Interview Eline Maris, Rising Tech Star 2024: « Il faut parfois un mentor pour vous donner un coup de pouce supplémentaire »

© Debby Termonia
Els Bellens

Eline Maris, ‘business development manager’ chez Cegeka, a réussi à convaincre le jury de She Goes ICT par son enthousiasme et par sa capacité à exploiter la moindre opportunité durant sa carrière.

Vous avez fait des études d’institutrice et avez même exercé ce métier durant un certain temps. Pourquoi avoir décidé de vous tourner vers le secteur IT ?

Eline Maris: Dès l’âge de 12 ans, je me suis passionnée pour la technologie. C’est ainsi que j’avais appris le html par moi-même pour adapter des pages de profil sur Netopets, une plateforme de jeux. Je me débrouillais plutôt bien et j’ai alors décidé de créer mon propre site Web pour partager ces codes avec d’autres. Mais j’ai un peu abandonné sous la pression de mes camarades. En effet, les jeunes de mon âge ne trouvaient pas cool qu’une fille reste assise durant des heures derrière un écran d’ordinateur et s’intéresse à la technologie. Je considérais à l’époque que faire partie du groupe était important. J’ai donc laissé tomber, même si cela m’intéressait toujours un peu. Lorsque je suis devenue enseignante, l’une des premières choses que j’ai faites était de développer un site Web sur le matériel didactique que je réalisais. Et cela m’a incité à me poser certaines questions. Mais soit, opter pour le secteur IT en tant qu’enseignante aurait constitué une étape importante, une décision qui ne se prend pas à la légère.

C’était donc plutôt une évolution par étapes ?

Maris: J’y ai longuement réfléchi. Quelle est l’étape que je considère comme réalisable et en quoi suis-je bonne ? C’est humain. J’ai donc choisi les RH et cela m’a ouvert ensuite la voie vers le secteur IT. J’ai constaté que je pouvais avoir un impact certain sans pour autant négliger l’IT, notamment parce que je devais savoir quel avait été le parcours de mes candidats. Or cela m’a intéressé à un point tel que j’ai eu le sentiment de pouvoir en revenir à ma passion de départ.

« Si vous voulez être performant dans la vente, il faut savoir de quoi on parle. »

Entre-temps, vous devenez ‘business developer’ pour des produits d’IA.

Maris: Dans le secteur des RH, vous n’êtes impliqué que jusqu’à un certain point dans la technologie. Je restais donc un peu sur ma faim. Or dans le cadre du Young Potential Boostcamp [une organisation de coaching pour jeunes femmes dans l’IT, NDRL], je suis entrée en contact avec mon mentor Beatrice de Mahieu [la CEO de BeCode, NDLR]. Ensemble, nous avons regardé comment je pourrais mettre mon expertise et mon expérience au service du secteur IT. Et elle m’a convaincue d’opter pour la vente. En effet, si vous voulez être performant dans la vente, il faut savoir de quoi on parle. Cela m’a donc permis de travailler en étroite collaboration avec nos architectes et de parfaire mes connaissances. Et d’un autre côté, l’aspect humain reste important dans la mesure où il faut pouvoir discuter avec les clients et réfléchir avec eux aux meilleures solutions.

Vous dites que votre mentor vous a aidée. Était-ce une sorte de lampe qu’elle a allumée ?

Maris: Je pense plutôt qu’elle a surtout servi à me donner un coup de pouce supplémentaire qui m’a donné confiance de franchir le pas. J’avais déjà cette idée en tête, mais ses paroles motivantes m’ont donné le courage de prendre contact avec le directeur de l’équipe de vente de la division données pour planifier une entrevue. Or ce n’est pas une décision qui est facile à prendre.

Vous avez précisé durant votre présentation que d’autres personnes, notamment votre maman, ont suggéré d’étudier l’IT parce que vous aviez des prédispositions. Pourquoi les choses ont-elles été différentes ?

Maris: Vous savez, lorsque l’on a 18 ans, on est très têtu et je savais très bien ce que je voulais, et notamment de ne pas écouter ma mère. Je voulais aller en kot et apprendre à découvrir le monde. Or je pense qu’à l’époque, je n’étais pas prête. Avec le recul, je n’aurais d’ailleurs pas fait un autre choix. Les étapes que j’ai franchies m’ont donné d’autres angles de vue et des compétences relationnelles. Et cela me sert énormément dans le secteur où je travaille désormais.

« Désormais, nombre de diplômés de filières générales pourraient très bien devenir nos nouveaux analystes. Ou encore nos responsables de projet. »

Différentes études indiquent que les jeunes filles abandonnent expressément les STEM dans le secondaire. Que leur conseilleriez-
vous, compte tenu de votre expérience ?

Maris: Je pense qu’il faut trouver une manière de susciter à nouveau l’intérêt des jeunes filles qui optent pour les STEM et de leur offrir également des perspectives. Car si les sciences et la technologie sont certes intéressantes, il faut savoir ce que l’on peut en retirer par la suite. En outre, les études supérieures sont souvent plus déterminantes encore que le secondaire. À 18 ans, on est confronté à un choix important. Or ce qui manque, c’est une représentativité du secteur technologique dans les filières générales. Car d’une part, il existe des orientations naturelles comme l’informatique appliquée ou les sciences informatiques où il y a évidemment une pénurie de femmes. Mais d’autre part, il y a un important public cible féminin dans d’autres voies, comme les sciences commerciales, l’ingéniorat commercial, les sciences économiques appliquées, le droit ou le marketing. Nombre de ces diplômés pourraient très bien devenir nos nouveaux analystes. Ou encore nos responsables de projet. Il serait parfaitement possible de les stimuler pour devenir plus techniques. C’est à ce niveau que nous aurions l’occasion d’inciter le public féminin à se tourner davantage vers ce secteur.

Votre parcours donne à penser que tout s’est passé de manière relativement positive. Où se situent selon vous les tensions dans l’IT pour les femmes ?

Maris: Ma carrière a en effet été très positive. Mais tel n’est évidemment pas le cas pour tout le monde. Je pense qu’il faut d’un côté travailler davantage à créer plus de diversité en rendant plus varié l’apport de nouveaux profils. Mais d’un autre côté, il faut accorder beaucoup plus d’attention à la mise en place d’une culture adaptée dans les entreprises, de telle sorte que les nouveaux profils qui arrivent dans le secteur se sentent à l’aise.


Ce n’est d’ailleurs pas uniquement une question hommes/femmes, mais plutôt d’enrichir la culture interne de l’entreprise par l’apport d’autres communautés, en intégrant d’autres bagages, d’autres regards sur le monde. Je pense que c’est très important pour susciter des échanges intéressants. Car la créativité, la résolution de problèmes et l’aspect technique ne peuvent pas être apportés par une seule et même personne. Il est nécessaire de mettre en place cette diversité et il est important de continuer à y accorder toute l’attention nécessaire.

En tant que recruteur, vous aviez sans doute aussi un rôle à jouer dans la diversité.

Maris: Durant ma deuxième année comme recruteuse chez Cegeka, j’ai engagé 58 personnes. Et j’étais à l’époque très satisfaite des résultats jusqu’à ce que je les analyse dans le détail. Je pense que nous étions à 80 ou 85% d’hommes. Et cela donne à réfléchir : comment faire changer les choses si l’on continue de la sorte ? Du coup, j’ai commencé à m’intéresser davantage à la problématique. À l’époque, j’ai notamment abordé avec Elke Kraemer [de l’organisation de diversité Clusity et nommée au titre d’ICT Woman of the Year 2022, NDLR] la manière de rédiger des annonces plus inclusives. J’ai mené des recherches et j’ai notamment lancé d’autres initiatives pour aborder plus spécifiquement les femmes et les inciter à nous rejoindre. Du coup, cette balance des genres a pu être fortement rétablie.

Comment analysez-vous en tant que recruteuse la discrimination positive ?

Maris: J’estime qu’il est important que les entreprises formulent des objectifs précis dans ce domaine, le but étant donc de tendre vers une représentation équilibrée. Une telle initiative démontre l’implication de l’organisation et sa volonté d’attacher en permanence de l’attention à ce thème. Cela dit, en tant que recruteur, il faut toujours garder à l’esprit le potentiel de la personne. Ce candidat peut-il évoluer ? Peut-il être formé pour devenir la personne dont on a besoin dans cette fonction ? Il n’est pas toujours nécessaire de cocher toutes les cases des qualifications demandées. Si vous êtes face à une personne dont vous pensez qu’elle peut convenir, peu importe à mes yeux qu’elle soit un homme ou une femme. C’est le potentiel qu’il faut identifier.

Quels sont vos projets en tant que nouvelle Rising Tech Star ?

Maris: Je planche actuellement sur l’agenda que je voudrais mettre en place. Je ne veux pas me mettre trop de contraintes, mais il y a deux thèmes qui me tiennent particulièrement à cœur. D’une part évidemment, l’enseignement. J’aimerais naturellement me retrouver devant des classes et transmettre mon enthousiasme face à ce public cible de jeunes filles.

« L’entreprise doit mettre en place une culture adaptée pour que les nouveaux profils qui arrivent dans le secteur se sentent à l’aise. »

D’autre part, je pense m’impliquer davantage dans le recrutement, sachant que c’est là que tout se passe. Dans le recrutement, vous pouvez en effet avoir un double l’impact : à la fois en se concentrant plus sur le public cible féminin pour faciliter les candidatures et en stimulant l’entreprise dans le bon sens, en attirant l’attention de la direction sur le fait que la diversité est nécessaire pour les équipes et qu’elle permet une meilleure dynamique.

Votre ambition est-elle de jouer un rôle de modèle ?

Maris: J’aimerais bien en effet, d’autant que j’ai personnellement vu l’impact que pouvaient avoir des modèles sur ma carrière et mon évolution. Vous avez ma maman. Vous avez Beatrice de Mahieu ainsi qu’Elke Kraemer. Mais vous avez aussi Kristel Demotte [ICT Woman of the Year 2022 et ‘head of Data & AI’ chez Cegeka, NDLR]. Il s’agit là de quatre femmes que je considère comme des exemples, dont je veux apprendre et qui me motivent à franchir certaines étapes. Je voudrais également servir d’exemple pour la future génération.

En cinq ans environ, vous êtes passée d’enseignante à recruteuse puis à ‘business developer’. Quelle sera la prochaine étape de votre carrière ?

Maris: Vous savez, je me suis lancée l’an dernier à fond dans l’IA. Je continue à m’y intéresser car l’évolution se poursuit et j’entends bien m’investir pleinement dans ce monde et découvrir de nouvelles choses encore. Je suis attentivement les développements futurs, mais je laisse aussi venir les choses. Je n’ai pas vraiment de plan de carrière très précis à dix ans. Par ailleurs, je reste à l’écoute des nouvelles pistes qui pourraient s’ouvrir et que je pourrais emprunter. Car j’ai appris que tout ne va pas forcément en ligne droite et vers le haut, et qu’il faut parfois faire un pas de côté ou peut-être stagner quelque peu. Ceci afin de pouvoir quitter au bon moment sa zone de confort et découvrir de nouvelles choses. Il s’agit là d’une attitude que j’entends bien conserver.

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