Le ‘datai gap’: les raisons du besoin urgent de données féminines

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Kristof Van der Stadt
Kristof Van der Stadt Rédacteur en chef chez Data News

Les femmes sont en quelque sorte le mouton noir dans une masse de données masculines. Et c’est là un problème plus important qu’on pourrait le supposer.

Lors du récent événement Clusity axé sur la thématique de la ‘femtech’, la futurologue Kristel Vanderlinden a tenu dans son discours un vibrant plaidoyer en vue d’investir davantage dans la gent féminine. Ce n’est pas seulement une question d’égalité sur le lieu du travail, ‘mais c’est aussi une mesure qui promet un rendement substantiel’, a déclaré K. Vanderlinden qui a étayé ses propos par pas mal de chiffres. ‘Une étude de BCG montre par exemple qu’un investissement d’1 euro chez les femmes rapporte 76 cents, contre 34 cents seulement chez les hommes. Le retour sur investissement féminin est de 40 à 70 pour cent supérieur aux investissements R&D ciblant spécifiquement des groupes-cibles homogènes ou essentiellement masculins’, a affirmé K. Vanderlinden qui a du reste écrit un ouvrage sur le sujet (EVAlutie).

Le manque de données est un problème crucial

Un problème crucial qui freine les progrès des femmes, est ce que K. Vanderlinden qualifie elle-même de ‘datai gap’. ‘Quasiment toutes données captées – que ce soit en ICT, en soins de santé, en biologie, dans le monde médical ou dans le domaine sportif – émanent des hommes’, selon elle. Les femmes sont ‘le mouton noir dans cette masse de données, car on n’est guère informé sur les femmes’. Cette carence de données féminines est nuisible pour le futur des genres, parce que ‘cela nous fera peut-être régresser encore davantage par rapport à la place que nous occupons aujourd’hui’. La seule exception? ‘Les données vocales. C’est le seul ensemble de données qui soit principalement féminine, et cela est dû simplement au fait que les secrétaires étaient reliées par téléphone dans les années 20, 30 et 40 du siècle dernier, et que des millions d’heures d’enregistrements de voix de femmes étaient réalisés. C’est pourquoi des assistants virtuels tels qu’Alexa et Siri ont des voix de femme. Mais pour littéralement toutes les autres espèces de données, les femmes passent lamentablement inaperçues’, poursuit Vanderlinden.

La futurologue Kristel Vanderlinden lors de l’événement Clusity consacré à la femtech, à Technopolis (Malines). © KVdS/DN

Des conséquences plus importantes qu’imaginé

Les conséquences de ce data(i) gap ne sont pas des moindres. Nous connaissons entre-temps tous les exemples des générateurs d’images, alimentées par des gisement de données incomplets, qui mènent toujours à des images masculines lors de commandes de recherche telles que ‘CEO’ ou ‘chirurgien’. K. Vanderlinden juge encore plus problématique la censure sur les plateformes en ligne et les réseaux sociaux. ‘Des termes tels que ménopause, menstruation ou tampon sont bloqués. Pourquoi donc? C’est problématique pour l’innovation dans la ‘femtech’, où l’IA est cruciale pour de nouveaux développements.’

 

La carence de données a même des effets mortels. ‘Il n’existe pas une seule voiture dans le monde qui soit aussi sûre pour les femmes que pour les hommes’, prétend sans ambages Vanderlinden. Les femmes courent 74 pour cent plus de risques de blessure en cas d’accident et 17 pour cent plus de risques de mourir, simplement parce que les crash-tests et les ceintures de sécurité ne sont pas adaptés au corps féminin. Dans le domaine sportif, il y a aussi un problème: les athlètes féminines ont jusqu’à 40 pour cent plus de risques de blessures au genou et à la hanche, parce que les chaussures et l’équipement sont conçus en forme ‘unisexe’. ‘Or qui dit unisexe dit masculin dans la pratique’, selon Vanderlinden.

Une évolution déséquilibrée dans les examens cliniques

Même dans les examens cliniques, on note une évolution nettement déséquilibrée: jusqu’en 1993, peu d’examens cliniques étaient pratiqués sur les femmes, à l’exception des questions liées à la poitrine et à l’utérus. Aujourd’hui, seul un tiers des tests cardiaques – pourtant la cause numéro un des décès chez les femmes – sont réalisés sur celles-ci. ‘L’examen du cœur de la femme accuse 35 ans de retard sur celui du cœur de l’homme, alors qu’une femme a trois fois plus de risque de mourir d’un infarctus’, apprend-on.

Les quatre conclusions de la futurologue Kristel Vanderlinden lors de l’événement Clusity sur les technologies féminines, à Technopolis (Malines). © KVdS/DN

Le combat pour les données féminines

‘On en sait tout simplement que très peu sur les femmes, ce qui constitue un gros problème. Mais il en résulte que, selon moi, le combat pour les données féminines démarre réellement’, ajoute K. Vanderlinden. On assiste à la progression de la Femtech, à savoir les innovations spécifiquement orientées sur les besoins des femmes. Et cela va bien au-delà de ‘rendre plus petit et plus rose des produits existants’. Et Kristel Vanderlinden de citer des exemples concrets: un kit de fertilité pour éviter chez soi les coûteuses visites hospitalières, la production de lait maternel pour les femmes qui éprouvent des difficultés à allaiter, des tampons faits d’algues comme alternative durable aux produits actuels bourrés de substances nocives.

‘Femtech-wearables’

Dans le domaine des wearables et de la technologie médicale, le besoin de la femtech est également important. K. Vanderlinden propose par exemple de miser sur le développement de soutiens gorges intégrant des biomarqueurs capables de mesurer le rythme cardiaque des femmes’, pour ainsi détecter préventivement des anomalies au niveau du cœur. ‘Je pense vraiment que le combat pour les données féminines débute maintenant. Mais qui en disposera? Quelle firme pharmaceutique ou quelle entreprise technologique y veillera: c’est là une question ouverte qui me taraude l’esprit.’

‘Les entreprises technologiques comme Flow et la belge Wild.ai sont déjà occupées à enregistrer et à analyser des données féminines, par exemple dans le secteur des performances sportives. Il ne faut donc pas toujours chercher loin’, poursuit Kristel Vanderlinden, qui conclut sa présentation par la citation suivante: ‘Les femmes sont HOT (hope of tomorrow)’.

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