” Je ne suis pas particulièrement fier du nombre d’informaticiens que j’emploie. Mais bien de leur valeur ajoutée “
Bjorn Van Reet est le CIO of the Year 2017. Depuis un an, il est en charge chez Kinepolis du projet numérique, même s’il a vécu quelque temps à Hollywood avant ses études d’informatique. Son ambition ? Offrir au spectateur la meilleure expérience numérique du cinéma et profiter entre-temps du trajet. ” J’apprécie particulièrement d’avoir pu réaliser mes projets. “
Le titre décroché par Bjorn Van Reet ne s’explique pas uniquement par sa réussite chez Kinepolis, mais aussi ses réalisations majeures chez Adecco où il est parvenu à faire tourner à vitesse de croisière tant l’infrastructure IT belge qu’internationale. Si nous l’interrogeons sur son film favori, Bad Boys, c’est parce qu’il l’avait vu en son temps aux Etats-Unis
BJORN VAN REET: En réalité, je n’étais pas le meilleur de la classe. J’avais certes la bosse des maths, mais mon anglais n’était pas parfait. C’est pourquoi mes parents m’ont alors envoyé aux Etats-Unis où j’ai séjourné durant quelques mois dans le nord de Hollywood. La personne qui me logeait alors travaillait dans le secteur cinématographique et il m’a emmené à plusieurs reprises voir une représentation. Pour moi, c’était alors le rêve américain.
Par la suite, Van Reet termine ses études d’informatique et commence sa carrière chez Inventive Designers. Ensuite, il rejoint le groupe Cronos, d’abord comme salarié puis comme externe (via le groupe Cronos). C’est ainsi qu’il entre comme consultant chez Adecco où il sera engagé après un an. Par la suite, sa carrière prend une autre dimension : d’abord comme CIO pour la Belgique, puis pour le Benelux et ensuite en charge de la transformation ICT à l’échelle mondiale (au départ de Zürich), un projet impactant 1.100 informaticiens au sein du groupe Adecco. Par la suite, il dirige le département ICT pour l’Europe du Nord avant de se recentrer à nouveau sur la Belgique. ” Ce fut une année agréable, mais infernale que de diriger un département ICT et de mettre sur pied toute une organisation numérique. ”
Mieux vaut avoir peu de données, mais qui sont bien intégrées dans les processus métier qu’une montagne de données que personne ne maîtrise.
D’autant qu’entre-temps, le groupe s’était lancé dans différents rachats, de sorte que je devins aussi directeur général de Modis, la filiale d’Adecco spécialisée en profils IT qui commençait également à décoller avec des croissances de plus de 40 %.
Van Reet : “A un certain moment, il a fallu choisir : dirigier le département IT ou Modis. J’ai alors opté pour la première solution, même si j’ai finalement dû tout laisser tomber avec mon départ pour Kinepolis. ”
Passer de 1.100 personnes à 25 chez Kinepolis, n’était-ce pas réduire son champ de manoeuvre ?
BJORN VAN REET: Plutôt améliorer l’efficacité. L’énorme avantage de Kinepolis est de pouvoir y changer les choses. Notre croissance est énorme : pour l’instant, nous gérons 48 complexes cinématographiques dans 7 pays et nous y ajouterons 44 avec la reprise de Landmark Cinemas au Canada, alors que notre ambition est de croître encore davantage. Sans oublier la marque elle-même et la capacité à améliorer encore et toujours le customer journey. Je ne suis pas particulièrement fier du nombre d’informaticiens que j’emploie. Mais bien de leur valeur ajoutée qu’apporte l’équipe pour nos clients.
Que représentent les IT operations au sein du groupe cinématographique ?
BJORN VAN REET: Nous disposons d’un écosystème de partenaires. Nous conservons en interne la connaissance de base, mais nous nous entourons de partenaires stratégiques. J’ajoute que nous venons d’engager une personne chargée de la gestion de cet écosystème. Nous confions à des partenaires les déploiements, la gestion de nos datacenters, la gestion des bureaux virtuels, etc. Nous entendons être le plus évolutif et le plus flexible possible.
L’un de nos partenaires est Nutanix : si nous devons ajouter demain de la capacité, nous les appelons et ils nous fournissent des éléments supplémentaires. Mais nous collaborons aussi avec Intigriti [la plate-forme de piratage éthique du groupe Cronos, NDLR] pour faire ce que nous voulons : pirater en continu notre environnement.
Détectez-vous ainsi de nombreux cyber-risques ?
BJORN VAN REET: Oui, surtout sur des systèmes que nous n’attendions pas. Nous rémunérons les pirates à la faille et faisons également une différence pour savoir si ces pirates peuvent accéder aux données de nos clients, aux serveurs Web ou s’ils peuvent modifier un quelconque contenu. Nous pouvons désormais compter sur une personne d’Intigriti 2 jours par semaine qui se concentre sur les plaintes. Clairement, la sécurité est l’un des défis majeurs dans ce monde en rapide évolution.
Kinepolis est contente de recruter des pirates ?
BJORN VAN REET: Evidemment, nous sommes ainsi plus alertes et leur présence suscite des discussions animées dont nous tirons les leçons. Entre-temps, nous avons aussi organisé un hackathon avec 45 étudiants en cybersécurité de Howest, ce qui a permis d’imaginer de très beaux cas pratiques. La sécurité à 100 % n’existe évidemment pas, mais de telles initiatives nous permettent de continuer à nous améliorer.
La technologie permet à l’individu de vivre une partie de l’expérience cinématographique à la maison. Comment la technologie peut-elle le faire revenir dans les salles ?
BJORN VAN REET: L’expérience. Lorsqu’une belle soirée s’annonce, notre principal concurrent est la terrasse par beau temps. Par ailleurs, nous misons sur la qualité : sièges confortables, de la place pour les jambes, de grands écrans et notre système surround. Nous ne craignons pas la concurrence du home cinema sachant que certaines de nos salles comptent jusqu’à 60 diffuseurs. L’an dernier, nous avons inauguré notre premier écran IMAX. L’image combinée au son immersif : c’est ainsi qu’il faut regarder Star Wars pour être vraiment dans le film.
A partir de décembre, nous ouvrirons aussi nos premières salles 4D avec des sièges qui bougent tandis que l’eau, les odeurs et un éclairage spécifique doivent améliorer l’expérience sur le moment même. Enfin, nous nous focalisons sur les événements B2B, soit quelque 1.200 soirées par an rien qu’en Belgique.
Souvent, c’est le détail qui fait la différence, qui rend l’expérience plus forte encore. Pour l’IMAX, nous travaillons avec 2 projecteurs laser, ce qui donne une qualité nettement meilleure. Et le spectateur s’habitue très vite à cette qualité car si on la compare à celle d’un film de 2002, le client ne l’accepterait plus.
Le projecteur cinématographique numérique impacte-t-il le fonctionnement d’un cinéma ?
BJORN VAN REET: Aujourd’hui, il est plus facile de projeter un film dans plusieurs salles. Mais il est aussi possible de changer de salle en dernière minute si le nombre de spectateurs est plus élevé que prévu. Nous essayons ainsi d’optimiser la gestion de nos infrastructures.
Quelles technologies considérez-vous comme vraiment porteuses ?
BJORN VAN REET: Je suis extrêmement passionné par la robotique et l’IA. Reste à en connaître la rentabilité finale. Idem pour les big data. C’est un beau concept, mais que recouvre- t-il vraiment ? Dans ce cas, je préfère avoir peu de données, mais qui sont bien intégrées dans les processus métier qu’une montagne de données que personne ne maîtrise.
Analysez-vous vos données clients ?
BJORN VAN REET: Evidemment : lorsque nous savons quels films vous regardez, nous pouvons mieux vous conseiller. Il en va de même pour les échoppes où nous vendons du popcorn. La force de Kinepolis est notre capacité en tant que Belges à maîtriser parfaitement ce processus. Dans nos magasins, le décisionnel, les données et l’analytique ont pleinement leur place. Nous faisons des prévisions intelligentes qui servent de base à l’approvisionnement de nos magasins.
D’autres innovations encore pour étendre Kinepolis ?
BJORN VAN REET: Innover n’est pas compliqué, mais générer de la valeur métier à partir de l’innovation est plus difficile. Ce constat m’est apparu clairement durant ma première année ici : tout remettre en question et chercher à créer de la valeur. Nous n’allons pas lancer un projet pour jouer avec de la technologie. Il viendra peut-être un temps où nous utiliserons des robots. Mais a-t-on vraiment besoin aujourd’hui d’un robot qui vous guide vers votre place ? Non, les gens vont s’asseoir eux-mêmes. De même, remplacer les actuels kiosques de vente par des robots mobiles n’a pour l’instant encore que peu de valeur.
Pas question donc pour l’instant de complexe cinématographique géré uniquement par des robots.
BJORN VAN REET: Nous devons utiliser la technologie ce pour quoi elle est destinée. Un robot doit servir à optimiser et à automatiser nos processus, pas à remplacer la convivialité de l’homme.
Le jury vous a élu CIO of the Year notamment pour votre expérience en transformation numérique. Quels sont les projets futurs de Kinepolis dans ce domaine ?
BJORN VAN REET: J’espère surtout qu’un client associera notre logo à une expérience numérique. Notre approche doit être de type digital embraced. Il ne faut pas s’imposer dans le monde du client, mais l’accompagner dans son expérience. Nous partageons ce que Peter appelle le ‘today, tomorrow and the day after tomorrow’.
Aujourd’hui, il s’agit de fonctions numériques, comme le Wi-Fi dans nos salles. Celui-ci s’inscrit aujourd’hui dans une meilleure expérience du cinéma et dans l’interaction avec votre compte Kinepolis. Mais nous nous préparons aussi au RGPD. Nous utilisons les données de manière conservatrice, à savoir uniquement à nos propres fins, sans les vendre. Par ailleurs, nous misons sur la simplification et la standardisation de notre IT et regardons quels types de partenaires pourraient nous aider.
Et demain, nous voulons investir pour rendre nos plates-formes Web plus performantes, mais aussi impacter sur la vente de tickets en proposant les bons films au bon moment. Nous voulons être leaders en e-commerce et évidemment exploiter les big data et l’analytique.
Comment y parvenez-vous, sachant que tout le monde n’achète pas en ligne et que vous ne savez pas si un client en ligne achète aussi du popcorn.
BJORN VAN REET: Aujourd’hui, nous vendons 60 % dans le complexe et 40 % en ligne. Au niveau des acheteurs en ligne, nous connaissons leurs données et dans certains complexes, nous pouvons associer leur profil à ce qu’ils achètent dans nos boutiques. Cela veut dire qu’à terme, nous pourrons suggérer au client lors de l’achat de son ticket de réserver aussi directement son snack favori. A Anvers, il est aujourd’hui déjà possible de réserver un cosy seat deluxe [des sièges luxueux avec une table séparée, NDLR] en commandant à l’avance sa boisson et ses popcorns qui peuvent être retirés à un comptoir VIP dédié.
Quelles évolutions envisagez-vous encore ? Suggérer un film et des popcorns au départ d’une appli ?
BJORN VAN REET: Il serait possible, mais j’anticipe ici, de réserver par exemple une table dans un restaurant lors de l’achat d’un billet. C’est ainsi que nous constatons aujourd’hui qu’il n’y a personne à table à 18 h, puis que le restaurant est plein à 18 h 30, sachant que ces personnes veulent avoir terminé de manger pour voir leur film. On se retrouve donc face à un sérieux pic qu’un processus numérique pourrait sans doute permettre de beaucoup mieux gérer.
Aujourd’hui, nous le faisons déjà dans certains complexes puisque les films commencent à des heures différentes, ce qui répartit le pic sur une période plus longue, tandis que nos boutiques peuvent servir un plus grand nombre de clients dans un délai plus grand.
Kinepolis est un tout autre métier que celui que vous avez connu chez vos employeurs précédents. Quelle expérience du passé pouvez-vous mettre à profit maintenant ?
BJORN VAN REET: Travailler à l’international. Chez Inventive Designers et Cronos, j’ai surtout travaillé en Belgique, mais chez Adecco, ma fonction était très internationale, ce qui m’aide aujourd’hui. Il y a toujours un aspect culturel qui se révèle extrêmement important. Même dans un secteur hautement technologique où l’on migre vers le cloud en un tournemain, ce sont les gens qui font la différence. Occuper à l’époque une fonction internationale m’a permis d’être où j’en suis maintenant.
Vous atteignez le niveau C à vos 40 ans dans une carrière IT. Y a-t-il un autre poste auquel vous voudriez accéder ?
BJORN VAN REET: Je suis mon coeur et j’aime mon travail. Et je suis très fier de pouvoir vendre des popcorns et des tickets de cinéma pour Kinepolis. Mon parcours reflète ma personnalité, mais l’étape suivante sera par priorité de continuer à faire de belles choses pour Kinepolis. Il s’agit d’un secteur très agréable et je m’y amuse chaque jour. Dès lors, s’il fallait le refaire, ce serait sans hésiter.
Et diriger votre propre société ?
BJORN VAN REET: Il ne faut jamais dire jamais. Mais pour l’instant, je continue à apprendre énormément auprès de notre CEO Eddy Duquenne. Je ne pense pas être prêt. L’innovation et le numérique sont ma passion et je pense que dans les prochaines années, je pourrai encore faire pas mal de choses pour augmenter encore l’expérience numérique des clients.
Bjorn Van Reet est donc un homme heureux ?
BJORN VAN REET: Je suis surtout très reconnaissant d’avoir pu réaliser ce que j’ai fait. Mais aussi de ce que j’ai reçu de mes parents. La chance de pouvoir faire des études, ce que tout le monde n’a pas. Sans oublier les personnes avec lesquelles je collabore, ma femme qui est en permanence à mes côtés, ma famille. Je les remercie de ce que je suis aujourd’hui.
Bjorn Van Reet
– CIO Kinepolis
– 40 ans
– Smartphone : iPhone 7
– Film favori : Bad Boys
– A travaillé précédemment pour :
– Inventive Designers (2000-2001)
– Cronos/Uptime Group (2001-2003)
– Adecco/Modis (2002-2016)
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