Annlore Defossez, Inclusive Tech Champion of the Year 2025: ‘Il ne faut pas faire analyser toujours par les mêmes personnes’

Annlore Defossez © Debby Termonia
Pieterjan Van Leemputten

Annlore Defossez est notre Inclusive Tech Champion of the Year 2025. Cette responsable CSR de 32 ans chez Capgemini Belgium plaide pour davantage de diversité. Pour impliquer chaque personne, mais aussi pour continuer à se développer sur le long terme en tant qu’entreprise.

Defossez a grandi dans une ferme en Wallonie, a étudié les sciences économiques (UCLouvain) et le management (Louvain School of Management) avant d’entrer chez DXC Technology où elle a travaillé pour le secteur financier. Sept ans plus tard, elle entrait chez Capgemini Belgium où elle s’occupait également du secteur financier en qualité de consultante. Et en 2022, elle était nommée CSR officer.

Comment avez-vous atterri dans le CSR ?

ANNLORE DEFOSSEZ: Ce thème m’a toujours passionné. Une partie de mes études a d’ailleurs été consacrée à la finance durable, ce qui explique que j’ai été notamment analyste de données et scrum master dans un environnement financier. Mais en fait, j’avais déjà cela en moi. Je m’intéressais également aux projets en matière de durabilité, mais ce travail me faisait oublier tout le reste. A un moment donné, tout s’est effondré et j’ai pu me consacrer aux choses qui me plaisaient vraiment.

Quelles sont vos réalisations jusqu’ici chez Capgemini ?

DEFOSSEZ: Ce dont je suis la plus fière est qu’il n’existait pratiquement rien en matière de CSR et de DEI et tout ce qui est entre les deux, et que nous avons tout mis sur pied. On se rend compte que l’on progresse dans notre organisation, que tous les collaborateurs se sentent impliqués et éprouvent de la fierté. On constate que le projet prend vie par lui-même et cela me comble. Les personnes créent la culture et c’est cette culture qui subsistera si je devais quitter l’entreprise. Les communautés internes, l’implication et ce, à tous les niveaux.

L’accent est-il dès lors mis sur la collaboration, l’inclusion et la durabilité ?

DEFOSSEZ: Nous cherchons à impliquer les collaborateurs tout au long de l’année. Pour ce faire, nous disposons de différentes équipes dont c’est une partie de leur travail. Elles planifient également elles-mêmes les feuilles de route et ont un impact tangible.

Au-delà de ces collaborations, nous travaillons bien sûr aussi sur des certifications, tandis que je rapporte au conseil d’administration en matière de diversité et que nous pouvons compter sur des sponsors puissants pour porter ces projets.

Nous progressons également en matière de DEI [diversité, égalité, inclusivité, NDLR]. Au cours des deux premières années de mon mandat comme DEI Lead, nous avons amélioré de 2 à 3% la balance des genres chez Capgemini Belgium. Cela peut paraître peu, mais d’autres entités du groupe ont mis parfois 5 ans pour progresser de 2%. Dans l’organisation belge, nous sommes l’une des croissances les plus fortes dans l’équilibre de la balance des genres et j’en suis extrêmement fière.

Le problème au niveau des sociétés ICT n’est-il pas tant qu’elles onr besoin de personnel, de sorte que n’importe qui, quel que soit son genre ou son bagage, est plus que bienvenu.

DEFOSSEZ: Oui, dans le secteur, les entreprises sont déjà contentes de trouver quelqu’un. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elles mettent tout en œuvre pour attirer du personnel. Si une description de fonction ne parle pas à une femme, celle-ci ne sollicitera pas et n’entrera même pas en ligne de compte. C’est l’une des raisons pour se focaliser davantage sur la DEI afin que l’entreprise soit plus attractive pour chacun, ce qui leur permet également d’avoir plus de choix à l’embauche.

La DEI intéresse-t-elle également les clients et en va-t-il de même que pour la vie privée par exemple, où de lourdes amendes sont prévues en cas d’infraction ?

DEFOSSEZ: Absolument. Et l’importance de ce thème ne fera que grandir au fil du temps.

Parce qu’elles le veulent ou que la législation le leur impose ?

DEFOSSEZ: Les deux. On constate que certaines entreprises gagnent en maturité. Il s’agit d’un processus qui concerne toutes les grandes entreprises et plus elles nous impliquent en tant que consultants, plus elles s’attendent à nous voir les soutenir dans cette diversité en tant que prestataire de services.

En Europe, aucun CEO ou membre du conseil d’administration ne peut dire qu’il n’est pas concerné par la diversité. Le thème est sur la table de la direction, peut-être pas encore suffisamment, mais c’était encore bien moins le cas par le passé.

Entre-temps, on constate que des clients nous posent des questions à ce sujet. Le thème s’invite également dans les RFP et les partenariats, mais je pense que le boom majeur sera induit par la régulation. Aujourd’hui, le CSR concerne très largement l’environnement, ceci en raison de la régulation. D’ailleurs, le besoin se fait sentir d’exigences en matière de DEI afin de stimuler l’ensemble des initiatives. La diversité est un vaste domaine. Il y est question de genre, de bagage et de handicap, mais aussi d’inclusion numérique notamment.

Chez Capgemini, nous avons un vaste projet en matière d’attitude inclusive des dirigeants et j’entends bien m’y investir à fond. L’inclusivité apparaît désormais comme un engagement pour de nombreuses entreprises, sachant qu’il faut rattraper un certain retard. Dans le cas de la génération future, il sera possible de l’impliquer dès le départ, d’autant que ce sera pour eux bien plus évident.

Pensez-vous que des quotas peuvent aider ? Car dans ce cas, nous pourrons poser la question de savoir si nous sommes inclusifs parce que nous le voulons ou que nous devons.

DEFOSSEZ: Je ne suis pas en faveur de quotas, mais force est de constater que cela aide. Jusqu’à présent, on n’a rien trouvé de mieux pour accélérer les choses. Donc je n’y suis pas favorable, mais ces quotas sont parfois nécessaires. Dans le même temps, j’estime qu’il faut adopter une approche holistique et privilégier différentes formes de diversité, et pas seulement celles qu’il est possible de quantifier. Idéalement, la diversité ne devrait même pas se calculer.

À quel niveau les entreprises belges pourraient-elles faire mieux en matière d’inclusivité ? Ou que ne font-elles précisément pas bien ?

DEFOSSEZ: Si l’on analyse les chiffres, nous ne sommes pas bons. Nous en sommes à 25% de femmes dans les services ICT, ce qui prouve qu’il y a encore du pain sur la planche. Ce n’est pas spécifique à la Belgique, mais plus particulièrement dans mon domaine, j’estime que l’on limite encore trop souvent la DEI au genre. En France, il existe notamment une législation sur l’engagement de personnes porteuses d’un handicap, alors que notre pays met surtout l’accent sur les femmes en tant que minorité.

Nous devons bien davantage aborder le spectre complet de la diversité au lieu de nous intéresser seulement aux femmes. Le handicap, le LGBTQIA, les neurodivergents, etc. Autant de thèmes sur lesquels nous accusons du retard. Cela exige certes un peu de courage et les choses ne changeront pas aussi longtemps que les dirigeants d’entreprise ne font pas des choix et osent s’exprimer ouvertement. Nous avons besoin de personnes qui prouvent que la diversité est la voie à suivre. Il ne peut non plus pas s’agir d’une minorité qui exige des droits pour l’ensemble des minorités. La majorité doit aussi intervenir.

Cela exige-t-il une culture d’entreprise spécifique ?

DEFOSSEZ: Effectivement, il n’est pas uniquement question d’ouvrir des portes, mais de mettre en place une culture d’entreprise qui soit inclusive afin d’inciter les personnes que vous recrutez à rester chez leur employeur. Il arrive souvent que des femmes entrent dans une entreprise puis la quittent à un certain âge. Surtout chez les femmes qui ont des enfants, les chiffres sont sans équivoque. Alors qu’il serait possible d’offrir un meilleur encadrement, ce qui serait bénéfique pour tout le monde.

« L’inclusivité apparaît désormais comme un engagement pour de nombreuses entreprises, sachant qu’il faut rattraper un certain retard. »

Est-ce le rôle de l’employeur, des pouvoirs publics ou de la société en général ?

DEFOSSEZ: C’est de tout façon le rôle de l’entreprise qui doit permettre à ses talents de se développer. C’est possible en offrant aux hommes et aux femmes les mêmes congés en cas d’accouchement. Ce n’est pas grand-chose, mais cela permet plus d’égalité de carrière. Si vous le proposez de manière proactive, les femmes risquent moins de décrocher lorsqu’elles reviennent au travail après six mois. Je crois cependant qu’à long terme, une telle situation doit être réglée par les pouvoirs publics ou la société. Or l’État n’a jamais été proactif à ce niveau. Il appartiendra aux entreprises privées de mettre en place les bonnes pratiques et d’imposer un standard.

Si notre lecteur ne l’a pas encore compris après ce plaidoyer : quels bénéfices une entreprise performante qui trouve suffisamment de personnel peut-elle retirer d’une politique de DEI ?

DEFOSSEZ: Si vous disposez d’une équipe diverse, vous parvenez à mieux évaluer les besoins de vos clients : c’est aussi simple que cela. Mais le problème avec la diversité, c’est qu’imaginer des solutions n’est pas une mince affaire. Enfermez les mêmes types de personnes dans une pièce pour résoudre un problème, elles trouveront rapidement une solution parce que tout le monde sera rapidement d’accord. Mais si vous regroupez des personnes ayant des bagages différents, vous obtiendrez à long terme de meilleurs résultats, ce qui est plus important encore dans un secteur où il convient d’innover. Il est impossible d’innover si ce sont toujours les mêmes personnes qui analysent le problème.

Sinon vous vous retrouvez avec des solutions faites sur mesure pour un groupe restreint.

DEFOSSEZ: Certainement dans un monde globalisé. Les gens ayant des bagages différents se mélangent, surtout à Bruxelles avec autant de nationalités et de langues. C’est cette diversité qu’il faut apporter dans l’entreprise afin de concevoir des solutions qui s’adaptent à tout un chacun.

Mais au-delà de la diversité, il faut aussi promouvoir l’inclusion. Si vous n’arrivez pas à laisser s’exprimer ouvertement ces différentes personnes dans l’entreprise, vous risquez de les perdre. Dès lors, il faut à nouveau mettre en place une stratégie avec des chiffres et des priorités pour adapter la culture d’entreprise qui permettra aux personnes qui ne sont pas habituées à s’exprimer de sentir qu’elles sont entendues et comprises.

C’est du moins ce que je ressens de ma propre expérience. Je suis une jeune femme francophone, un profil que l’on ne rencontre pas dans les conseils d’administration. Cela fait que lorsque je dis ou je propose quelque chose, je suis la première et la seule à le faire. Cette personne est ‘une femme’, ‘une personne de couleur, ‘une personne porteuse d’un handicap’. Comment faire en sorte que ces personnes se sentent d’entrée de jeu concernées ?

Quelle réponse apporter ? Car la problématique semble toucher chaque personne de manière différente.

DEFOSSEZ: Il s’agit en effet de très nombreux éléments qui agissent à un niveau microscopique. Il y a surtout des biais que l’on ne perçoit pas. Si vous choisissez quelqu’un, vous opterez plus souvent pour une personne qui vous ressemble ou suit la même trajectoire que vous. Ce sont là des éléments qu’il faut garder à l’esprit.

Ces opinions n’auraient pas été prises au sérieux voici vingt ans dans les entreprises.

DEFOSSEZ: Je pense que bon nombre d’hommes n’aiment pas en parler, mais beaucoup ne comprennent pas le sentiment d’insécurité que ressentent les femmes, ne serait-ce qu’en traversant la rue. Aujourd’hui encore, une femme comme moi à Bruxelles ne peut pas porter ce qu’elle veut n’importe où. Les hommes ne connaîtront jamais une telle situation. Et beaucoup d’hommes ne s’en rendent même pas compte. Je ne pense pas qu’il s’agit là de choix réfléchis, mais d’un concours de circonstances. Mais nous devons prendre conscience des réalités et permettre à chacun de s’exprimer sur sa réalité et d’essayer de le comprendre. C’est cela l’inclusivité.

De tels discours doivent-ils être davantage tenus en public. Les scandales MeToo auront, à mon avis, fait comprendre aux hommes que de telles situations ne se produisent pas de temps à autre, mais bien de temps à autre chez chaque femme.

DEFOSSEZ: Oui, chaque femme vit sa propre expérience. J’estime que de tels thèmes devraient être à l’agenda du conseil d’administration et faire partie du débat public. Mais c’est aussi le rôle de la presse de montrer que de telles choses arrivent pour ouvrir les yeux de tout un chacun.

Dans le même temps, je considère que la diversité, l’égalité et l’inclusion ne sont qu’un thème parmi d’autres et n’exigent pas de grands changements susceptibles d’avoir une priorité absolue. C’est une question de proximité des gens. Que chaque membre du conseil d’administration, ne serait-ce qu’une fois l’an, interroge les collaborateurs de l’entreprise pour savoir s’ils se sentent bien, s’il y a quelque chose qui peut les aider dans leur environnement de travail ou s’ils ont des craintes. Il n’est pas question de grands bouleversements, mais de pouvoir à certains moments écouter chacun et permettre de découvrir qui chacun est.

Il importe donc de lancer le débat, tant au niveau public qu’individuel. Chez Capgemini, nous avons lancé un programme que je gère et baptisé Inclusion Circle. Il ne s’agit pas de discussions en tête-à-tête, mais en petits groupes, avec un scénario autour de la DEI, mais aussi pour rapprocher les personnes et savoir ce qu’elles ressentent dans certaines situations, le tout avec un espace de dialogue. Vous seriez étonné de voir que de tels moments peuvent permettre de briser la glace.

La DEI a récemment été critiquée par Meta qui a supprimé cet acronyme. À l’en croire, surtout la formulation parce qu’elle suggérerait un traitement de faveur pour certains groupes. Comprenez-vous cette position ou s’agit-il là d’une excuse ?

DEFOSSEZ: Ce qui se passe actuellement pose question. Tant chez Meta que chez Amazon, ces programmes ont été arrêtés. Et depuis cet été, on constate que de grandes entreprises américaines réduisent leurs projets de DEI et je m’inquiète de voir la vitesse à laquelle de telles initiatives disparaissent à nouveau aux États-Unis, sans parler des propos tenus notamment par Zuckerberg.

Croyez-vous que de tels choix vont se répercuter sur les entreprises européennes ? Ou sommes-nous culturellement ou politiquement différents ?

DEFOSSEZ: J’espère que ces idées ne trouveront que peu d’écho en Europe, mais cela montre en tout cas qu’il faut toujours continuer à insister sur ces thèmes et que les entreprises qui veulent devenir inclusives le fassent également savoir haut et fort. Je pense que l’impact sera moindre en Europe dans la mesure où nous disposons d’une législation en matière de CSRD [Corporate Sustainable Responsibility Directive, NDLR] qui exige certaines mesures. Mais le fait qu’il existe un adversaire fort n’aide pas, tandis que les entreprises qui ne cherchent pas l’inclusivité risquent d’utiliser cette tendance aux États-Unis comme un argument.

Que feriez-vous si vous étiez dans une entreprise où la direction vous annonce son intention de réduire ses initiatives en matière de DEI ? Partiriez-vous ou essayeriez-vous de vous battre en interne ?

DEFOSSEZ: Beaucoup dépend de l’importance que l’on y attache personnellement. Pour ma part, Capgemini, mais aussi le domaine de la consultance en général, est un métier de personnes. Dès lors, une entreprise qui ferait marche arrière sur cette question ne correspondrait plus à mes valeurs. La diversité est synonyme d’inclusion pour l’ensemble de la société. Si nous ne le faisons pas, non seulement la minorité serait perdante, mais nous reculerions également en termes d’innovation et de bien-être. Ce serait aussi un message que chacun n’est pas pris en compte.

Dois-je comprendre que dans un monde idéal, vous seriez sans emploi ?

DEFOSSEZ: Effectivement. Dans un monde parfait, nous n’aurions pas besoin de porte-drapeau de la DEI, ce que je suis aujourd’hui. Et il ne s’agit pas tellement de trouver des solutions ponctuelles, mais plutôt d’intégrer l’inclusivité dans la culture de votre entreprise.

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