L’IA peut-elle transformer le CIO en super-héros dans l’entreprise?

Kristof Van der Stadt
Kristof Van der Stadt Rédacteur en chef chez Data News

Les CIO constatent que leurs projets d’IA ne génèrent pas ou pas assez de retour sur investissement. La relation avec l’entreprise ne doit pas se limiter à l’efficience, tel est le message de Gartner.

Extraire une valeur concrète de l’intelligence artificielle (IA), tel a été le sujet principal du discours d’ouverture du symposium européen de Gartner, considéré encore et toujours comme une sorte de grand-messe pour les managers IT. Gabriela Vogel, vice-president analist chez Gartner, a expliqué aux 6.000 CIO, IT-managers et IT-professionals présents à la conférence annuelle de Barcelone que nous sommes à la croisée des chemins: ‘C’est un moment de l’histoire auquel les gens se référeront et diront que les CIO et les responsables de l’IA soit ont commis une erreur, soit nous ont aidés sur le chemin de l’excellence.’

L’IA glisse actuellement du ‘Peak of Inflated Expectations’ à celui du ‘Trough of Disillusionment’ sur la tristement célèbre courbe de battage médiatique de Gartner. Ironiquement, il s’agit d’un ‘hero moment’ pour les CIO, selon les analystes. ‘C’est votre moment héroïque, chers CIO. Les héros ne sont le lot d’une vogue, mais d’un creux’, selon Vogel.

Recherche d’un retour sur investissement

Les chiffres autour du retour sur investissement de l’IA donnent à réfléchir. D’une récente enquête de Gartner, il ressort que la chance d’un retour sur investissement d’une initiative d’IA n’est que d’une sur cinq, et que la chance d’une véritable transformation n’est que d’une sur cinquante. Alors que les CFO révèlent que 74 pour cent d’entre eux constatent des gains de productivité, seuls 11 pour cent observent un retour sur investissement clair. Dans la zone EMEA, 73 pour cent des CIO ont déclaré que leur organisation stagnait, voire était en train de perdre de l’argent sur leurs investissements dans l’IA. Ces résultats sont du reste conformes à des études similaires précédentes.

Gabriela Vogel

En plus de se concentrer sur la croissance de l’entreprise, Gartner voit une opportunité pour les CIO de sortir de l’IT de back-office. Près des deux tiers des CIO (65 pour cent) ne sont pas satisfaits de la limitation aux quatre murs du département IT. Selon le cabinet d’analystes, les CIO veulent être axés sur le client, en engageant les mêmes conversations que les employés de l’entreprise ont avec leurs clients et prospects.

Recherche d’un équilibre

Les CIO sont actuellement en train de trouver un équilibre entre le fait de sous-estimer l’impact et celui de croire aveuglément au battage médiatique autour de l’IA, selon l’analyste O’Donohue. La ‘voie dorée’ vers la valeur réelle se situe au milieu, mais les chiffres montrent que la plupart des organisations sont loin d’atteindre cette valeur. Principale difficulté: un déséquilibre entre la facilité d’utilisation de la technologie et le degré d’adoption de l’IA par les gens. ‘Bien que chaque IA n’est pas prête à apporter de la valeur, nous, les humains, sommes encore moins prêts à capter cette valeur’, a affirmé Rob O’Donohue. Gartner positionne l’entreprise moyenne à mi-chemin en termes de ‘AI Readiness’ (la technologie), mais seulement au quart du chemin en termes de ‘Human Readiness’ (l’être humain). O’Donohue souligne que l’adoption humaine est beaucoup plus lente que l’innovation technologique. ‘Même si tous les fournisseurs devaient cesser d’innover aujourd’hui, il nous faudrait encore des années pour amener la ‘human readiness’ au même niveau’, selon lui.

Rob O’Donohue

Les pièges de l’IA

Sur le plan technologique, la ‘AI readiness’ est également discutable. Gartner prévient que les frais de l’IA ne sont pas un coût ponctuel, mais plutôt une sorte d’hypothèque que l’on continue de rembourser pendant la transition. Pour chaque outil d’IA acheté, les organisations doivent prendre en compte dix coûts supplémentaires cachés, en plus du coût de mise en œuvre. La précision de l’IA reste également un problème important: l’IA générative souffre d’une marge d’erreur allant jusqu’à 25 pour cent, tandis que 84 pour cent des CIO ne disposent pas d’un processus formel pour la mesurer. De plus, selon Gartner, l’accent est également mis à tort sur les agents d’IA. 87 pour cent des entreprises de la zone EMEA se concentrent sur les agents conversationnels, mais la véritable valeur, selon les analystes, réside dans des ‘agents décisionnaires’, capables de raisonner de manière autonome.

Les gens ne sont pas prêts

La ‘Human Readiness’ est un obstacle encore plus grand. Pas moins de 71 pour cent des responsables IT déclarent que leur personnel n’est pas prêt pour l’IA. Il est même question d’une masse toxique caractérisée par une courbe d’apprentissage abrupte d’une part et par la peur du remplacement d’autre part. C’est l’éléphant présent dans chaque débat sur l’IA. Gabriela Vogel, VP Analyst chez Gartner, a souligné que la peur de la perte d’emploi complique certes la transition, mais qu’elle est souvent injustifiée. ‘L’IA n’est pas synonyme de pertes d’emploi, mais de chaos professionnel. Il s’agit de la transformation de votre personnel’, explique M. Vogel. Une analyse de Gartner devrait également montrer que les pertes d’emplois dues à l’IA ne sont vraiment pas si graves. Selon les analystes, seulement 1 pour cent des pertes d’emplois au cours du premier semestre de 2025 sont directement attribuables à l’IA.

Méfiez-vous des ‘sous-produits comportementaux’

Cette transformation de tous les collaborateurs nécessite également des compétences fondamentalement nouvelles. O’Donohue mentionne par exemple l’ingénierie contextuelle, c’est-à-dire la fourniture d’un cadre de référence pour l’IA au-delà de l’invite, comme une nouvelle discipline cruciale que les organisations devraient développer. Parallèlement, Gartner met en garde contre ce qu’elle appelle les ‘sous-produits comportementaux’ (‘behavioral byproducts’), à savoir des changements de comportement involontaires dus à l’utilisation de l’IA, alors qu’apparaît en arrière-plan la diapositive: ‘AI is stealing your skills’ (l’IA vole vos compétences). La théorie: si nous commençons à trop faire confiance à la technologie, nous allons perdre certaines compétences, parce que nous ne les utiliserons tout simplement plus jamais. ‘J’ai moi-même encore fait du codage et je sais mieux que quiconque à quelle vitesse on perd cette compétence lorsqu’on ne l’utilise plus’, explique Gabriela Vogel. Les organisations doivent périodiquement ‘tester’ leurs employés pour s’assurer que les compétences essentielles ne sont pas perdues. 91 pour cent des CIO déclarent qu’ils passent actuellement peu ou pas de temps à rechercher ces ‘behavioral byproducts’.

‘D’ici 2030, il n’y aura plus de travail IT sans IA’

Pas de présentation Gartner sans prédictions audacieuses, et nous en avons également eu la preuve à la fin du discours thématique sur ce à quoi ressemblera le travail IT en 2030. Gartner prévoit que d’ici là, exactement zéro pour cent du travail IT sera encore effectué par des personnes qui n’utilisent pas l’IA. 75 pour cent seront ‘augmented’, et 25 pour cent de tout le travail IT sera effectué rien que par l’IA. Cela conduit à ce que les analystes appellent l’’Extra Capacity Paradox’: l’IA en tant que supercharger de l’équipe IT, mais si cette capacité supplémentaire n’est pas utilisée pour la création de nouvelles valeurs, le personnel sera considéré comme superflu. Pour éviter cela, les analystes ont mis en avant le Gartner Positioning System’ (abrégé, et ce n’est pas un hasard, en GPS): un cadre qui devrait aider les CIO à déterminer l’équilibre entre l’IA et la ‘Human Readiness’ pour chaque cas d’utilisation et à les guider vers cette fameuse ‘voie dorée’.

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