Jonas Dhaenens: “Mon hobby ? Construire!”
Devenir leader du marché en Belgique ne suffisait pas à Jonas Dhaenens de Combell, nommé ICT Personality of the Year 2016 de Data News. Ses ambitions sont en effet autres. “Si vous ne pouvez plus croître à un rythme annuel de 30 %, vous devez faire un choix : soit arrêter, soit s’internationaliser. C’est cette dernière option que j’ai choisie.”
Jonas Dhaenens (33 ans) démontre année après année qu’il est parfaitement possible de diriger une entreprise technologique à succès au départ de la Belgique et qu’il n’est absolument pas nécessaire d’émigrer dans la Silicon Valley. Pourtant, l’histoire de notre ICT Personality of the Year s’apparente étrangement à celle d’une success story américaine. Ainsi, Dhaenens a lancé Combell dans la chambre à coucher de la maison de ses parents et a arrêté ses études supérieures pour continuer à développer ses activités.
Les premières années, la croissance de ce spécialiste en hébergement et en noms de domaine a surtout été organique, mais à partir de 2002-2003, Dhaenens et son ancien camarade de classe et “pote à la vie et à la mort” Frederik Poelman ont commencé à racheter systématiquement de petites sociétés et à absorber des concurrents. A tel point qu’il n’existe désormais pratiquement plus de proies potentielles dans notre pays.
Aujourd’hui, Intelligent – le holding qui chapeaute notamment Combell et la néerlandaise Sentia – est le premier prestataire cloud du Benelux en chiffre d’affaires et en effectifs. Dans notre pays, l’entreprise est leader du marché de l’hébergement et des services apparentés, un objectif final que l’entreprise s’est également fixé aux Pays-Bas.
“Outre-Moerdijk, nous sommes actuellement n° 3 en enterprise hosting et approchons le top 10 sur le segment des PME, précise Dhaenens. Mais notre ambition est en effet d’occuper la même position aux Pays-Bas. Le marché de l’hébergement y est très fragmenté et l’on retrouve de nombreux petits acteurs qui doivent encore choisir s’ils souhaitent se focaliser sur une niche ou s’intégrer dans un ensemble plus vaste. Comptez donc que l’on assistera encore à de très nombreux rachats dans les prochaines années. Nous nous efforçons continuellement de convaincre des petits acteurs de se rapprocher de nous.”
Indépendants
L’entreprenariat est clairement inscrit dans les gènes de Jonas Dhaenens. Sa mère exploite une épicerie et son père était agent d’assurances indépendant. De même, les grands-parents de notre Gantois étaient indépendants. “Le monde de l’entreprise m’a toujours fasciné, se rappelle le jeune CEO. Au lieu de jouer aux mêmes jeux que mes petits camarades, j’étais constamment en train de m’imaginer ce que je ferais plus tard. A 10 ans déjà, j’avais fondé plusieurs sociétés imaginaires.”
Alors qu’il n’a que 16 ans environ, Combell devient peu à peu concrète. “Je voulais faire quelque chose dans l’Internet qui commençait à exploser au milieu des années 90. Avant même de savoir ce que ce serait réellement, j’avais déjà un nom : com de computers et bel de Belgique. Et pour donner une connotation plus internationale, j’y ai ajouté ensuite un L pour faire Combell.”
A la fin des années 90, il était toujours extrêmement complexe de mettre en ligne un site Web ou d’enregistrer un nom de domaine. “J’ai rapidement senti que je me devais d’aider les gens dans l’enregistrement de leur nom de domaine. Certes, c’était déjà possible avant cela, mais il fallait encore envoyer un dossier complet au professeur Verbaeten de la KULeuven. C’est ce travail administratif que je faisais pour mes clients, avant de connecter leur adresse à l’Internet à l’aide d’un petit programme d’hébergement. Au départ, je commercialisais des produits d’une entreprise britannique, mais l’objectif était bel et bien de faire tout moi-même une fois que les volumes seraient suffisants. Mon père vendait des portefeuilles d’assurances, c’étaient des revenus récurrents. J’ai voulu faire quelque chose de similaire, mais avec l’aspect on-line : un système d’abonnement qui pourrait grandir et rapporter de l’argent. Après la libéralisation des noms de domaine en 2000, les affaires ont vraiment décollé.”
C’est alors que vous avez commencé à concurrencer des entreprises comme Belgacom à l’époque. Comment s’y prendre en tant que petite structure ?
JONAS DHAENENS : J’ai toujours essayé de donner une image de professionnalisme à Combell. Et de me focaliser sur l’hébergement et rien d’autre. Nos principaux concurrents faisaient tout et n’importe quoi, mais il est impossible de tout cibler et d’être bon en tout. Celui qui voulait commander une solution d’hébergement à Belgacom en 1999 devait compléter et renvoyer un document détaillé. Et il était impossible de savoir à l’avance si le nom de domaine était disponible. Les grands hébergeurs américains et britanniques étaient nettement plus professionnels et avaient automatisé toutes ces procédures. C’est ce modèle que j’ai importé en Belgique. Le message était qu’il n’était plus nécessaire de se tourner vers les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne et que nous assurions le support pour un surcoût minime. Comme nous offrions un bon service à nos petits clients, les grands ont suivi.
On vous reproche parfois une stratégie “buy to kill”. Que vous achetez des petits acteurs pour les tuer. La loi de la finance.
JONAS DHAENENS : Certes, il s’agit là d’une critique que j’entends parfois, mais que je considère comme plutôt restrictive, sachant que le marché de l’hébergement se consolide. Au tournant du siècle, des milliers d’hébergeurs comme Combell ont vu le jour. Il était très facile de gagner des clients, le marché était à portée de main. Mais entre-temps, les technologies d’hébergement sont devenues bien plus complexes. Pour rester en tête, il faut désormais se doter des meilleurs spécialistes et offrir les toutes dernières innovations. Et pour se payer tout cela, il faut augmenter sa taille. De très nombreux petits acteurs choisissent d’ailleurs de vendre leur portefeuille de clients à une société qui a grandi plus rapidement. Donc oui, nous absorbons des concurrents, mais cette évolution est un reflet du marché. A un certain moment, on est presque contraint de faire un choix : investir ou se faire racheter.
Pays-Bas
Entre-temps, vos effectifs sont plus importants aux Pays-Bas qu’en Belgique. Le rachat de votre homologue néerlandais s’est-il fait sans heurts ?
JONAS DHAENENS : La direction de Sentia siège également dans Intelligent, ce qui renforce les liens dans le groupe. Si vous n’êtes pas prêt à permettre une certaine dilution de vos actions, il est impossible de conserver une équipe de direction motivée. Il faut pouvoir lâcher du lest et permettre une certaine prise de participation. Du coup, nous réalisons maintenant un chiffre d’affaires plus élevé aux Pays-Bas qu’en Belgique. Et la situation ne devrait pas changer rapidement, sachant que le marché du cloud y est 4 fois plus grand que chez nous. Si vous m’aviez dit voici 10 ans que nous serions plus grands aux Pays-Bas, j’aurais certainement ri. J’ai toujours fixé des objectifs très réalistes pour Combell. Ce n’est qu’une fois ceux-ci atteints que nous allons de l’avant. Mais il ne faut pas tomber dans la routine. En 2014, j’ai constaté que si l’on continuait à avoir une croissance à 2 chiffres, nous ne parvenions plus à progresser de 30 %. Il fallait alors faire un choix : s’arrêter ou aller à l’international. C’est cette dernière option qui a été retenue.
Existe-t-il des différences en affaires entre les Pays-Bas et la Belgique ?
JONAS DHAENENS : Les choses vont plus vite et les entreprises sont plus ouvertes à l’externalisation. Aux Pays-Bas, les entreprises se focalisent expressément sur leur coeur de métier. Les tâches qui peuvent être traitées plus rapidement par un partenaire externe sont outsourcées, ce qui est moins le cas en Belgique. (rire) Un Néerlandais est mieux au courant des SLA et de la manière de proposer un service de qualité. Chez nous, il y a beaucoup moins de transparence à ce niveau. Une décision est davantage guidée par une politique que basée sur des faits avérés. En outre, aux Pays-Bas, un nouveau venu bénéficie plus vite d’une certaine attention, on y est plus ouvert à la nouveauté. Bref, il y est plus facile de faire des affaires.
A quoi s’attendre après les Pays-Bas ? Le fonds d’investissement Waterland a pris une importante participation dans Intelligent. Avec l’ambition de créer un groupe Internet pan-européen ?
JONAS DHAENENS : Notre créneau devient plus complexe et les grands concurrents américains et européens lorgnent toujours plus nos clients. Il est donc important de pouvoir grandir en dehors du Benelux également et d’agrandir notre empreinte. Cela dit, l’objectif n’est pas d’être actif dans les grands pays européens, mais de se tourner plutôt vers des pays de taille similaire aux nôtres et où l’on peut assez rapidement se hisser dans le top 5. Si je me lance dans un pays, il faut pouvoir y atteindre le top 5, sans quoi cela n’a aucun sens et je serai écarté par la concurrence. Des possibilités existent encore en Scandinavie. Le secteur IT y est très fort et les entreprises sont ouvertes à l’externalisation. Il est donc possible d’y générer du volume. Nous sommes d’ailleurs déjà en discussion avec un partenaire qui n’est plus présent dans le Benelux.
Quelle est l’importance de l’innovation pour Intelligent ? L’innovation existe-t-elle dans l’hébergement ? Combell m’apparaît plutôt comme une affaire d’entreprenariat plutôt que de technologie ?
JONAS DHAENENS : Sur le créneau du nom de domaine, beaucoup de choses ont déjà été automatisées, mais avec les nouvelles extensions qui apparaissent, de nombreuses adaptations doivent être apportées. Et au niveau de la gestion des noms de domaine, les exigences sont beaucoup plus strictes en matière de sécurité. Si Twitter est piraté, c’est aussi le cas d’un fournisseur de noms de domaine, n’est-ce pas ? En soi, la location d’un espace Web est relativement simple, mais ce sont les entreprises qui ne regardent pas plus loin et restent dans leur zone de confort qui finissent par disparaître. Ces dernières années, nous avons investi massivement dans l’expertise en CMS. WordPress, Drupal, Magento : nous excellons dans ces solutions, ce qui est d’ailleurs l’une des raisons majeures pour lesquelles nous continuons à croître de manière organique dans l’hébergement partagé. Et au niveau des entreprises, nous avons par exemple construit une couche au-dessus d’Amazon qui simplifie grandement l’augmentation et le contrôle des applis hébergées chez AWS. Que l’on ne s’y trompe pas : c’est avec ce type de choses que l’on fait la différence.
Ancrage local
L’entreprenariat a longtemps eu une mauvaise image en Belgique, mais vous démontrez que c’est possible et qu’il ne faut pas forcément émigrer aux Etats-Unis.
JONAS DHAENENS : Il est évidemment vrai que la marché est gigantesque aux Etats-Unis, avec une seule monnaie, une seule langue et une seule législation, ce qui était forcément intéressant, mais notre force était précisément notre ancrage local et la possibilité d’offrir également un service de qualité au niveau local. Grâce au fait que nous vivons dans un pays à la fois petit et difficile, de très nombreux grands acteurs internationaux ont délaissé notre pays comme marché pour l’hébergement. Nous en avons aussi profité. D’ailleurs, il s’agit là comme je l’ai déjà dit de ma stratégie d’avenir. Intelligent ne doit pas forcément être le plus grand du monde. Si je pouvais être le plus grand dans des petits pays, je serais déjà très content.
Vous investissez désormais aussi dans des start-up, dont Cashforce, Xpenditure et Moovly, tandis que vous avez une participation dans le fonds de capital-risque Volta Ventures. Est-ce votre manière de renvoyer l’ascenseur à la communauté ?
JONAS DHAENENS : Je fais ces investissements en partie pour continuer à apprendre, par intérêt pour le secteur Internet. Les start-up peuvent vous montrer de nouvelles choses que vous n’auriez pas vues si vous étiez resté dans votre domaine. N’oubliez pas que j’ai travaillé toute ma vie pour Combell. En outre, je me réjouis que d’autres puissent percer. Et si je peux apporter ma pierre à l’édifice, tant mieux. Je suis en général le plus jeune investisseur, c’est vrai. Je n’y peux rien si j’ai commencé jeune. (rire) Mais chaque euro que je gagne est réinvesti. C’est ainsi qu’à côté d’Intelligent, je m’intéresse aussi à des projets immobiliers. Je trouve agréable d’y réaliser des projets et de participer du début à la fin. J’aime construire, c’est mon grand hobby.
Quelque chose me dit que vous êtes fier de Gand. Vous êtes la cheville ouvrière de .gent et l’on retrouve le nom de la ville dans Intelligent. Ce n’est pas un hasard.
JONAS DHAENENS : C’est exact, j’ai grandi à Gand et comme de nombreux Gantois, j’apprécie ma ville. On y retrouve aussi une dynamique très intéressante, avec énormément de jeunes pousses. Cela s’explique par le fait que la ville attire les cerveaux tant de Flandre-Orientale qu’Occidentale. Certes, nous n’étions pas obligés de faire .gent, mais nous sommes précisément dans cette ville en tant qu’entreprise Internet. Et en étant actif dans les noms de domaine, nous nous devions d’y aller. Si nous ne l’avions pas fait, aurions-nous aussi réussi ?
Combien de temps continuerez-vous?
JONAS DHAENENS : De préférence le plus longtemps possible, car j’aime ce que je fais, ou tout au moins aussi longtemps que l’entreprise continue à évoluer. Si nous devions demain faire du surplace, je m’arrêterais car ce ne serait plus intéressant. Mais je veillerai à ce que cela n’arrive pas de sitôt. Le marché du cloud et de l’hébergement en est encore à ses balbutiements. De nouvelles évolutions nous attendent. Toujours plus d’applis seront interconnectées dans le cloud. Dans ce domaine également, les opportunités intéressantes sont multiples.
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