Alors que l’industrie technologique mise pleinement sur l’efficience de l’intelligence artificielle, avec la sécurité d’emploi qui en découle, le géant des logiciels SAP voit son salut dans une autre image du futur.
Au lieu de se focaliser au maximum sur l’automatisation, l’entreprise plaide en effet pour une collaboration symbiotique, où l’IA renforcera le potentiel humain. Une stratégie délibérée que l’employé ne devra pas laisser de côté, mais y accorder la priorité dans son avenir au travail. Cela ne semble peut-être pas spectaculaire, mais cela revêt toute son importance à la lumière de l’actualité dans son ensemble et des annonces faites par d’autres acteurs ‘big tech’ qui avouent tout de go qu’ils vont réduire fortement leurs effectifs précisément à cause de l’IA. Le CEO de Salesforce, Marc Benioff en personne, n’avait-il pas déclaré le mois dernier encore sur un ton quelque peu fanfaron: ‘J’ai réduit notre service clientèle de 9.000 personnes à 5.000 environ, parce qu’avec nos agents d’IA, j’ai à présent besoin de moins de collaborateurs.’
Le CEO de Salesforce: ‘L’IA pourrait entraîner la suppression de 4.000 emplois’
Dans le biotope technologique, la focalisation repose en effet souvent sur l’efficience pure et l’automatisation du plus grand nombre de tâches possibles. Or maintenant que l’IA devient de plus efficiente, et que l’automatisation ne fait que s’accélérer, les acteurs technologiques y voient des opportunités de suppression d’emplois. A SAP Connect – la conférence organisée à Las Vegas où Data News est aussi présent -, on perçoit donc un autre son de cloche. Le géant des logiciels reconnaît que la crainte que l’IA va remplacer des jobs, est certes présente chez beaucoup d’employés, mais sans plus. Au contraire, l’entreprise se positionne sciemment en adoptant une vision, selon laquelle l’homme et la machine vont collaborer étroitement. Lors de SAP Connect, cette approche a été répétée à plusieurs reprises. Il ne s’agit pas de savoir si l’IA va modifier le poste de travail, mais bien comment ce changement aura lieu.
Deux avenirs possibles: ‘IA maximaliste’ ou ‘stratège symbiotique’

Selon l’équipe de recherche ‘Future of Work’ de SAP, un groupe de psychologues PhD déterminant la stratégie en matière de produits, nous nous trouvons à la croisée de deux chemins. Le premier a pour nom ‘IA maximaliste’, un terme que l’équipe utilise pour exprimer une vision du futur qui est souvent, de manière implicite ou non, adoptée par les leaders technologiques. Selon cette philosophie, ‘si l’IA peut le faire, elle doit le faire’. Ce scénario prévoit une automatisation maximale et ‘ce qui subsiste que nous ne pourrons pas automatiser, sera réservé aux humains’, explique Autumn Krauss, Chief Scientist chez SAP SuccessFactors, dans un entretien accordé à Data News. Le danger, c’est que des emplois se créent, qui ne sont pas conçus parce que des personnes sont motivées pour les exercer, mais parce qu’ils ‘sont simplement nécessaires à cause de l’automatisation’. Tel est l’avenir qu’on pourrait attendre, si les CIO et rien qu’eux décidaient du réaménagement du travail.
Des entreprises sur pilotage automatique: quand des agents d’IA desservent des clients bot
Krauss évoque cependant une alternative derrière laquelle se range SAP: le ‘stratège symbiotique’. Cette approche entend reconcevoir le travail de façon à ce que tant les opportunités de l’IA que celles de l’humain soient maximalisées. C’est là une vision basée sur la constatation qu’aujourd’hui déjà, il règne trop d’insatisfaction et de méfiance sur le lieu de travail. Krauss pose donc la question suivante: ‘Nous avons à notre disposition plus de 50 années de théorie et de recherche sur les caractéristiques du travail de qualité. Ne pourrait-on pas utiliser la réaménagement du travail comme un axe stratégique en vue de réunir le meilleur de l’IA et le potentiel humain?’. L’objectif est une ‘collaboration réciproque saine, où se rencontrent le meilleur de ce que peut offrir l’IA, et le meilleur de l’humain’, affirme-t-il sur un ton se voulant philosophique.
La gouvernance en réaction au chaos et à Shadow AI

Michael Ameling, Chief Product Officer de la SAP Business Technology Platform (BTP), nous donne dans le cadre d’une interview les fondements techniques de cette vision. Il prétend que la confiance en est le cœur, surtout s’il est question de données d’entreprise critiques. La crainte de la ‘Shadow AI’ – des collaborateurs qui utilisent des outils d’IA sans contrôle, parfois aussi par crainte de ne plus être suffisamment productifs en comparaison avec les AI-bots – est réelle. La réponse de SAP est d’offrir une gouvernance stricte. ‘Nous avons développé un ‘golden path’ (trajet doré), un ‘BTP Developer’s Guide’ sur la façon de créer une application’, explique Ameling. En recourant à des modèles de programmation éprouvées, on s’assure qu’il y aura toujours un ‘audit trail’ et que les règles en matière de confidentialité des données y seront incorporées par défaut. Cela devrait éviter que les entreprises perdent le contrôle, un scénario qu’Ameling a connu dans le passé.
De la shadow IT à la shadow AI
Ameling entend aussi apporter une nuance importante dans le débat sur l’IA. ‘Un agent n’est pas la réponse à tout’, affirme-t-il sur un ton quelque peu provocant. ‘Je pose souvent la question suivante aux clients: pouvez-vous y arriver aussi avec un flux de travail? Si la réponse est positive, je leur fais cette simple suggestion: optez pour cette formule.’ Selon lui, un flux de travail déterministe, économique et offrant une maintenance aisée constitue souvent un meilleur choix que des processus prévisibles. Les agents d’IA ne s’imposent vraiment que là où règne l’insécurité ou que si plusieurs options doivent être envisagées.
SAP entend déployer un réseau d’agents et d’assistants d’IA dans les entreprises
Le principe ‘human in the loop’ en tant que pierre angulaire

La vision de SAP sur la symbiose se traduit directement dans le développement des produits. L’humain doit à tout moment en garder le contrôle. Surtout dans un domaine comme les RH, où les décisions ont un énorme impact, c’est crucial. ‘Nous prenons ce principe ‘human in the loop’ très au sérieux’, insiste Krauss.
Au cours du discours d’ouverture de SAP Connect, ce principe a été régulièrement répété par Muhammed Alam, en charge du SAP Product & Engineering Board. Il insiste sur le fait que nous vivons ‘dans un monde où le jugement humain et l’IA devront co-exister longtemps encore’. Même avec l’essor des assistants d’IA, qui peuvent effectuer des tâches de manière autonome, la supervision humaine restera un point critique.
‘Investir dans du personnel, pas dans son remplacement’

Les principes ‘human in the loop’ et ‘augmented jobs’, ce sont des mots-clés qui, lors de la percée de l’IA, ont résonné de manière plus fréquente et plus forte que la rhétorique passe-partout actuelle, selon laquelle il n’est plus possible de passer sous silence la perte d’emplois. ‘Mais nous, nous investissons dans du personnel, pas dans son remplacement’, réagit Augusta Spinelli, Regional President pour la zone EMEA chez SAP. ‘L’IA change tout, y compris au sein de SAP même et de son personnel. Mais nous, nous parlons d’une évolution et abordons les choses dans une perspective humaine.’ Au lieu de couper dans les effectifs, SAP choisit une autre voie. ‘Nous consacrons énormément de temps et d’argent dans nos collaborateurs en vue de développer leurs compétences.’
Même si Spinelli ne se voile pas la face. ‘Oui, nous savons que certaines compétences sont superflues. Cela peut avoir un impact sur nous, mais limité, de l’ordre d’1 ou de 2 pour cent de notre personnel. Nous continuons cependant de recruter et de convertir nos employés aux nouvelles compétences’, ajoute-t-elle encore. ‘C’est là un processus permanent. Tout le monde, moi y compris, se trouve continuellement dans un processus de requalification et de formation. Nous accordons beaucoup de valeur à l’expérience de nos employés.’ Pour les emplois qui peuvent être facilement automatisés, la stratégie est claire: ‘Nous devons aider ces personnes à évoluer vers autre chose’, conclut Spinelli.
‘L’IA n’est pas un exercice académique’
Lors de la journée d’ouverture, SAP avait déjà annoncé vouloir pleinement miser sur les assistants et agents d’IA, le tout basé sur des profils spécifiques. Mais l’analyste de marché Gartner n’avait-il pas plus tôt cette année affirmé que d’ici 2027, quasiment la moitié des projets ‘Agentic AI’ serait arrêtée par manque de valeur ajoutée? Augusta Spinelli a sa propre vision sur ce sujet. ‘Développer des projets-pilotes d’IA purement parce que c’est de l’IA, ce n’est clairement pas une bonne stratégie.’ Pour les CIO aux prises avec l’implémentation, son message est clair: le succès de l’IA dépend de la combinaison des processus métier, des données et des capacités d’IA mêmes. ‘Si ces trois éléments sont dissociés, on a réalisé un exercice académique’, affirme-t-elle. ‘L’accent doit toujours être mis sur la valeur professionnelle concrète qu’on veut atteindre’, ajoute-t-elle encore. Spinelli fait ensuite aussi subtilement référence à un autre résultat de l’enquête de Gartner: la chance de réussite des projets Agentic AI double, lorsqu’on collabore avec un partenaire technologique solide et fiable.
Gartner: ‘Près de la moitié des projets d’IA agentique seront interrompus dans les deux ans’