INTERVIEW Rodrigo Sepúlveda Schulz: ‘Une bonne idée n’a pas de nationalité’
“Pensez globalement”. Tel est message principal que l’angel investor Rodrigo Sepúlveda Schulz donne aux startups belges. “Et ne soyez pas obnubilé par le fait de récolter des fonds, sous peine de vendre une partie de votre âme.”
“Pensez globalement”. Tel est message principal que l’angel investor Rodrigo Sepúlveda Schulz donne aux startups belges. “Et ne soyez pas obnubilé par le fait de récolter des fonds, sous peine de vendre une partie de votre âme.”
“Récolter de l’argent, c’est le Saint-Graal pour les jeunes entrepreneurs. Il s’agit en soi d’un modèle commercial. Et chaque fois qu’ils recueillent quelque chose, ils organisent des petites fêtes et envoient des communiqués de presse. En fait, c’est complètement stupide. Si vous empruntez 200.000 EUR pour acheter une maison, vous n’allez quand même pas faire la fête parce que vous vous êtes engagé à rembourser votre dette en 20 ans? Les entrepreneurs perdent en moyenne 30% de leur entreprise. Ils se coupent un testicule et veulent néanmoins fêter cela comme s’ils avaient gagné le gros lot. Incompréhensible. Car s’ils étaient de bons entrepreneurs, ils n’auraient pas besoin d’argent. Ils pourraient en effet financer leur entreprise avec leur cash flow.”
Rodrigo Sepúlveda Schulz est dur avec les jeunes entrepreneurs. Il en a aussi le droit en sa qualité d’angel investor et de mentor (notamment du Founder Institute). En tant qu’entrepreneur en série ayant connu la réussite, ce Chilien résidant en France sait aussi parfaitement de quoi il s’agit. Et quels sont les pièges à éviter. Est-ce la raison pour laquelle il commence par une mise en garde, lorsque nous parlons avec lui d’un événement de l’IBBT? “Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas une si mauvaise idée que de recueillir des fonds, car parfois, l’on ne peut pas faire autrement.
Mais il existe de meilleures façons de financer une jeune entreprise. Vous pouvez aller pointer pendant quelques mois par exemple. Après tout, nous sommes en Europe ici. Ou aller travailler quelque temps. Demander de l’argent à la famille et aux amis. Même si vous courez le risque que vos proches vous haïssent, si vous gaspillez leur argent (rire). Si vous êtes un tout bon vendeur, vous pouvez même miser sur l’avenir. Vous mettez quelque chose noir sur blanc et promettez à un client-test que vous allez le lui fabriquer s’il vous avance un peu d’argent.”
“Je le répète, les entrepreneurs à succès créent leur société avec leurs moyens propres. Avec du cash flow. Prenez l’exemple de Wildfire Interactive, un éditeur de logiciels de la Silicon Valley qui conçoit des outils pour cogérer les actions des utilisateurs sur les médias sociaux. Cette startup a pu dès sa phase de démarrage compter sur un cash flow positif et n’a donc pas eu besoin d’un important capital de départ. Les clients ont payé le software de Wildfire (rire). Après quelque temps, l’entreprise a pu recueillir sans problème 4 millions $ à des conditions très intéressantes. Aujourd’hui, elle occupe plus de 300 personnes. Trop souvent, vous rencontrez des entrepreneurs qui sont déjà passé à la caisse, mais qui recherchent encore du capital frais, ‘pour pouvoir grandir’. Si votre entreprise ne peut croître que grâce à l’arrivée de nouveaux investisseurs, il y a un problème. Car il faut toujours garder en mémoire que vous vendez une partie de votre âme. Une partie de votre corps. Si vous êtes une blonde sexy avec de gros seins et de longs cheveux, vous avez de la chance, car un investisseur ne réclamera alors que 15 à 20% de votre entreprise. Dave Morin, l’homme qui a créé Path, peut se faire passer pour ce genre de blonde. Dave était Head of Platform chez Facebook, jusqu’à ce qu’il quitte cette entreprise pour créer son propre réseau social. Six mois après, Google voulait déjà racheter Path pour 100 millions $. N’oubliez pas: le nombre de blondes sexy n’est pas si grand. En moyenne, les investisseurs exigent 30% de votre entreprise. Les salauds exigent même 40%, alors que les ‘angels’ expérimentés, conscients qu’il est préférable de laisser pas mal d”equity’ aux initiateurs, se contentent, s’ils sont bien lunés, d’aller jusqu’à 20%.”
Data News: Pour une jeune entreprise belge, il n’est pas évident d’enregistrer dès le départ un solide chiffre d’affaires et de disposer d’un cash flow positif, bien au contraire.
RODRIGO SEPULVEDA SCHULZ: Ce n’est pas un problème belge. C’est partout ainsi. Et ce n’est pas dû au fait que le marché belge soit trop exigu. C’est l’attitude même des entrepreneurs qui pose problème. Elle caractérise 99% des entrepreneurs européens. A l’école, on leur apprend à parler la langue locale et à réfléchir en termes de marché local. Durant leurs présentations, ils veulent toujours devenir le n° 1 à Bruxelles, alors que les casse-cou misent sur la Belgique.
A partir de Bruxelles, vous pouvez quand même aussi viser la première place au niveau mondial, n’est-ce pas? Ou la première place là où vous pensez que se trouve votre marché? Je viens d’investir dans SocialWire, une jeune entreprise d’e-commerce créée par deux jeunes gens à Istanbul. Lorsque je les ai rencontrés il y a un an et demi en Turquie, ils m’ont aussitôt dit que leur marché se trouvait aux Etats-Unis. Je leur ai alors conseillé de réserver un ticket d’avion pour San Francisco pour se rendre sur place. SocialWire a trouvé pratiquement tout de suite des investisseurs.
Data News: Ce qui nous amène aussitôt à un deuxième problème: il n’y a quasiment pas de capital d’amorçage (‘seed capital’) dans notre pays. Il y a trop peu d’angel investors actifs chez nous.
RODRIGO SEPULVEDA SCHULZ: Il faut voir plus loin que la Belgique. Le marché est global, y compris pour les angel investors. Pour Dave McClure du ‘start-up accelerator’ 500 startups, peu importe où il investit. Il le fait partout. C’est pareil pour les jeunes de Kima Ventures à Paris. Opérer au départ de Bruxelles est même un atout, car l’on n’est qu’à une heure et demie de Paris et qu’à deux heures de Londres, là où l’on peut trouver pas mal de capital d’amorçage. Si vous avez une bonne idée et que vous pouvez démontrer que vous êtes à même de l’exécuter, vous trouverez des investisseurs, c’est aussi simple que cela.
Data News: Pourquoi avons-nous si peu de grandes entreprises internet en Europe? Nos idées ne sont-elles pas assez valables? Et lorsque des acteurs s’y distinguent vraiment, comme Rovio et Spotify, l’on peut être sûr qu’ils vont finir par être engloutis par leurs homologues américains.
RODRIGO SEPULVEDA SCHULZ: Il y a de grandes entreprises internet européennes. Skype en est l’exemple le plus connu, mais il y en a d’autres. Pensez aux grandes entreprises de jeux de hasard et aux institutions financières londoniennes. Spotify est actuellement encore un cas douteux. J’aime cette application et je paie pour en disposer, mais en 2011, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 10 millions, tout en essuyant une perte de 16 millions. Je sais que Spotify a recueilli 100 millions $ et est stimulée par des stars mondiales, mais encore une fois: récolter de l’argent n’est pas un modèle commercial en soi. Rovio vise à présent le succès, mais il ne fait pas oublier qu’Angry Birds était déjà la dixième tentative de cette entreprise. Par ailleurs, la popularité d’Angry Birds n’a rien à voir avec la technologie, mais bien avec les petits personnages. L’un des fondateurs me disait récemment encore qu’il voulait devenir plus grand que Mario. Et cela peut réussir vous savez, car il est conscient que les oiseaux sont son maître-atout.
Donc oui, nous avons des entreprises intéressantes en Europe. Mais c’est vrai qu’il y en a moins qu’aux Etats-Unis. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas de portes de sortie sur le Vieux Continent. Il n’y a pas de Nasdaq européen, et les options pour entrer en Bourse sont trop limitées. Pour une introduction en Bourse, c’est encore et toujours aux Etats-Unis qu’il faut être. Grâce à Wall Street. C’est là que se trouvent les banques, les analystes, les investisseurs et les personnes formées pour ce faire.
En Europe, nous n’avons pas non plus, ou si peu d”acheteurs’. De grandes sociétés qui engloutissent les plus petites, c’est un phénomène permanent Outre-Atlantique. En France, je ne connais que trois entreprises qui pourraient être prises en considération comme ‘buyer’. France Telecom, mais cette société préfère copier; Dassault Systèmes, qui vient de racheter Netvibes pour 20 millions EUR (ce qui est trop peu selon les normes américaines); et Lagardère. Quels sont les incitants pour les investisseurs dans un tel climat?
Data News: Vous ne brossez pas une image favorable de l’Europe.
RODRIGO SEPULVEDA SCHULZ: Peut-être pas. Ces derniers temps, j’investis surtout aux Etats-Unis et en Turquie (rire). Ce dernier pays est au niveau mondial celui qui croît le plus vite sur le plan du e-commerce. Ceci dit, peu m’importe vraiment si une startup vient de Gand ou de Tombouctou. Ce qui m’intéresse d’abord, c’est son potentiel. Et une bonne idée n’a pas de nationalité.
Sur 100 jeunes entrepreneurs qui cherchent de l’argent, l’on en prend 10 en considération et l’on n’investit en fin de compte que dans un seul. Il n’en va pas autrement aux Etats-Unis qu’en Belgique. Aujourd’hui, c’est même 1 sur 200. 199 restent donc sur le carreau.
Data News: Avez-vous des conseils pour les jeunes entrepreneurs? Que regardez-vous exactement avant de sortir votre carnet de chèques?
RODRIGO SEPULVEDA SCHULZ: Le premier point de ma check-list est la taille du marché. Je mise généralement sur un minimum d’un milliard de clients potentiels. Voyons les choses en face: la chance que vous touchiez 10% du marché, reste très mince. Un deuxième point important, c’est de savoir si un problème sera résolu. ‘Nice to have’, c’est quand vous êtes sur la plage et que les filles sont jolies: cela vous donne envie d’une glace. Mais dans un Bruxelles hivernal, vous avez plutôt envie d’une tasse de café bien chaud. ‘Nice to have’ n’est pas suffisamment bon.
En outre, le produit doit me tomber dans l’oeil, et le courant doit passer avec les initiateurs. Ces jeunes doivent être capables et témoigner d’un esprit d’entreprise. Le premier contact est souvent décisif.
Les Zuckerberg de ce bas-monde sont très rares, croyez-moi. Mark est un véritable passionné qui a lui-même encodé toute sa plate-forme. Combien d’entrepreneurs belges en sont-ils capables, pensez-vous? Souvent les startups doivent encore chercher un partenaire technique. Zuckerberg a eu la chance que quelqu’un ayant de l’argent a cru en son idée. Et qu’il avait des connexions qui lui ont dit: vous allez à présent passer de la neige au soleil. On lui a murmuré alors à l’oreille d’aller parler à Sharon Sandberg, qui travaillait alors pour Google. C’est elle qui a fait le succès de Facebook.
Data News: Ce qui nous amène à un autre problème: l’écosystème. Cela ne représente pas grand-chose en Europe.
RODRIGO SEPULVEDA SCHULZ: Jusqu’il y a peu, nous n’avions en effet guère d’entrepreneurs expérimentés qui avaient déjà tout fait. Avoir été là, avoir fait çà. Il faut pourtant trouver ce genre de personnes avec qui collaborer. En France, tout bon ingénieur veut devenir people manager au bout de 2 ans. Pardon! L’on gagne quand même plus d’argent comme bon ingénieur que comme mauvais CEO, non?
Les Européens sont aussi très naïfs. Ils ne comprennent rien aux options d’action. Peu importe qu’ils en reçoivent ou non. Tandis qu’aux Etats-Unis, l’on n’est tout simplement pas engagé sans ‘stock options’.
Les clients représentent un dernier problème. Une entreprise B2C se tourne vers le monde, mais il en va autrement d’un acteur B2B. En France – je connais bien ce marché (rire) -, les grandes sociétés n’achètent pour ainsi dire rien aux petites. Elles exigent trop de garanties. Des avocats interviennent. C’est un problème.
Pourquoi ne pourrions-nous pas reprendre en Europe le Small Business Act américain? Qui permet un rachat plus avantageux des startups? La discrimination positive est interdite dans l’UE, mais si nous voulons que cela change réellement, nous devons créer les conditions adéquates. J’en parle avec des politiciens, récemment encore avec François Hollande, le prochain président français. Je suis curieux de savoir s’il m’a entendu (rire).
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