Sophie Traen, Rising Tech Star of the Year 2025: ‘Je veux surtout écrire un logiciel qui peut faire la différence’
Data News a choisi cette année Sophie Traen, front end tribe lead chez AE, comme Rising Tech Star of the Year. Nous évoquons avec elle ses parcours de vie, le développement de logiciels et par où commencer pour changer le monde.
Quel a été votre chemin dans l’IT ?
Sophie Traen: J’ai en fait quitté directement les bancs de l’école pour commencer chez AE comme consultante technique. Nous allons chez un client pour lancer un projet ensemble. Nous construisons une solution technique avec les collaborateurs de ce client. C’est en réalité ce que je fais depuis 16 ans. Durant cette période, je me suis également spécialisée dans l’ingénierie front end. Mais il ne s’agit là que d’une partie de mon travail. Parallèlement, je gère en interne chez AE le front end tribe. Je combine donc ces deux fonctions.
Que faut-il entendre par front end tribe ?
Traen: Les tribes sont des départements, une sorte de communauté au sein d’AE, un groupe de personnes passionnées par les thèmes. Au sein de ces tribes, il y a du partage de connaissances, du coaching et du suivi pour stimuler la croissance. Je dirige la tribe des front enders et des UX-ers. Il s’agit de personnes chargées des développements Web, des développements mobiles, de l’expérience utilisateur, des interfaces graphiques, etc., soit les éléments qui interagissent avec les utilisateurs. Je veille à ce que les équipes soient heureuses et puissent évoluer, qu’elles partagent leurs connaissances et apprennent à se connaître.
Vous écrivez encore beaucoup de code vous-même. Est-ce que cela impacte votre mode de leadership ?
Traen: Nous avons choisi de répartir ces tribes en fonction de leur passion liée au contenu. En d’autres termes, les personnes se regroupent et créent une sorte d’identité sur la base d’un intérêt commun. Nous essayons également de prévoir un coach qui puisse les accompagner au niveau du contenu qu’ils ont choisi. Ce sont des personnes qui sont déjà un peu plus loin dans leur carrière. Ce faisant, nous pouvons les aider non seulement sur le contenu, mais aussi sur l’évolution des compétences relationnelles. Dès lors, il est absolument nécessaire que je sois également au courant de l’aspect contenu pour pouvoir gérer l’autre dimension.
Vous avez expliqué au jury que vous aimiez écrire du logiciel soigné. Qu’entendez-vous par là ?
Traen: À mes yeux, un logiciel soigné est un logiciel qui peut faire la différence. La différence dans la vie d’un utilisateur ou pour lui permettre de faire quelque chose qu’il ne pouvait pas faire auparavant. Et de préférence avec un objectif sociétal. Cela dit, je pense qu’il est possible de faire la différence même sans cet objectif. Par exemple en s’assurant que le logiciel pourra être utilisé par des personnes porteuses d’un handicap.
Le lien entre ‘construire des choses’ et l’IT s’est-il rapidement imposé à vous ? Vous auriez pu aussi être architecte notamment.
Traen: En fait, j’ai entamé mes études d’ingénieure civile avec l’idée d’étudier la construction. Ou le spatial ou l’aéronautique. J’ai passé l’examen d’entrée en ingénieur civil-architecture. Mais le prof et les cours revêtent une importance toute particulière. Et comme pour beaucoup de choses dans la vie, ce sont des détails qui m’ont fait changer de voie. Pour moi, il s’est révélé très tôt comme une évidence que je m’orienterais vers la branche STEM, mais sans savoir vraiment ce que je voulais faire. La partie IT n’est en fait apparue que par la suite dans mes études. Simplement parce que cette branche me parlait plus que d’autres.
Qu’est-ce qui vous a attiré plus particulièrement ?
Traen: Ce que j’apprécie dans le logiciel, c’est qu’en partant de rien, on construit une application qui permet aux personnes d’interagir. Ce n’est pas tangible, comme des briques ou du ciment, mais cela signifie aussi que tout est possible. Les processus de création sont identiques, mais on travaille avec du virtuel. Donc en fait, the sky is the limit.
Quels sont les éléments auxquels vous attachez de l’importance lorsque vous développez un logiciel qui aura del’impact ?
Traen: Je pense que le succès d’un produit dépend fortement de sa facilité d’utilisation. Nous y travaillons d’ailleurs avec toute une équipe. L’expert en UX procède à des recherches et je dois ensuite traduire ce travail en logiciel. Mais c’est aussi dans cette traduction que l’on intègre ces détails et ces lignes de conduite, tout en veillant à ce que l’expérience utilisateur telle qu’elle a été conçue se retrouve effectivement dans le développement. Cette expérience utilisateur et cette accessibilité sont deux éléments sur lesquels nous avons un réel impact en tant qu’architectes en logiciels. Certes, il y en a d’autres, comme garantir la sécurité et les performances.
La tribe d’AE spécialisée en expérience utilisateur a été lancée voici 5 ans. N’était-ce pas auparavant un facteur important ?
Traen: En fait, cela ne fait pas très longtemps que l’UI change vraiment la donne. Désormais, il y a tellement de concurrence et de produits que la meilleur expérience utilisateur apparaît souvent comme le critère de choix principal. Cela dit, nous avons encore des clients qui n’y attachent pas une telle importance. Ils connaissent leur produit à fond et oublient souvent de considérer leur produit sous l’angle de l’utilisateur.
Vous travaillez comme bénévole chez Hack the Future. De quoi s’agit-il et comment l’avez-vous rejoint ?
Traen: Hack the Future est une organisation qui recrute des volontaires qui offrent une formation au codage à des personnes précaires. Il s’agit notamment de réfugiés. J’étais depuis un certain temps déjà à la recherche de volontariat, d’une manière de contribuer à la collectivité et où je pourrais valoriser mes connaissances et mes compétences. Et l’opportunité s’est imposée à moi à la suite d’une conversation avec un collègue d’AE qui était né à l’étranger. Il avait suivi cette formation chez Hack the Future et avait pu commencer dans l’IT en Belgique. Et cette discussion a été pour moi la pièce du puzzle qui me manquait. L’organisation me permet de partager mon savoir et mon acquis avec des personnes ayant un fort potentiel, mais peu d’opportunités, et de servir de tremplin.
Le codage est-il toujours une compétence importante à l’ère de l’IA ?
Traen: Pouvoir coder à l’aide de l’IA reste une compétence importante, oui. Pour l’instant, l’IA est d’une grande aide, mais qu’il faut toujours garder à l’œil (rire). Un outil comme ChatGPT peut parfois déraper lorsqu’il est question de codage et je pense qu’il n’en va pas autrement dans d’autres domaines spécialisés.
Ce que l’IA peut faire de positif, c’est compléter, générer des petites parties de code. Mais un bon design exige une vue d’ensemble et de bonnes compétences en architecture. Quels sont les blocs dont nous disposons ? Comment vont-ils interagir entre eux ? Comment s’assurer que cette technologie est qualitative et que les gens peuvent l’exploiter ? Autant d’aspects que l’IA ne peut pas maîtriser et qui nécessitent encore toujours des personnes. Pour avoir la vue globale.
Comment considérez-vous ces efforts pour la diversité et l’égalité des chances dans le contexte politique et géopolitique actuel ? Une partie très virulente de la population semble précisément vouloir moins de diversité.
Traen: Cela me décourage parfois. Quand on voit les abus de pouvoir que permettent des technologies très populaires comme Facebook ou comment ces algorithmes sont construits pour polariser certaines opinions et les rendre extrêmes. Parce que cela génère plus de clics et donc plus d’argent. Dans le même temps, je pense vraiment que la plupart des gens, en fait la grande majorité, sont de bonne foi. Mais il reste beaucoup d’ignorance. Comment faire face correctement aux fausses nouvelles ? Savez-vous quel média social vous influence ? Toutes ces questions. Je pense que l’information et l’enseignement doivent permettre de sauver le monde. Il faut apprendre aux gens à vérifier leurs sources et pas simplement croire tout sur parole. Les personnes informées prennent simplement de meilleures décisions, font des choix plus réfléchis et sont plus résilientes face à de telles situations. Je pense donc qu’il est vital d’apprendre à nos enfants via l’école ou les parents comment gérer les médias sociaux et les fake news.
Avez-vous eu des modèles ?
Traen: Je n’ai jamais voulu devenir une personne en particulier ou atteindre une certaine position. Je pense beaucoup plus à court terme. J’ai une boussole. J’ai une direction que j’entends suivre et si certaines choses se dressent sur mon chemin, je peux éventuellement changer de cap. Mon chemin sera peut-être plus tortueux que celui d’une personne qui sait exactement où elle veut en arriver dans 5 ans. Cela dit, il y a de nombreuses personnes dont j’admire les compétences. Par exemple, la capacité à expliquer simplement des choses très complexes. Ou la capacité à pouvoir lire des gens, ce qui est très important pour être un bon coach. Mais il n’y a pas d’emblée une fonction ou une personne dont je rêve. Cela étant, il n’y a pas à mon avis tellement de femmes qui font ce que je fais.
‘Comme on ne peut pas changer le monde, commençons par les femmes dans l’IT’
Avec ce prix, vous deviendrez peut-être un modèle pour certaines personnes.
Traen: Oui, c’est possible. Si je peux aider d’autres personnes, ce serait génial. Je n’y ai en fait jamais vraiment réfléchi. Je pense avoir eu la chance d’arriver dans les environnements où je suis : que mon petit lit de naissance était en Europe avec des parents qui étaient les miens. Je n’ai par ailleurs jamais eu l’impression d’avoir eu des restrictions à mes rêves. C’est peut-être pour cette raison que je n’ai jamais vraiment eu besoin de modèles.
Vous n’avez jamais expérimenté le plafond de verre ?
Traen: Non, je n’ai jamais eu le sentiment que je serais confrontée à des barrières parce que j’étais une femme ou que je travaillais ou codais dans la technologie. Personne ne m’a jamais fait sentir que c’était bizarre ou pas normal. Et cela a été une chance pour moi, surtout qu’il y a malheureusement des femmes qui sont confrontées à ces situations. Mais si je peux jouer un rôle de modèle, ce serait fantastique.
Un tel rôle de modèle peut-il offrir une sorte de sécurité ?
Traen: Effectivement, je crois qu’il est toujours un peu terrifiant de prendre une voie que les autres n’empruntent pas. De faire autre chose que la plupart des gens. Nous sommes des animaux sociaux. Il faut beaucoup de courage pour s’écarter de la voie tracée parce qu’il n’y a pas d’exemple et pas de sécurité. Lorsque vous prenez un nouveau chemin, les modèles peuvent vous offrir une certaine assurance. Vous savez que c’est possible et vous voyez en partie comment faire. En un sens, ces modèles peuvent ouvrir des portes.
Aviez-vous personnellement peur de l’IT en tant que jeune fille ?
Traen: Non, absolument pas. Quelqu’un a oublié de me dire que ce n’était en fait pas normal. En fait, la maman m’a biberonné au métier d’ingénieur. Et que fait un ingénieur ? Il bâtit des ponts. Cela m’est toujours resté. Je n’ai jamais remarqué que ce ne serait pas logique, lorsque je grandirais, de regarder le monde plus largement et de constater que ce ne serait pas évident pour tout le monde.
Quel est votre sentiment face au déséquilibre entre hommes et femmes dans l’IT ?
Traen: Je pense que la diversité au sens large, et je ne parle pas ici uniquement des femmes dans l’IT, mais de toutes sortes d’influences, ne peut apporter que de la richesse. Différentes personnes pensent différemment et apportent quelque chose à l’équipe, également dans l’IT. Il ne s’agit donc pas uniquement des femmes, mais aussi des personnes ayant un bagage ou une culture différente. J’apprécierais vraiment qu’il y ait plus de diversité dans tous les secteurs. Mais comme on ne peut pas changer le monde, commençons par les femmes dans l’IT. Ce serait un merveilleux point de départ, pas vrai ?
Comment aborderiez-vous cette problématique ?
Traen: À mon avis, il est trop tard de commencer à promouvoir cette diversité lorsque les personnes sont adultes et déjà actives. Je jouais récemment avec ma nièce et je me suis rendu compte de la quantité d’informations que l’on donne aux jeunes sur ce qui est accessible et ne l’est pas. Ce qui est ok et pas ok. Les jupes pour les filles par exemple. Mais peut-être aussi que l’IT est fait pour les garçons. Nous devons prendre davantage conscience du message que l’on fait passer aux enfants sur ce qui est possible et certainement aussi sur ce qui n’est pas possible. C’est une manière puissante de créer des personnes qui osent suivre leur propre voie et qui osent faire la différence. Mais ce n’est pas une approche facile, qui nécessite d’ailleurs un changement de culture.
Dès lors, je considère qu’il faut surtout promouvoir des initiatives dès le plus jeune âge, comme We Go STEM, tout en conscientisant les parents et les enseignants. C’est eux qui assurent la formation des jeunes. Et c’est alors que se développent la confiance en soi et le courage de choisir sa propre destinée.
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