La technologie aéronautique belge au service des drones
La belge SABCA est depuis longtemps un fournisseur réputé de systèmes d’aéronautique ainsi que de matériels et de services pour le F-16 de Lockheed, pour Airbus et pour la navette Ariane notamment. Son CEO, Thibauld Jongen, explique à Data News comment la technologie spatiale de SABCA peut être mise au service des véhicules autonomes et lève un coin du voile sur un avenir futuriste plus proche que nous ne le pensons.
Dans quelle mesure SABCA est-elle impliquée dans le développement de technologies destinées aux véhicules autonomes ?
THIBAULD JONGEN : Nous sommes spécialisés dans la conception de systèmes d’exploitation pour fusées, et notamment la navette Ariane 5, mais aussi pour Ariane 6 en cours de développement ainsi que pour le lanceur Vega, également de l’ESA. Le système d’exploitation pilote les actionneurs qui doivent diriger la fusée ainsi que les propulseurs, sachant qu’une fusée n’a en effet pas d’aile. Désormais, cette même technologie peut également être utilisée dans le développement de pilotes automatiques pour les engins volants autonomes ou drones, ceux-ci fonctionnant avec des logiciels exempts de bogues et des algorithmes sophistiqués. Il s’agit en l’occurrence d’applications industrielles, comme les petits ‘fixed wing drones’, et non pas les gros engins de transport.
La technologie de production d’avions autonomes existe déjà. La question est l’acceptation par le grand public.
SABCA est spécialisée dans le développement d’algorithmes sophistiqués. Comment développe-t-on de tels algorithmes ?
JONGEN : Un algorithme fonctionne comme une recette culinaire : il y a une liste d’ingrédients et une manière de procéder. Par exemple, si le lait bout, il faut le retirer du feu. Il faut savoir qu’une machine ne peut faire que ce qui est écrit dans la recette.
Lorsque l’on évoque les véhicules autonomes, où l’opérateur humain est donc absent, un défi de taille se pose : l’inattendu. Un homme peut réagir rapidement de manière intuitive à un événement inattendu : le lait bout et l’homme le retire du feu. De même, un pilote d’avion remarque en une seconde la présence d’un autre avion ou d’un oiseau et modifiera sa trajectoire. Mais comment l’expliquer à une machine ? Tout d’abord, il faut prévoir sur des avions autonomes ou à un seul pilote beaucoup plus de capteurs, comme des compteurs de vitesse, des caméras et des détecteurs, que sur la génération actuelle d’avions, tandis qu’il faut aussi prévoir nettement plus de redondance.
L’intelligence artificielle doit-elle forcément être prise en compte ?
JONGEN : Incontestablement. Pour remplacer les capacités d’un opérateur humain, l’IA est un must. Une machine doit pouvoir apprendre. Par exemple dans le domaine de la reconnaissance d’images : la machine doit être capable de reconnaître un objet comme un oiseau par exemple. C’est d’une part un problème de caméras, mais aussi d’interprétation grâce à l’observation de milliers d’oiseaux. Il s’agit là d’un processus qui doit précéder toute certification d’une machine. Sinon, on risque des accidents comme ce fut le cas de la Tesla qui, en 2016, a percuté un camion blanc parce que l’ordinateur de bord avait cru qu’il s’agissait de l’horizon.
La certification d’avions autonomes est donc importante.
JONGEN : Certainement. Ces pilotes automatiques devront s’appuyer sur des logiciels exempts de bogues. De tels logiciels existent déjà, il s’agit simplement d’un standard plus rigoureux. Le mot clé à cet égard est déterminisme. Il faut disposer de logiciels 100% prévisibles. Un PC ordinaire peut se bloquer ou se planter, par exemple parce qu’il y a un problème avec l’imprimante ou le scanneur, et la résolution de ce problème exige une certaine capacité qui ralentit l’ensemble du processus. Dans le cas du déterminisme, on sait ‘by design’ qu’un processus spécifique fonctionnera dans un certain délai. Dans le cas de la technologie des fusées par exemple, les 3 premières minutes sont cruciales. C’est le moment où la fusée à étages est lancée et où les éléments retombent les uns après les autres dans l’océan ou sur terre jusqu’à ce que la fusée soit en orbite. Ces 3 minutes doivent donc être parfaitement prévisibles. C’est pour cette raison qu’il est impératif de connaître toutes les possibilités envisageables qui peuvent se produire à tous niveaux.
Pour remplacer les capacités d’un opérateur humain, l’IA est un must.
Reste que pour un avion autonome, il n’est pas évident, loin de là, de prévoir toutes les possibilités. Il suffit de songer à des phénomènes météorologiques très changeants suite au réchauffement de la planète.
Jongen : C’est précisément la raison pour laquelle on certifiera sans doute d’abord des avions autonomes pour du cargo ou dans un espace aérien où il n’y a pas de risque en cas de chute, au-dessus d’un océan par exemple. Il est intéressant par ailleurs de se pencher sur les questions éthiques et philosophiques. Si un avion autonome connaît un problème et ne peut plus être sauvé, comment la machine va- t-elle décider où faire tomber l’engin ? Au-dessus d’une métropole ou d’une petite ville ? Qui va sauver la machine ? Des jeunes ou des vieux ? Il s’agit là d’aspects pour lesquels la machine ne peut être programmée.
Où en est la technologie de produc-tion d’avions autonomes ?
JONGEN : Cette technologie existe déjà. La question est l’acceptation par le grand public. L’aspect psychologique de convaincre l’homme de la rue.
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