Mieke De Ketelaere (IDLab): ‘Réfléchir au futur de l’avenir, c’est ce qu’il y a de plus beau dans mon travail’
Mieke De Ketelaere, directrice du programme AI à l’institut de recherche imec (IDLab), avait en 2018 été nominée dans le cadre de l’événement ICT Woman of the Year. ‘J’ai entre-temps pris conscience que notre puissant focus sur l’intelligence humaine en tant que fil rouge pour l’AI était peut-être trop arrogant et imprévoyant’, explique-t-elle dans une interview accordée à Data News.
Lorsque Mieke De Ketelaere entama ses études en 1988, l’orientation ICT appliquée n’existait pas encore. Voilà pourquoi elle opta pour l’électromécanique intégrée à la formation d’ingénieur. ‘J’étais véritablement passionnée par les trains, les voitures et les avions – tout ce qui allait de pair avec la technologie’, précise-t-elle.
La nomination à l’événement ICT Woman of the Year a signifié beaucoup pour elle: ‘J’ai considéré cela comme une reconnaissance des efforts parfois invisibles que j’avais déjà consentis alors. A l’époque, la vogue AI n’existait pas encore. Au départ d’un mode de pensée multidisciplinaire, j’utilisais dans le cadre de mon travail chez SAS déjà le point de vue de la transparence et j’effectuais pour les clients la conversion de la technologie en une valeur commerciale. Pendant le week-end, je mettais à disposition des plus jeunes mes robots et imprimantes 3D de laboratoire. Je voulais être un modèle féminin à suivre.’
Montagnes russes
Pour De Ketelaere, cette nomination s’est apparentée à une porte qui s’ouvrait: ‘Je ne voulais pas l’indiquer sur mon CV, mais quand même en faire quelque chose reposant sur les fondements que j’avais déjà mis en place. Je n’ai pas gagné, mais j’ai mis à profit ma nomination. Je me compare toujours à Natalia, qui avait terminé à la deuxième place d’un concours de chant. Voyez où elle en est à présent.’
Place ensuite à des montagnes russes positives. ‘J’ai travaillé jour et nuit, car il s’agit d’une part de bien réfléchir à ce qu’on veut faire et d’autre part à continuer évidemment de suivre en permanence la technologie en évolution constante. On se retrouve subitement sous le feu des projecteurs. Il n’est alors pas question de manquer le train lorsqu’un tel moment se présente. Mais il convient aussi de faire des choix clairs et transparents et de ne jamais perdre de vue le but qu’on s’est fixé personnellement.’
Je me compare toujours à Natalia, qui avait terminé à la deuxième place d’un concours de chant. Voyez où elle en est à présent.
Au cabinet de De Croo, Mieke De Ketelaere put peu après en qualité d’expert aider à donner forme à la note fédérale sur l’intelligence artificielle: ‘Ce fut le départ d’AI4Belgium, une initiative pilotée par une communauté désireuse d’instaurer l’AI en Belgique.’ Récemment, Mieke a aussi sorti un livre intitulé: ‘Mens versus machine, artificiële intelligentie ontrafeld’ (L’homme face à la machine, l’intelligence artificielle démêlée).
Tracer les contours
‘Ce qui me plaît le plus dans mon travail? Réfléchir au futur de l’avenir. Aujourd’hui, la société suit souvent l’évolution technologique. Les technophiles créent trop souvent des nouvelles solutions, emportés qu’ils sont par leur passion, mais ce faisant, ils ne réfléchissent pas toujours à l’expérience d’utilisation du citoyen. Si vous travaillez au sein d’un institut de recherche multidisciplinaire, vous pensez en tant qu’équipe à une manière fondée d’envisager l’avenir. Comment rendre la technologie explicable de manière juste et transparente? Au lieu de suivre pas à pas la technologie, tracez-en les contours. Cette approche multidisciplinaire est importante pour faire croître le degré d’adoption.’
Dans son emploi actuel de directrice AI, elle jouit d’une grande liberté pour réfléchir de manière créative à ce qui sera nécessaire à l’avenir: ‘Je suis très agile. A un moment, je m’occupe de stratégie, et l’instant d’après d’exploitation. C’est nécessaire aussi, car il faut évangéliser et ouvrir des portes, mais aussi faire surgir une idée et la poursuivre.’
Empathie et collaboration Au début de sa carrière, une femme dans le secteur ICT s’apparentait encore à un phénomène anormal. Aujourd’hui, les femmes sont déjà davantage acceptées. ‘Je constate une évolution positive. Même si j’éprouve une forte passion pour STEM, je ne le pousserai pas. Lorsque je chausse mes lunettes multidisciplinaires, je vois qu’à l’avenir, nous aurons besoin d’autres propriétés. Beaucoup d’aspects de STEM – pensons seulement aux calculs ou à l’automatisation – seront repris par des robots. Cela n’est pas prêt d’arriver avec empathie, collaboration et communication, toutes des propriétés souvent typiquement féminines. En se focalisant trop nettement sur STEM en guise de solution, il nous manquera certaines personnes, dont l’identité se retrouve plus dans ce qu’on appelle souvent erronément des occupations plus soft. C’est là mon sujet de discorde. STEM, c’est bien si c’est intégré à votre ADN, mais si tel n’est pas le cas, cela ne fait rien. Nous aurons également besoins des autres compétences.’
En dehors du travail, Mieke De Ketelaere consacre aussi beaucoup d’énergie à travailler avec les jeunes, qu’il s’agisse de scouts ou de jeunes pousses: ‘J’apprécie énormément d’échanger de la connaissance qu’on n’acquiert pas dans les livres ou à l’université. J’apprends aussi beaucoup d’eux. Ils constituent par conséquent aussi pour moi un modèle à imiter.’
L’intelligence dans la nature
Durant le confinement de l’année dernière, elle se balada beaucoup dans la nature: ‘En réaction à une colère interne, parce que nous ne pouvions pas avec notre connaissance AI mettre un terme à la pandémie au niveau mondial. J’ai donc suivi toute l’évolution printanière et me suis demandé comment la nature parvenait toujours à trouver une forme d’homéostasie (par laquelle des organismes maintiennent en équilibre des processus chimiques et physiques dans un milieu interne, ndlr) et pas nous en tant que société.’
‘J’ai alors pris conscience que notre puissant focus sur l’intelligence humaine en tant que fil rouge pour l’AI était peut-être trop arrogant et imprévoyant. Voilà pourquoi j’ai commencé à lire des ouvrages consacrés à des formes moins connues d’intelligence dans la nature, surtout chez les plantes. Un nouveau monde s’est ouvert à moi. Il est peut-être temps que nous acceptions humblement au terme d’une année corona qu’il y ait encore tant d’autres formes d’intelligence, afin que nous puissions faire les choix qui s’imposent pour les solutions AI de demain.’
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