“Il y a toujours trop peu de femmes dans l’IT”
“Lorsque je prends un avion pour le CeBIT, je suis presque la seule femme à bord. J’ai du mal à le comprendre. C’est la même chose pour tout congrès informatique et je ne vois pas ou prou d’amélioration.” Lut Wilms, directrice générale de Novell Belgique, trouve le constat amer car une femme peut, selon elle, davantage mettre l’accent sur l’aspect business dont l’IT a besoin actuellement.
Le 1er juillet dernier, Lut Wilms a quitté son poste de ‘channel manager’ Benelux et Scandinavie chez CA pour devenir ‘country manager’ chez Novell. Elle ne regrette pas d’avoir franchi ce pas car elle a pu relever de nouveaux défis, ce qu’elle apprécie. Pourtant, rien ne la prédestinait au secteur IT avec une formation en sciences commerciales et consulaires. Elle a démarré sa carrière dans le marketing et la vente chez Eres, un importateur de copieurs et fax Toshiba.PC portables”Ce n’était pas un boulot facile, explique-t-elle. Essayez de vendre un fax à 5.000 EUR alors que personne n’en possède encore un! Mais c’était ma première expérience dans la vente directe et indirecte, et lorsque Eres commença également à revendre des ‘notebooks’ de Toshiba , mon aventure dans l’informatique a réellement débuté. Auparavant, je n’avais aucun intérêt pour l’informatique, mais j’ai été véritablement fascinée par tout ce que l’on pouvait faire avec ces portables – réaliser des tableurs, calculer, enregistrer des contacts -, des choses incroyables. Attention, je n’étais pas intéressée par les ‘bits & bytes’, et je ne le suis toujours pas, mais bien dans l’utilisation, les avantages que peuvent apporter la technologie. Mon angle d’attaque a toujours été économique. Si je n’avais pas abouti dans le secteur IT, je serais dans le monde des affaires – acheter, vendre, faire des bénéfices et fournir des services à des clients.”CaméléonSon intérêt pour les affaires explique pourquoi elle n’a pas compris le modèle internet du début des années 2000. “On ne peut quand même pas faire du business sans chiffre d’affaires et sans bénéfices”, constate-t-elle. A cette époque, elle traversait une époque difficile chez PSInet, car le secteur des télécoms était en pleine phase de consolidation. “Vous savez, parfois je me sens comme un caméléon: à chaque fois s’adapter à une nouvelle direction, à une nouvelle vision, à une nouvelle stratégie, à d’autres nationalités. Cela demande beaucoup d’efforts, il faut fréquemment changer de casquette – mais cela vous apprend à prendre de la distance, à relativiser, à vous faire d’abord votre propre opinion et ne pas vous laisser influencer par les autres, ne pas prendre de décisions trop vite. C’était une période difficile, mais j’ai énormément appris.”Pourquoi avoir quitté un boulot passionnant chez CA pour rejoindre Novell? “Pour Novell en tant qu’entreprise. J’avais déjà Novell dans mon radar dans les années ’90, lorsqu’Intel a collaboré avec eux – nous sponsorisions alors des groupes d’utilisateurs de Novell, qui était alors l’entreprise des réseaux. Après 28 ans, Novell est toujours bien présente et propose toujours des technologies innovantes. Elle est même dans le coup. Je concède que je n’aurais sans doute pas franchi ce pas il y a quelques années. Mais aujourd’hui, open source est in et Novell est in.”Esprit d’entrepriseLe fait que Novell est encore souvent considérée comme un challenger qui doit affronter le “reste du monde” ne la dérange pas. “La concurrence est saine, plaisante-t-elle. J’aime travailler pour une entreprise qui n’est pas dans une position de monopole, c’est trop de luxe. Je n’apprécie pas avoir trop de confort, il me faut un défi. Novell est en effet toujours un challenger, nous devons constamment prouver notre valeur et défendre notre technologie auprès des clients. Quand vous êtes en position de numéro un, c’est moins amusant.”A l’en croire, il y a une énorme différence de culture entre son employeur précédent et Novell. “Chez Novell, il y a encore davantage un esprit d’entreprise, ce qui me convient mieux. Ce n’est plus une ‘start-up’, mais dans de nombreux domaines, elle se comporte encore comme une ‘start-up’: une mentalité de croissance agressive, l’envie de faire ses preuves, de sensibiliser le marché. Mais parallèlement, c’est une culture qui laisse la liberté nécessaire aux collaborateurs et à leurs idées. Novell a besoin de gens qui osent prendre des initiatives, qui n’attendent pas que le patron vienne leur dire ce qu’ils doivent faire.”Souris et éléphantSa première année chez Novell a été une grosse adaptation, d’un monde “propriétaire” vers l”open source’, mais c’est précisément en raison de cette culture que l’adaptation s’est passée sans mal. Le principal défi pour elle aujourd’hui est de positionner Novell comme société innovante, comme une alternative avec son offre sur Linux pour les entreprises qui ne veulent plus baser toute leur stratégie sur Microsoft. “Notre atout est que l’accord de collaboration que nous avons signé avec Microsoft a considérablement augmenté notre visibilité. Attention, c’est toujours la fable de la souris et de l’éléphant, mais la souris marche désormais aux côtés de l’éléphant!”Elle a encore quelques difficultés avec le modèle économique de Linux, qui n’est pas associé à une vente de licences, mais à un modèle de services. “Novell ne propose pas elle-même des services, ce sont nos partenaires qui s’en chargent, explique-t-elle. Un projet en matière de sécurité ou des licences GroupWise, c’est un modèle économique qui génère des bénéfices. Le défi de Novell est donc de conserver l’équilibre entre les logiciels propriétaires et Linux.” Elle ne cache toutefois pas qu’elle compte faire de la filiale belge le numéro un en matière de sécurité et de gestion des accès.Si proche…Comment trouve-t-on en tant que ‘country manager’ un équilibre entre le travail et la vie privée? “En fait, je n’ai jamais eu de problème avec cela, surtout grâce à ma famille, qui participe activement à l’éducation des enfants. Sans eux, ce serait plus difficile de travailler à deux à temps plein. Vu que mon mari est également actif dans le secteur ICT et ne fait pas des horaires de 9 à 5, nous avons intérêt à bien planifier. Lorsque nous travaillions tous les deux dans les télécoms, lui chez AT&T et moi chez PSInet, nos bureaux étaient éloignés de 10 mètres, sur la Medialaan, et pourtant nous ne nous voyions pas la journée!”Est-ce réellement plus difficile pour une femme d’occuper une fonction au top? “Cela dépend de la culture de l’entreprise. J’ai toujours volontairement opté pour une société américaine car il y a moins de barrières. Ce qui est certain, c’est qu’il y a toujours trop peu de femmes dans l’informatique. Quand je prends l’avion pour le CeBIT, je suis pratiquement la seule femme à bord, ce que je ne comprends pas. Même constat lors d’un congrès informatique. Et il n’y a pas ou prou d’amélioration. J’aimerais recevoir des CV de femmes, mais je n’en reçois aucun, alors qu’une femme peut justement davantage mettre l’accent sur l’aspect business que recherchent actuellement les départements IT.”Monsieur WilmsElle n’a jamais eu de véritables mauvaises expériences en tant que cadre féminine. Souvent, les interlocuteurs s’attendent à un “monsieur” Wilms dont elle serait la secrétaire, mais cela ne la gène pas trop. Elle trouve cela plutôt amusant. Ce qui l’irrite par contre, c’est quand quelqu’un explique ne pas vouloir fixer un rendez-vous le mercredi après-midi “parce que vous devez sans doute vous occuper des enfants.” Elle concède que cela part peut-être d’un bon sentiment, “mais c’est quand même une forme de discrimination, on ne ferait jamais une telle remarque à un homme. On ne demande également jamais à un homme s’il peut tout combiner: une position importante, des voyages, une famille …”Quand on lui demande ce qui lui fait le plus plaisir durant ces temps libres, elle répond sans hésiter: un bon restaurant. “Et voyager, pas nécessairement très loin, mais bien vers d’autres cultures. Je ne suis pas casanière. Quand j’avais un an, je prenais déjà l’avion. Le voyage est dans mes gènes. J’aime par exemple découvrir des cuisines d’ailleurs.”International ou consultance?Aucun regret dans votre carrière? Elle prend le temps de la réflexion. “Et bien, j’ai eu l’opportunité chez Intel d’occuper une position internationale. J’aurais peut-être dû le faire pour une courte période, un an ou deux. Cela aura été une super-expérience, mais je n’ai pas voulu le faire en raison de ma famille. C’est également la raison pour laquelle je n’ai plus d’ambitions internationales, mais lorsque les enfants auront quitté le foyer et si cela va de pair avec les ambitions de mon mari, pourquoi pas?”Avez-vous encore des rêves sur le plan professionnel? “J’ai travaillé dans le ‘hardware’, le ‘software’ et les services, mais je rêve de m’occuper davantage de l’aspect ‘business’, pas tant la vente mais plutôt la consultance en acquisitions, gestion du changement, gestion des risques, et éventuellement une fonction dans le conseil d’administration d’une entreprise. Cela me plairait.”———————–Bio expressLutgart Wilms (42 ans), née à Uccle, habite à Sint-Pieters-Leeuw et est mariée à Bernard Devaux, Project Manager chez Verizon Business. Elle a deux enfants Christophe (10 ans) et Lisa (6 ans)EtudesLicence en sciences commerciales et consulaires, option Affaires Internationales, VLEKHO, 1986Carrière1986-1990: vente et puis marketing chez ERES, importateur de copieurs et fax Toshiba1990-1992: consultant chez Zenith Data Systems (plus tard Bull)1992-1999 : ‘distribution manager’, puis ‘channel manager’ chez Intel Benelux (aux Pays-Bas)1999-2004: ‘sales director’, puis ‘country manager’ PSINet BeLux2005-2006: ‘channel manager’ CA Belgique, puis pour le Benelux et la ScandinavieDepuis le 1er juillet 2006: ‘country manager’ Novell BeLuxHobbies/passionsCinéma, famille, vélo, fitness
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