Interview: Koen Van Gerven et les défis numériques de bpost
Koen Van Gerven était naguère encore CIO de bpost. En 2012, il accordait à Data News une double interview en compagnie de son collègue néerlandais de PostNL. Depuis cette semaine, Van Gerven est CEO de l’entreprise postale, l’occasion rêvée de vous proposer à nouveau cette interview.
Koen Van Gerven était naguère encore CIO de bpost. En 2012, il accordait à Data News une double interview en compagnie de son collègue néerlandais de PostNL. Depuis cette semaine, Van Gerven est CEO de l’entreprise postale, l’occasion rêvée de vous proposer à nouveau cette interview.
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Le grand défi auquel les entreprises de Poste traditionnelles doivent chercher une réponse aujourd’hui ne réside pas tant dans la libéralisation du marché que dans la numérisation de la communication. Dans ce cadre, la Belgique continue de s’en tenir au facteur à temps plein, tandis que les Pays-Bas optent pour un concept radicalement nouveau.
Data News a pu rencontrer, à l’initiative de la société de conseil Metri, les CIO de bpost et PostNL, respectivement Koen Van Gerven et Marcel Krom. L’occasion idéale de rechercher les similitudes et les différences entre les sociétés de Poste belge et hollandaise. Les 2 hommes font face à un défi énorme: ils sont aux commandes des TIC dans un secteur mis sens dessus dessous par la révolution numérique. “La pression des coûts sur les TIC est énorme, indique d’emblée Marcel Krom. Tout doit être le moins cher possible, mais en même sans concessions sur le plan de la qualité, de la continuité et de la sécurité. De plus, les TIC doivent fournir chaque année une valeur ajoutée démontrée d’au moins 5 ou 6%.” Cet exercice se passe sur un marché où les volumes postaux reculent de 8 à 9% par an. “En Belgique, cette baisse est un peu plus lente, précise Koen Van Gerven. Mais la pression des coûts sur les TIC est comparable.”
Réorganisation radicaleL’érosion du marché postal traditionnel a contraint PostNL à prendre des mesures inédites. Depuis 2 ans, une réorganisation est en cours, l’entreprise remplaçant tous les facteurs à temps plein par des temps partiels. “Entre-temps, nous avons déjà aidé 6.000 facteurs à trouver un nouvel emploi – soit au sein de l’entreprise, soit ailleurs. Nous cherchons toujours une solution pour 2.000 collaborateurs. Nous traversons une phase de transformation particulièrement douloureuse.” Le réaménagement du fichier du personnel est la conséquence d’une nouvelle manière de travailler: PostNL opte pour ce qu’elle décrit comme des paquets de travail à temps partiel. Cela permet à l’entreprise de faire face de façon flexible au volume de travail. “Nous nous en tenons au facteur à temps plein, précise Koen Van Gerven. Mais chez nous aussi, la description de fonction change également. Un facteur aura probablement à l’avenir un paquet de tâches plus diversifié.”
Autre différence importante entre la Belgique et les Pays-Bas: PostNL ne garde plus ses propres bureaux de poste, bien bpost. Koen Van Gerven: “Nous conservons dans notre pays 660 bureaux de poste et 680 points poste. Cela fait partie d’un accord gouvernemental. Les bureaux de poste sont non seulement axés sur des activités postales, mais servent également à la Banque de la Poste, notamment.” Aux Pays-Bas, PostNL n’a plus d’activités bancaires depuis les années ’90, déjà. Le client peut aujourd’hui se rendre dans 2.500 outlets, notamment dans les implantations de chaînes de magasins. PostNL a également revu l’ensemble de l’organisation de l’approvisionnement postal. Depuis les 6 centres de tri, les envois partent vers 250 sites, où a lieu le dernier tri, celui opéré au niveau du facteur. Dans un an, il ne restera que 9 sites. Ensuite, les sacs postaux remplis et prêts à l’emploi partiront pour un dépôt, où le facteur viendra chercher son sac. Marcel Krom: “C’est un modèle très différent, qui implique aussi un grand changement au niveau de l’information.”
Investir dans un marché en reculLorsque nous demandons aux CIO de bpost et PostNL de brosser rapidement un tableau de la situation, il apparaît d’emblée que le secteur et les défis sont plus ou moins les mêmes, mais que le cadre est radicalement différent. Koen Van Gerven: “Les entreprises de Poste viennent traditionnellement d’un modèle aux coûts fixes élevés. Nous vivons à présent la transformation vers un modèle opérationnel qui continue à garantir les performances demandées, tout en offrant beaucoup plus de flexibilité. C’est un défi énorme.” Il s’agit d’une procédure de changement qui a aussi un gros impact sur les activités du département des TIC. “Ainsi, nous investissons désormais nettement plus qu’avant, explique Marcel Krom. Le budget d’investissement pour les TIC avoisine à présent de 24 à 25 millions EUR, alors qu’il s’élevait à 16 millions avant le début de la transformation.” On peut en déduire que la direction de PostNL – en dépit de la pression des coûts – comprend que les investissements TIC sont nécessaires pour réaliser des économies nettement plus grandes à terme.
Koen Van Gerven: “Personne ne peut nier que les TIC ont représenté énormément pour la poste ces 15 dernières années. Nous avons notamment amélioré fortement la qualité, la fiabilité et l’efficacité grâce aux TIC – même si ces éléments demeurent d’importantes priorités aujourd’hui encore.” Il n’empêche que le débat sur les TIC reste souvent difficile. Il n’est pas évident d’augmenter les investissements TIC dans un marché en recul. Parallèlement, les sociétés de Poste doivent comprendre que ces investissements sont absolument indispensables. De nouvelles évolutions en matière de TIC – à commencer par le cloud et les services à la demande – peuvent aider les entreprises de poste à proposer de nombreux services de manière nouvelle, plus rapide et meilleur marché. Koen Van Gerven: “Il n’est heureusement plus si difficile de mettre les TIC à l’agenda de la direction. Il est beaucoup plus difficile, en revanche, de faire ce qu’il convient et à la vitesse adéquate.” Et nous y voilà: la notion de business & ict alignment reste un point névralgique. Les deux CIO s’accordent toutefois sur le fait que tant le business que les TIC ont besoin de cette zone de tension.
Buy your own deviceOutre l’alignement et l’analyse, l’externalisation figure également en haut de l’agenda des CIO. Marcel Krom: “Nous ne réalisons plus de développement propre depuis longtemps. Quand nous recherchons une nouvelle application, nous partons d’une liste de business requirements. Sur la base de ces exigences opérationnelles, nous recherchons ensuite sur le marché le programme qui convient le mieux.” C’est ainsi que PostNL a choisi Force.com comme solution pour les nouveaux facteurs à temps partiel. Cette application leur affiche, par jour, des informations sur leurs tâches. Koen Van Gerven: “Nous sentons de la tension sur le marché du travail pour les informaticiens. Nous voudrions en trouver plus que ceux disponibles actuellement sur le marché.” Dans le même temps, bpost recourt au nearshoring en Roumanie via IBM. A long terme, la part de cette délocalisation de proximité – 10% aujourd’hui – pourrait grimper à environ 25%. Koen Van Gerven: “Nous ne nous limitons plus au simple développement d’applications, mais cela touche aussi la gestion d’applications.”
Lorsque nous avançons le BYOD en tant qu’évolution actuelle, il apparaît que PostNL affiche une vision très particulière en la matière. Ainsi, le message n’est pas seulement bring, mais aussi buy your own device, de sorte que cette tendance s’apparente également à une mesure d’économie. Marcel Krom: “Tous les collaborateurs devront remettre leur ordinateur portable. Nous avons instauré une règle très simple: au bureau, vous pouvez disposer d’un PC, mais si vous voulez vous connecter à la maison, vous devez le faire avec votre propre appareil.” Il va de soi qu’il a fallu en l’occurrence énormément de communication pour expliquer clairement la nécessité de cette décision. “Les gens sont attachés à leur appareil”, indique Marcel Krom. “Nous avons aussi prévu l’accompagnement nécessaire dans ce cadre.” Parallèlement, PostNL mène une politique ouverte en la matière. Celui qui le souhaite peut également utiliser son propre appareil au bureau. “Nous avons un projet pilote en cours relatif au BYOD pour des tablettes et téléphones”, précise également Koen Van Gerven. “C’est une évolution inéluctable – et qui élimine en outre des coûts inutiles.” Marcel Krom acquiesce: “A terme, nous voulons instaurer un seul poste de coûts. Le collaborateur recevra ensuite une indemnité globale pour le trafic GSM, le stationnement, la voiture, etc.”
Le destinataire prime aussi
Il ressort des propos des CIO belge et néerlandais qu’une transformation radicale est à l’oeuvre au sein des 2 entreprises de Poste. Tandis que bpost reste attachée en grande partie au rôle à temps plein du facteur, PostNL choisit plutôt la fuite en avant. L’entreprise espère que les mesures rigoureuses qu’elle applique actuellement lui donneront plus de marge de manoeuvre à l’avenir. L’histoire des sociétés de Poste belge et néerlandaise est toutefois loin d’être unique en Europe. Tout le secteur se prépare à l’impact de la libéralisation du marché européen, mais il a en outre été surpris par la progression rapide de la numérisation. Ici aussi, les sociétés qui se profilent de manière novatrice sur le marché ont le plus de chances de survivre. Et, naturellement, les TIC peuvent jouer un rôle clé dans ce cadre.
Koen Van Gerven: “Nous avons toujours travaillé en fonction du service à l’expéditeur. En effet, c’est lui qui paie pour le service.” Une partie de la réponse à la crise dans le secteur postal se situe peut-être au niveau du destinataire. Marcel Krom: “Nous y travaillons déjà. Le destinataire peut indiquer où et quand il veut recevoir un colis postal.” C’est l’information qui permet d’accroître fortement le drop rate – délivrer un colis avec succès -, qui permet à une entreprise de poste de se positionner comme le meilleur partenaire vis-à-vis des sociétés d’e-commerce envoyant leurs colis par la poste. Koen Van Gerven: “A terme, nous irons probablement encore plus loin, en prenant en charge toute la réalisation pour le compte de magasins sur le web. Nous allons alors gérer aussi le stock de ces boutiques dans des entrepôts centraux, pour que – lorsqu’une commande est passée – les bons articles puissent être directement envoyés.”
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