“Ce fut un choc pour moi”
Bridget Cosgrave revient sur son licenciement.
Bridget Cosgrave revient sur son licenciement.
Il y a sept mois, le lundi 22 octobre, Bridget Cosgrave s’est vu signifier par le CEO Didier Bellens qu’elle pouvait prendre la porte. A peine quelques jours auparavant, elle avait présenté les plans stratégiques pour sa division au conseil d’administration de Belgacom. “C’était totalement inattendu. Ce fut un choc pour moi”, explique-t-elle.
Il était assez cynique de constater au récent salon Jump de Bruxelles fin avril que le stand de Belgacom diffusait une vidéo sur le caractère féminin de l’opérateur télécom. Bridget Cosgrave apparaissait dans ce film, alors qu’elle avait été licenciée il y a sept mois…
Il y a sept ans, en juillet 2001, elle avait été embauchée par le CEO d’alors John Goossens pour diriger la division ‘carrier’. Elle ne cachait pas ses ambitions : “J’avais dit à John que je voulais être une dame qui pèse 1 milliard EUR.” Elle a créé la division Belgacom International Carrier Services (BICS) et a réalisé avec ses 285 collaborateurs un chiffre d’affaires de 850 millions d’euros. La fusion avec les activités internationales de SwissCom s’est également bien passée. Quatre ans plus tard, elle devient COO de l’ensemble de la division ‘lignes fixes’, qui emploie 15.000 personnes et génère 3,6 milliards EUR de chiffre d’affaires. Après une nouvelle réorganisation en 2005, Bridget Cosgrave prend en tant que ‘executive vice president’ les commandes de la division ‘enterprise’, qui pèse 2,7 milliards EUR, dont 2,2 milliards en Belgique. “Il n’y a pas tellement de femmes qui sont responsables pour un tel P&L (profit & loss).”
Après une lutte acharnée, Belgacom rachète Telindus début 2006. C’est le début d’une intégration difficile. Bridget Cosgrave n’a aucunement été impliquée dans l’opération de rachat.
Ronald Everaert est resté CEO de Telindus. “Cela créait la confusion chez tout le monde, surtout chez les clients.” Début 2007, elle écrit une lettre à ce sujet au CEO Didier Bellens et au président du conseil d’administration Theo Dilissen. Elle recommence un peu plus tard, à l’adresse à nouveau de Didier Bellens et du CFO Ray Stewart. En vain. “Il y a deux modèles lors d’un rachat. Soit vous intégrez immédiatement la société rachetée, vous communiquez sur le changement et vous en démontrez les avantages. Cela constitue un choc dans un premier temps, mais après vous pouvez construire la croissance. En Europe, les entreprises ont souvent une approche plus douce et on laisse continuer un certain temps l’entreprise concernée dans les mêmes conditions qu’auparavant. Selon moi, la première approche est la meilleure. Sinon, les collaborateurs risquent de ne pas comprendre ce qui a changé et c’est en fait encore plus pénible au final, nous explique l’Irlando-canadienne. Je parlais encore récemment avec le CEO d’une grosse entreprise britannique qui avait opté pour la deuxième option et qui avait beaucoup de mal à dégager les synergies attendues.”
Bridget Cosgrave a la réputation d’une dame de fer qui n’hésite pas à réprimer publiquement ses collaborateurs. “Au sein de la division BICS, nous avions le meilleur taux de satisfaction auprès des employés. Tout se passait donc bien. Mais cela n’est plus possible dès lors qu’il y a trop de patrons.” Son licenciement a été une surprise, mais surtout “une déception. J’aime vraiment Belgacom,” confie-t-elle. Elle est déjà convaincue que Michel De Coster (qui vient de démarrer le 1er juin) va faire du bon travail. Lui-même et Grégoire Dallemagne ont tous deux été débauchés chez les concurrents BT et KPN/Tele2. “Qu’est-ce que vous voulez … c’est une manière d’affaiblir les concurrents,” commente Bridget Cosgrave. En comparaison avec feu John Goossesn, Didier Bellens s’en tien à un comité exécutif limité. “Tant que ces profils sont complémentaires, ce n’est pas un problème. Mais il faut alors un leader charismatique.” Didier Bellens est plutôt connu pour être un financier. “Cela a au moins l’avantage qu’il y a une discipline financière et que des rachats ne sont pas effectués de façon précipitée. Mais d’un autre côté, il n’est pas capable de descendre du ‘top floor’ vers le ‘shop floor’. Il a bien essayé, mais ce n’est pas dans sa nature.”
Belgacom n’a pas fait d’acquisitions internationales. “Nous étions très proches d’acquérir Millicom, tout comme en 2004 l’opérateur national tchèque. La République tchèque aurait été un pays idéal, comparé avec ce qu’a réalisé le groupe KBC. Mais il faut pouvoir compter sur les gens capables de diriger ces entreprises. La responsable des ressources humaines Astrid De Lathouwer a récemment fait réaliser une enquête interne sur les candidats qui seraient prêts à éventuellement exercer leur métier à l’étranger. Il s’est avéré qu’ils étaient fort peu nombreux.”
Bridget Cosgrave souhaiterait en tout cas continuer d’habiter en Belgique. Depuis avril, elle fait partie du conseil d’administration de la société de télévision par satellite SES. Elle était récemment invitée au salon SAPphire à Berlin. Cela lui permet de garder le contact avec le secteur. A 47 ans, Bridget Cosgrave aspire à diriger une entreprise ICT européenne avec des ambitions internationales. Pas nécessairement une entreprise télécom. “Je veux me débarrasser de cette étiquette. Tout le monde m’associe encore immédiatement avec Belgacom.” Avant de rejoindre Belgacom, elle a travaillé trois ans chez BT, et auparavant elle a été ‘corporate finance manager’ auprès de la banque Indosuez. “Je suis quelqu’un d’optimiste, même si c’est paradoxal. On parle tellement de la pénurie de femmes au sommet des entreprises, et je n’y suis pas encore. Mister Gerard Mestrallet, you can call me!”, plaisante-t-elle.
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