Vers le grand retour des droits d’auteur dans l’IT?

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Il y a trois ans, l’exclusion de l’IT du régime fiscal des droits d’auteur avait suscité de nombreux remous. Pourtant, la réinstauration de ce système à partir du 1er janvier 2026 ne déclenche aucune manifestation d’enthousiasme au sein du secteur. Les nombreux flous qui subsistent incitent les entreprises à adopter une attitude attentiste.

Pour comprendre la réintroduction des droits d’auteurs pour l’IT, un petit voyage dans le temps s’impose. C’est en 2008 que le législateur a créé un régime fiscal particulier pour les revenus personnels provenant de droits d’auteur. Ceux-ci se retrouvaient soumis à un précompte de 15% en lieu et place du taux normal de l’impôt sur le revenu. Mais fin 2022, le gouvernement fédéral a décidé de limiter cette règle pour le secteur des technologies de l’information. En cause: le fait que de nombreuses entreprises se montraient un peu trop créatives au moment d’accorder des droits d’auteur à leur personnel. Danielle Jacobs, CEO de la fédération du secteur des technologies de l’information Beltug, le reconnaît: ‘La définition large du champ d’application a donné naissance à une authentique industrie de promotion des droits d’auteur dans le seul but de bénéficier d’un avantage fiscal.’

Bonnes nouvelles pour l’IT

Maxime Vermeesch, partner Alongsight Legal

Maître Maxime Vermeesch, Partner chez Alongsight Legal, a contesté sans succès l’exclusion du secteur informatique devant la Cour constitutionnelle. ‘D’un point de vue juridique, il n’a jamais été question d’abus. Le champ d’application de la législation était passablement étendu et de nombreuses entreprises en ont profité de façon totalement légitime.’ Pourtant, la Cour constitutionnelle n’a pas donné gain de cause aux avocats. ‘Techniquement, il n’y a pas grand-chose à dire, mais certains principes sur lesquels repose l’arrêt sont incorrects. Et aujourd’hui, il y a un grand flou en ce qui concerne la qualification fiscale des revenus provenant des logiciels, alors que la législation initiale avait également été introduite pour créer une sécurité juridique. Simultanément, certaines professions numériques qui travaillent plutôt sur les interfaces utilisateur et la conception peuvent encore bénéficier pleinement du régime.’

Avec l’accord de l’été 2025, le gouvernement fédéral est revenu sur ses pas. Il étend à nouveau le régime aux professions numériques, en particulier aux revenus provenant de cessions ou de concessions en licence de programmes informatiques. Danielle Jacobs se félicite de cette décision: ‘Les créations logicielles originales bénéficient de la protection du droit d’auteur, c’est un principe internationalement reconnu. Les droits d’auteur sont une manière d’accorder au travailleur un avantage en échange de la cession de sa création à son employeur. De plus, il est crucial de mettre en place une politique qui stimule le marché du travail dans le secteur de l’IT, et plus particulièrement l’innovation: leur personnel est souvent le capital le plus précieux des start-up et des scale-up. En revanche, l’objectif n’est évidemment pas que les entreprises accordent des droits d’auteur quand il n’est pas question de création d’une œuvre originale.’

Sujet à interprétation

Thomas Goemaere, expert Fiscal chez KPMG: ‘Si les conditions de ‘communication au public’ et de ‘reproduction’ sont cumulatives, le champ d’application des droits d’auteur se rétrécit considérablement.’

Reste à savoir quels travailleurs et quelles activités seront éligibles aux droits d’auteur à partir du 1er janvier 2026. La nouvelle législation introduit en effet une condition supplémentaire: il doit y avoir une ‘communication au public’ ou une ‘reproduction’ de l’œuvre concernée. Thomas Goemaere, expert fiscal chez KPMG: ‘La notion de reproduction englobe presque tous les développements informatiques, même lorsqu’on les utilise exclusivement en interne au sein d’une entreprise, sans mise à disposition du public. Mais s’il faut considérer les notions de ‘communication au public’ et de ‘reproduction’ comme un seul et même concept, le champ d’application se rétrécit considérablement.

Dans le cas d’un jeu vidéo, l’issue semble simple: tout le monde y a accès, de sorte que la condition de la communication au public est de facto remplie. Dans le cas d’un logiciel interne utilisé par un consultant en informatique, c’est moins évident. Je ne pense pas que le législateur veuille établir une distinction entre par exemple une application de votre fournisseur d’énergie ou un logiciel d’entreprise spécifique, mais le texte de loi actuel est sujet à interprétation.’

Conversion des salaires

La question des cotisations sociales aussi est source d’ambiguïté. Car si la conversion d’un salaire en droits d’auteur est possible d’un point de vue fiscal, mais elle ne l’est pas pour l’ONSS. ‘En Belgique, les rémunérations sous la forme de droits d’auteur sont exemptées de cotisations sociales depuis le 1er janvier 2023 à condition de remplir certaines conditions spécifiques’, explique Maxime Vermeesch. ‘Ce texte de loi est presque identique au régime fiscal. Mais je n’ai encore trouvé nulle part que le législateur ouvrirait également la dispense de cotisations sociales au développement de logiciels. Si ce n’est pas le cas, la discrimination fiscale disparaîtrait, mais il subsisterait une discrimination au niveau de l’ONSS. Et elle aurait un impact considérable: supposons que vous accordiez 500 euros de droits d’auteur à un nouvel employé en plus d’un salaire de 3.500 euros. Vous pourriez alors être amené ou non à payer 27% de cotisations patronales et 13,07% de cotisations personnelles sur cette tranche de 500 euros. La différence est gigantesque.’

Pour un développeur qui gagne 4.000 euros brut, il sera toujours possible de convertir ce montant en un salaire brut de 3.250 euros pour les prestations fournies et une indemnité brute de 750 euros pour la cession des droits d’auteurs. L’enveloppe totale reste de 4.000 euros et les cotisations sociales sont inchangée, puisque les charges pour l’employeur sont égales à l’enveloppe salariale totale augmentée des cotisations patronales. Le salaire net du travailleur va en revanche augmenter d’au moins 250 euros par mois en fonction de sa situation personnelle. Il serait en revanche défendu de réduire l’enveloppe totale à, par exemple, 3.850 euros en plus de cette requalification.

‘Mais l’employeur fera de toute façon des économies à long terme en ajoutant une indemnité sous forme de droits d’auteur’, explique Maxime Vermeesch. ‘Car la rémunération sous forme de droits d’auteur atténuera la pression exercée par les travailleurs désireux d’obtenir des augmentations. De même, la qualification d’une partie du salaire en droits d’auteur permettra à un employeur qui embauche de prendre en compte le salaire net plus élevé au moment de fixer l’enveloppe salariale brute.’

Effet boule de neige

Bart Hollebekkers, expert en droits d’auteur chez SD Worx: ‘Le régime bénéficiera tant à l’employeur qu’au travailleur.’

On peut aussi se demander qui bénéficiera réellement d’une extension fiscale des droits d’auteur au secteur de l’IT. Bart Hollebekkers, expert en droits d’auteur chez le prestataire de services RH SD Worx: ‘Si l’ONSS adopte bien l’approche fiscale, tant l’employeur que le travailleur bénéficieront directement du régime. Le travailleur verra son salaire net augmenter alors que la dispense de cotisations sociales apportera un avantage appréciable à l’employeur. Mais je considère avant tout cette mesure comme une arme importante dans la guerre pour le talent. Car je m’attends à un effet boule de neige: une fois que de nombreuses entreprises auront adopté ce régime, aucun employeur ne pourra rester à la traîne. Le seul inconvénient pour le travailleur est qu’une rémunération sous forme de droits d’auteur n’est pas considérée comme un salaire. Par conséquent, il ne constitue pas de droits de pension et ne bénéficie pas d’indemnités de maladie ou de chômage sur cette tranche.

Réactions partagées

Si les experts n’y voient presque que des avantages, le retour des droits d’auteur n’a pas suscité d’euphorie au sein du secteur. Certaines entreprises s’y préparent déjà, mais d’autres privilégient une attitude attentiste, voire n’ont aucun projet dans ce sens. ‘Nous avons opté pour d’autres forme d’optimisation salariale. D’autant que les frais de mise en œuvre, d’accompagnement et de suivi réduisent considérablement économies potentielles générées par le régime des droits d’auteur’, affirme Arne Ovyn, CFO chez Signpost.

Bart Hollebekkers: ‘Pour les entreprises qui partent d’une feuille blanche, je pense que l’adoption du régime fiscal des droits d’auteur est une évidence. Pour celles qui ont adapté leur package salarial ces dernières années, c’est plus compliqué. Elles pourraient par exemple ne plus avoir de marge pour accorder des droits d’auteur en plus du salaire brut. Il ne me semble pas non plus évident de travailler avec des droits d’auteur pour un groupe de travailleurs et pas pour un autre.’ KPMG a calculé qu’à peine un cinquième des entreprises avaient entièrement compensé la suppression de l’avantage fiscal en 2023. À peu près la même proportion d’entreprises n’ont rien fait du tout pour remédier à la perte de salaire net. Hudson affirme dans les conclusions de sa Tech Reward Survey de 2024 que les salaires nets ont baissé en moyenne de 9% après l’abolition du régime des droits d’auteur. ‘La réintroduction de ce régime sera donc plus facile pour certains groupes que pour d’autres’, souligne Thomas Goemaere.

À combien se monte concrètement l’avantage du droit d’auteur?

La loi plafonne la qualification de rémunérations en revenus mobiliers à un montant maximum indexé. Pour l’année de revenus 2025, ce plafond est fixé à 75.360 €. Ces rémunérations sont soumises au taux avantageux de 15% de précompte mobilier. En outre, la rémunération accordée sous la forme de droits d’auteur ne peut dépasser 30% de la rémunération totale (y compris les prestations fournies).

Les frais forfaitaires suivants s’appliquent aux revenus de 2025: 50% sur la tranche de revenus allant jusqu’à 20.100 €, et 25% entre 20.100 € et 40.190 €. Aucune déduction forfaitaire n’est possible pour les montants supérieurs à 40.190 euros. L’application des frais forfaitaires a pour effet d’encore réduire encore le taux avantageux de 15% de précompte mobilier. En fonction des décisions finales du gouvernement, une exemption de cotisations sociales est également d’application.

Thomas Goemaere (KPMG) en donne un exemple: ‘Prenons un travailleur dont le salaire annuel brut s’élève à 60.000 euros et qui perçoit 20% de sa rémunération sous forme de droits d’auteur. En l’absence de droits d’auteur, la totalité de sa rémunération sera soumise aux taux progressifs de l’impôt des personnes physiques (jusqu’à 50%), auxquels s’ajoutent les centimes additionnels communaux. Avec les droits d’auteur, 20% (12.000 €) de la rémunération sera soumise à 15% de précompte mobilier (ou 7,5% après déduction des frais forfaitaires). L’avantage fiscal peut ainsi attendre environ 300 euros par mois. Dans certains cas, on pourra encore y ajouter les économies réalisées sur les cotisations sociales.’

Attentisme

Peopleware fait partie des entreprises qui ont saisi la Cour constitutionnelle. L’éditeur de logiciels se réjouit de la réintroduction du régime des droits d’auteur. Son fondateur et managing director Marc Schijvaerts: ‘Après la décision de la Cour constitutionnelle, nous n’avons accordé aucune compensation à nos collaborateurs pour la perte de salaire net. Mais nous comptons bien utiliser à nouveau le régime fiscal des droits d’auteur. Il se traduit par une augmentation bienvenue de la rémunération nette des salariés éligibles.’ L’entreprise plaide en faveur d’un cadre clair. ‘Il subsiste de nombreuses ambiguïtés autour de la législation concrète. La plupart des logiciels que nous créons comportent des portails avec accès réservé à un groupe défini de personnes. Je pense par exemple à un affilié à un fonds de pension qui consulte ses réserves accumulées ou à un syndiqué qui suit l’état de son dossier. Mais ces portails relèvent-ils également de la communication au public aux yeux du législateur? De nombreuses questions restent donc en suspens.’

Le spécialiste des systèmes ERP et CRM Odoo avait inclus les droits de propriété intellectuelle dans ses salaires jusqu’en 2023. ‘La législation n’ayant pas encore été publiée, nous n’avons pris aucune décision concrète pour 2026’, explique Larissa Labaisse, chargée de communication. ‘Si c’est possible pour nous, nous n’hésiterons pas. Nous y voyons un excellent moyen d’accorder un salaire net plus élevé à nos collaborateurs.’
Les consultants, les prestataires de services RH et les experts juridiques recommandent néanmoins d’agir dès maintenant. ‘Le législateur doit encore lever plusieurs ambiguïtés et le texte final risque de se faire attendre’, prévoit Thomas Goemaere. ‘Le service de ruling devra ensuite approuver le versement de droits d’auteurs pour chaque entreprise. Ceux qui voudront profiter immédiatement du régime ont donc tout intérêt à préparer les documents et arguments nécessaires dès maintenant.’

Maxime Vermeesch rappelle également les décisions anticipées rendues ces dernières années. ‘Auparavant, la commission de ruling déterminait que le demandeur ne pouvait appliquer le régime qu’à partir du mois suivant l’obtention de la décision, mais ces deux dernières années, plusieurs rulings ont autorisé une rétroactivité limitée, au moins tant que la déclaration d’impôt des personnes physiques concernée n’avait pas encore été déposée. Je ne vois pas pourquoi le fisc ne continuerait pas à appliquer ce principe.’

Contrôles ciblés

Danielle Jacobs, Beltug: ‘Les droits d’auteur sont une manière d’accorder un avantage à un salarié qui cède sa création à son employeur.’

Pour Valerie Deseyn, du groupe informatique Trustteam, l’inconstance du législateur est un des facteurs qui dissuadent l’entreprise d’introduire la mesure. Mais pour Maxime Vermeesch, ces craintes de voir le gouvernement supprimer à nouveau le régime ne sont pas fondées. ‘Une suppression pure et simple créerait une polémique encore plus grande, par exemple parmi les journalistes indépendants qui peuvent qualifier jusqu’à 50% de leur rémunération en droits d’auteur. Je pense également que le gouvernement a tiré les leçons de l’abolition partielle pour certains groupes professionnels d’importance stratégique. Enfin, l’impact réel de la mesure sur les finances publiques est relativement limité, surtout si l’on tient compte de ses avantages en termes d’emploi local.’ Thomas Goemaere ajoute que le gouvernement a explicitement inclus l’extension du régime au secteur informatique dans l’accord de gouvernement. ‘La fois précédente, l’application de ce régime à l’IT s’était faite de manière plutôt involontaire.’

Danielle Jacobs (Beltug) espère en tout cas que le gouvernement apportera rapidement la transparence et la clarté nécessaires: ‘Qu’est-ce qui est admis? Qu’est-ce qui ne l’est pas? Une entreprise peut-elle se fonder sur les rulings existants pour établie de meilleures pratiques? La présence de fiches obligatoires et les outils de data mining dont dispose le SPF Finances devraient permettre des contrôles très ciblés. L’accent doit être mis sur la création d’une œuvre protégée par le droit d’auteur et la valeur de cette œuvre pour l’entreprise.’

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