant de montrer les premiers résultats au client. Les gros projets doivent être déployés avec des ‘quick wins’. Après trois ou six mois, vous devez évaluer les résultats atteints avec le client. Entre-temps, je suis devenu un évangéliste de l’approche ‘agile development’. Toutes les deux semaines, nous montrons au client une partie de l’application qui a été développée. Ce n’est pas parce que vous faites une étude approfondie au préalable que vous répondez mieux aux besoins du client. Car celui-ci ne sait généralement pas ce qu’il veut ; telle est mon expérience. Il est nettement mieux indiqué de réécrire des éléments en cours de projet. Ce n’est pas que les logiciels ne coûtent rien, mais si c’est nécessaire, vous pouvez réécrire des éléments assez facilement.”Trop de chefsUne réalisation dont Lybaert est en revanche fier au sein de la gendarmerie, c’est la fondation de la Computer Crime Unit, le chien de garde de la police fédérale sur le plan des menaces internet, qui est actuellement sous la direction de Luc Beirens.Un moment, il a envisagé de dire adieu à sa carrière informatique et d’accepter un poste comme commandant de district à la gendarmerie. C’était lié à un déménagement de Nossegem vers la côte (en raison de l’occasion d’acheter un bel appartement à Coxyde), et il ne voyait pas d’un très bon oeil à long terme les navettes quotidiennes vers l’état-major. Lorsque cette demande a été rejetée, J. Lybaert a estimé que le moment était venu, après huit ans de service, de quitter la gendarmerie. “Quand j’ai rejoint le privé, j’ai néanmoins compris que j’avait acquis une très bonne base à la gendarmerie.” Et il met du coup le doigt sur le point sensible. “A la gendarmerie, il y avait probablement trop de profils élevés et pas assez de profils exécutants.”Entre-temps, Lybaert compte déjà 16 ans de carrière dans le secteur privé comme ‘project manager’ auprès d’une série de sociétés IT: CTG, CSC, BASE et Ardatis.
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